Ma course Paris-Brest (Les mémoires de Terront, 1893)
vendredi 16 août 2019, par
Chapitre 13, Les mémoires de Terront, [...] revus et mis en ordre par Louis Baudry de Saunier, 1893
Aussitôt que la course Paris-Brest fut annoncée par le petit journal, je m’écriai : « voilà ma course ! » Je m’en allai trouver mes amis de Bayonne et en leur montrant le journal je leur dis : « Elle est à moi, celle là ! » Je prévoyais en effet qu’il fallait pour une telle épreuve de grandes qualités de résistance et je sentis s’éveiller en moi tout mon courage.
J’appris en même temps que les places seraient données au départ selon l’ordre d’inscription et j’envoyai par télégramme mon engagement au petit journal. On m’en accusa réception. J’avais le numéro 5.
Je me mis immédiatement à l’entraînement. Une course aussi longue et dans un pays aussi accidenté que la Bretagne demandait une assez dure préparation. Je résolus de faire beaucoup de route surtout en Espagne.
Un jour d’entraînement, je revenais d’Espagne à Bayonne avec Boyer et un autre vélocipédiste. On nous avait avertis qu’une bande de brigands logés dans les Pyrénées s’étaient fait une spécialité de détrousser les vélocipédistes. Leur moyen était bien simple, ils tendaient une corde à travers la route et quand la nuit un vélocipédiste passait, ils sautaient sur lui, lui enlevaient son argent, sa montre, quelques fois même ses vêtements et le laissaient partir plus ou moins nu sur la machine.
Je n’en voulais rien croire et d’ailleurs n’avais-je pas mon revolver ? Revenant donc ce soir là des courses de Pampelune, Boyer et son ami, loin en avant, je vis tout à coup se dresser devant moi, deux hommes qui firent mine de se jeter sur ma machine. Je descendis vivement et leur demandai en patois ce qu’ils me voulaient, quand mes amis inquiets de ne pas me voir venir, retournèrent sur leur pas et arrivèrent à moi. Aussitôt les deux hommes disparurent dans la nuit.
Je pris part, pour essayer mon entraînement, à quelques courses. Mais dans le championnat de vitesse d’Agen, je pense que j’aurais été bien placé si une chute de Cottereau ne m’avait empêché de passer au dernier tour.
Un mois avant la course de Paris-Brest, je vins à Paris. Je commençai par faire de longues étapes. J’allai trois fois à Vervins par la route, une fois à Saint-Quentin. Je m’entraînai beaucoup aussi sur l’itinéraire que j’allais avoir à parcourir, itinéraire que je connaissais en grande partie pour avoir fait mon service militaire à Saint-Brieuc. J’allai jusqu’à Dreux, puis un jour jusqu’à Laval, d’où je reviens par le chemin de fer.
Enfin, trois jours avant la course, je me reposai absolument de façon à être tout dispos pour l’heure fixée.
J’avais réfléchi à la meilleure tactique à employer. Je n’avais en somme que deux concurrents sérieux dans cette course : Jiel-Laval, qui avait fourni une assez bonne course dans Bordeaux-Paris et qui, en tous cas, serait supérieurement entraîné par la maison qui l’avait engagé, et Jules Dubois, dont je connaissais de longue date la valeur et, qui, par son récent record de Paris à Rouen aller et retour en 11h43 (260 kilomètres), fait dix jours avant, montrait l’excellente forme dans laquelle il se trouvait.
Mais Jiel-Laval, bien entraîné par de Civry, ne possédait néanmoins pas de vitesse, et Dubois possédant de la vitesse, ne serait certainement pas bien entraîné. J’étais, moi, entraîné par un de mes meilleurs camarades et un sportman de premier ordre, Duncan.
J’avais entendu dire quelque temps auparavant à Dubois : « Bah ! qu’est ce que cela me fait d’être engagé le 363e ? J’aurai tous les entraîneurs de Terront ! » À la course, c’est comme à la guerre, chacun pour soi, et quelque regret que j’aie eu de ne pas être agréable à Dubois, je me jurai de faire en sorte qu’aucun de mes entraîneurs ne pût lui servir.
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À 6 h 55 du matin, le dimanche, M. Thomas, président de la course, criait : « Attention ! » et presque aussitôt : « Partez ! » J’étais sur la ligne de tête avec mon n°5, tandis que mes concurrents étaient tout à fait en arrière, gênés par une cohue de vélocipédistes de qualité inférieure qui se croyaient cependant des chances d’arriver le soir même à Brest.
Je partis à fond de train dans l’avenue du Bois-de-Boulogne et arrivai au Bois où Antony caché m’attendait. D’un train vigoureux il me fit travers le bois, Suresnes, monter la côte, et traverser Ville-D’Avray dans la direction de Versailles.
Mais nous tenions une telle allure que, dans la côte de Picardie, Antony, fatigué, se laissa dépasser par moi et fit des signes de détresse à un de mes amis, mon cousin Rollet qui était venu me voir passer avant de prendre le chemin de fer pour aller m’attendre bien au delà, à Montauban-de-Bretagne. Rollet me conduisit jusqu’à Versailles où nous entrâmes comme des trombes entre deux haies de curieux, de dames même, que l’heure matinale n’avait pas retenues au lit.
Dans Versailles, je rencontrai tout à coup un bon vélocipédiste que je connaissais, Thouvenin qui, me sachant seul avec Rollet qui devait prendre le chemin de fer, accepta de m’entraîner, et nous partîmes, toujours à toute vitesse vers Saint-Cyr.
De mes concurrents je n’avais encore aucune nouvelle. Il était prudent néanmoins de conserver et même d’augmenter, si possible, l’avance que je leur avais prise. Un accident pouvait m’arriver et les pneumatiques, encore à leur enfance, pouvaient inspirer une légère crainte.
Thouvenin s’employa de son mieux et poussa le dévouement jusqu’à me conduire par Trappes et Pont-Chartrain jusqu’à la Queue-les-Yvelines. Le chemin de fer borde pendant assez longtemps la route, et comme nous marchions dans la direction de Dreux, un train arriva de Paris et nous côtoya quelques instants. Aussitôt des mouchoirs s’agitent aux portières des wagons. C’est Pierre Giffard, Thomas, et plusieurs de mes entraîneurs qui vont à Dreux, soit pour nous voir passer, soit pour nous être utile !
La Queue-les-Yvelines était le premier point de contrôle. Je signai le registre à 8h 45. J’avais couvert les 50 premiers kilomètres en 1 h 50. Et je repartis vivement.
À la Queue-les-Yvelines, je devais changer d’entraîneur et être pris par Dalvy. Mais Dalvy déjeunait avec quelques amis sur le bord de la route et ne m’attendait pas du tout de si bonne heure. Aussi passai-je devant lui à sa grande surprise, et comme je désirais gagner toujours et encore de la distance, je ne pris pas le temps de m’arrêter. Thouvenin m’avait quitté, j’étais seul. Mais bientôt deux des amis de Dalvy qui s’étaient mis en selle me rejoignirent à grands coups de pédales et m’entraînèrent. Bientôt leur allure ne put plus me suffire et je passai devant, invertissant ainsi les rôles.
J’arrivai à Dreux à 9h 56. Le passage à niveau était fermé ! Pendant le temps que la garde-barrière mit à l’ouvrir, je me retournai machinalement pour voir si Dubois ou Jiel-Laval n’était pas dans mes talons, mais personne ne venait ! Presque aussitôt, comme je songeais à Dubois, je rencontrai un de ses entraîneurs qui attendait son passage, Rouxel, qui eut l’amabilité de m’offrir un bouillon tandis que je montais la côte qui se trouve à la sortie de la ville. C’était le premier réconfortant que je prenais.
[|***|]
Un bon entraîneur se chargea de moi à partir de Dreux. C’était Darboval, un coureur angevin qui, avec quelques amis m’emmena bon train jusqu’au second point de contrôle, Mortagne, que j’atteignis à 1 h 45. Je marchais depuis sept heures !
Mortagne est situé au haut d’une côte. La foule des habitants, à cette heure, et par le temps splendide qu’il faisait, s’était précipitée à l’entrée de la ville, et sans un service d’ordre bien organisé, je ne fus jamais entré dans le pays !
Les balcons avaient des guirlandes de fleurs et les toilettes sillonnaient les rues comme dans un jour de fête carillonnée. Je signai en hâte le registre et repris ma course folle accompagné cette fois de M. René de Knyff, le directeur actuel de la Revue des sports.
Qu’étaient devenus mes rivaux ? Je n’avais aucune nouvelle d’eux ! Mais j’avais une telle crainte d’une perforation dans mes pneumatiques que, à chaque fois que je pensais au clou qui d’un moment à l’autre pouvait m’arrêter net sur la route, je me sentais pris d’un renouvellement d’énergie et il me semblait qu’en marchant très vite je retardais d’autant l’instant fatal.
De Knyff et moi partîmes ainsi à une allure très allongée, moi lui confiant mes craintes et lui me rassurant par la perspective de la victoire prochaine et de la belle performance que j’allais accomplir. Puis il se vit forcé de me quitter à quelques kilomètres d’Alençon, me laissant continuer la route avec les vélocipédistes régionaux ou cantonaux qui ne m’ont jamais manqué presque pendant tous le parcours.
J’étais à Alençon à 3h 20. La foule était toujours compacte. Tout le monde voulait me voir de près et j’eus beaucoup de peine à n’être pas jeté à bas de ma machine. Mais je n’avais toujours pas de nouvelles de mes rivaux : étaient-ils loin, étaient-ils près ? Peut-être Dubois et Jiel étaient-ils tombés ? Ils avaient renoncé peut-être ! Peut-être aussi ils accouraient à 100 mètres de moi ! Il me semblait dans cette incertitude terrible qu’une ombre courait après moi, sans formes, et que je n’avais qu’à fuir, fuir, fuir toujours, au hasard, pour l’éviter !
Lamy et Suberbie me prirent aussitôt à Alençon et me conduisirent toujours plus vite, plus vite encore à travers Saint-Denis-sur-Sarthon, jusqu’à Pré-en-Pail où se tenait le troisième contrôle ! Il était 5 heures. La population était massée devant le Café Parisien que le propriétaire avait orné de drapeaux, de lanternes vénitiennes, de plantes vertes ! « Terront, viens prendre un bock ! » crie un loustic. Tout le monde rit, moi aussi - et je reprends la fuite affolée devant cet ennemi invisible mais terrible : l’inconnu !
Voici Saint-Cyr-en-Pail, puis Javron, puis le Ribay, puis Tricords, puis une énorme descente de 10 kilomètres où la vitesse devient du vertige, où l’on pédale tant qu’on a de force, où une chute est presque probable, compromettant peut-être sans retour la fin de la lutte ! Voici Mayenne, dont les habitants ne voient passer dans la nuit qui tombe que les silhouettes rapides de quelques vélocipédistes poudreux qui s’enfuient ! Fuir, fuir, tant qu’on a des jambes, je ne pensais qu’à fuir devant le mystère qui me suivait derrière sur la route et qui avançait toujours !
La nuit était venue. La crainte de l’inconnu augmentait avec les ténèbres et, sans regarder trop où je courais, je crois que ma vitesse s’était accrue encore. Mes muscles ne poussaient plus seuls ma machine : mes nerfs travaillaient aussi et toute mon énergie surexcitée se concentrait sur mes pédales.
Tout à coup, je sens ma machine s’affaisser sous moi... Je suis crevé ! Ma roue d’arrière est dégonflée ! Je tremble d’émotion, je descends, et, avec l’aide de mes entraîneurs, je retire du caoutchouc un long clou tout neuf !
Que faire ? Nous n’étions qu’à quelques kilomètres le Laval, au village de Louverné dont on apercevait les lumières. Une réparation sur place était problématique. Mieux valait courir en machine jusqu’à la ville et là peut-être une réparation serait-elle faite plus rapidement qu’en pleins champs et la nuit.
J’arrivai à Laval hors de moi. Il était 8 h 36 du soir. Une foule énorme encombrait encore la place de la ville, mais j’avais bien le temps de recevoir leurs compliments ! Enfin au contrôle, je trouvai, dans le café, Duncan accompagné d’un ouvrier de la maison Michelin qui voyageaient tous les deux en avant de moi afin de réparer mes perforations s’il en était besoin. L’ouvrier démonta le bandage, fit la réparation... L’opération dura 40 minutes !
Moi, j’étais assis à une table, ma tête sur mon poing, regardant en colère la maudite mécanique qui me faisait perdre tant de temps, quand, subitement, un petit peloton de vélocipédistes arrive au contrôle avec au centre, Jiel-Laval !
Jiel-Laval descend de machine, signe le registre, remonte et repart. Et j’attendais toujours ma machine !
On m’apprit alors que de Civry était arrivé à Laval quelques heures avant mon passage. Ce n’était pas m’apporter précisément une heureuse nouvelle.
Était-ce vrai ? Et pour un clou, fut-il neuf, devais-je abandonner la partie ? Jamais, jamais ! Et je remontais vite en selle !
Il faisait nuit complète. Où était Jiel-Laval ? Deux bons entraîneurs, Tissieret et Lainé, m’emmenèrent comme une flèche à travers les villages de Saint-Bertherin, de La Chapelle, de la Gravelle. Mais rien que la route longue, indéfinie ! Rien que des côtes et des descentes,rien que la nuit noire comme le charbon ! Où était Jiel ? Où était Jiel ?
Encore du courage ! Marchons plus vite ! Le village de Loutinière est passé. Il va être minuit ! Bientôt dix-sept heurs de marche, de course insensée, d’emballages désespérés ! Voici un pont devant un chemin de fer... Hourra ! Les voilà enfin à 50 mètres ! Encore un effort et je rejoins Jiel.
Vitré. Quelques fanatiques nous ont attendus et nous applaudissent quand nous passons, mais le reste de la ville dort. Nous buvons ensemble ainsi que les vélocipédistes qui nous accompagnent, une cruche de lait, et nous repartons.
La fraternité vient-elle enfin entre nous, dans la nuit, dans cette épopée extraordinaire ? Si nous cessions quelques instants la lutte ? Faisons le voyage ensemble, c’est plus simple ! Et mes entraîneurs, Tissier et Fournier se joignent à ceux de Jiel et nous derrière, roulant côte à côte, nous suivons sans rien dire. Jiel semple harassé de fatigue. Il ne parle pas et semble déjà être aux mains de ses entraîneurs un objet inerte, « Où coucheras-tu ? » lui demandai-je. - « Je ne sais pas où ils me feront coucher ! » me répondit-il avec peine, et il continue son mouvement uniforme de pédales. Jusqu’à Rennes, nous cheminons ainsi ensemble.
Gaëtan de Knyff se charge alors de moi, me mène à l’hôtel, me fait prendre deux bouillons, tandis que Jiel s’arrête et se repose quelques instants.
Je veux repartir vite, tâcher de regagner alors l’avance perdue ! Gaëtan de Kniff s’élance, mais ne voit pas un trottoir et y brise net sa machine. Alors deux vélocipédistes, Jarrier et Carpentier ont l’amabilité de m’entraîner rondement jusqu’à Montauban-de-Bretagne, quatrième contrôle.
Il est 2 h 15 du matin ; le contrôle est fermé et le contrôleur est dans son lit ! Nous frappons aux volets, on ne répond point. Enfin, un bonnet de coton apparaît et, après dix minutes, je puis signer la feuille ! Ce temps avait suffi à Jiel un peu reposé pour arriver juste derrière moi. Nous nous retrouvions ensemble pour la deuxième fois dans la même nuit. Et ainsi pendant 50 kilomètres, jusqu’à Lamballe, nous fîmes côte à côte encore le chemin, sans nous dire un mot, derrière nos entraîneurs devenus communs, Charron, Rollet, Hamonic, etc !
Mais Jiel se repose encore. Je le quitte de nouveau entraîné par Chevalier jusqu’à Saint-Brieuc où j’arrive à 6h 56 du matin. Je repars vite, sans la moindre halte, vigoureusement mené par Girardin jusque vers Morlaix. J’estimais, à l’allure que je menais et à l’état dans lequel je savais Jiel-Laval que je devais lui avoir regagné une vingtaine de minutes. Encouragé par cette reprise, je pédalais fiévreusement quand, à quelques kilomètres de la ville, ma machine s’affaisse encore une fois ! Encore un clou, et neuf encore !
Nouveau désespoir ! Je continue sur la jante et arrive au contrôle où fort heureusement Duncan et l’ouvrier Michelin m’avaient précédé. Tandis qu’on raccommode mon pneumatique, je prends un bain et je me rhabillais quand j’entends tout à coup dehors crier : « Vive Jiel ! » C’était en effet Jiel qui, dans un bel effort, avait regagné un peu du temps que je lui avais pris et profitait de mon accident pour me dépasser !... Malédiction ! Je n’arriverai jamais à me débarrasser de mon rival !
Vite en selle ! Il est près d’une heure de l’après-midi. Je l’aurai avant peu ! Suberbie m’entraîne. Nous n’avons pas fait 6 kilomètres qu’en effet nous apercevons au loin un point noir qui s’en va, Jiel-Laval ! Nous le tenons !
Crac ! Encore un clou ! Je suis encore crevé !
Un employé du télégraphe et un ouvrier qui passaient s’arrêtent, démontent vivement ma roue et la réparent. Je constate avec plaisir qu’ils travaillent beaucoup plus adroitement que le spécialiste qu’on m’avait envoyé. Mais que de temps perdu ! Et comment regarderai-je jamais, étant déjà derrière mon adversaire, l’énorme avance que cette nouvelle demi-heure lui a donné ?
Néanmoins je repars, furieux, s’appuyant sur ma machine comme si je voulais la briser. Échard est devant moi et s’emploie de son mieux à m’encourager. À Guipavas, une troupe de vélocipédistes nous croise ; au milieu, Jiel-Laval ! C’est Jiel-Laval qui vient de virer à Brest et qui commence le retour vers Paris, alors que moi je termine seulement l’aller !
J’arrive à Brest dans un état d’irritation complet. Un télégramme adressé à cette époque au Petit Journal est ainsi conçu :
« Terront est arrivé à Brest à 4 h 48. Comme Jiel-Laval, il a bu du bouillon, avalé une poire et, après cinq ou six minutes d’arrêt il est reparti. Il ne semble pas fatigué. Son accident de machine a seulement le don de l’exaspérer et il ne décolère pas en le racontant. »
Jiel-laval venait de passer 41 minutes avant moi. La foule à Brest était si compacte que je crus être obligé de descendre de machine et que je fus, malgré l’envie de repartir sans m’arrêter, contraint d’attendre cinq minutes qu’on me servit un bouillon et qu’on fit s’écarter pour me laisser le passage, la cohue qui me pressait de toutes parts.
Échard me fait enfin sortir le la ville. La moitié du trajet était donc fait ! Mais où était Jiel ?
Nous partons, mon pneumatique se dégonfle à vue d’œil ! Je descends de machine. Dans ma roue d’arrière est fichée une épingle ! Je ne veux pas perdre encore du temps à réparer ; la piqûre est petite : je regonfle, puis remonte, mais le pneumatique se dégonfle de nouveau ! Je prends mon parti et roule jusqu’à Landerneau. À deux kilomètres de la ville, Échard casse le boulon de sa chaîne. Me voilà seul !
À Landerneau, on me répare. Lamberjack, Fol et le frère de Grossin, entraîneurs qui attendent Jiel, me voient passer. Legoff m’entraîne. Je suis désespéré et je me demande pourquoi je continue encore à marcher.
Nous continuons ainsi jusqu’à Morlaix. Il fait nuit noire. Échard avec sa petite machine réparée est venu par le train me reprendre et m’emmène vers Guingamp. Mais, épouvantable fatalité ! À Plouigneau, sa roue de devant crève, encore par un clou neuf. - « Allons, va-t-en vite, adieu ! » me dit-il.
Je pars, mais n’avais pas fait 100 mètres que ma roue arrière crève aussi ! Toujours un clou ! Des paysans viennent avec des lanternes et m’éclairent. Ils me racontent qu’une demi-heure auparavant, malheur pareil au mien est arrivé à un autre vélocipédiste dont on est en train de réparer la machine. À la description qu’ils m’en font, je comprends qu’il s’agit de Jiel Laval. Je reprends courage et au bout d’une heure je repartais sur mon caoutchouc réparé. Guingamp était à 50 kilomètres et je n’avais pas d’entraîneur, et il faisait nuit complète !
Un vélocipédiste qui passait sur la route, juché sur un bicycle de fer de l’antiquité eut pitié de moi et m’accompagna jusqu’à Pontout où il réveilla un de ses amis, adjoints au maire, maître d’école et vélocipédiste fervent qui se fit un plaisir de me conduire jusqu’à Belle-Ile. Lamy devait m’y prendre mais m’annonça que son pneumatique était crevé et qu’à Guingamp je trouverai un entraîneur. Je continuai donc seul le chemin !
J’arrivai à Guingamp à 2 heures du matin et me rendis à pied au café où, selon les conventions, je devais trouver mon entraîneur. J’y trouvai là en effet Gaëtan de Knyff qui me raconta que Jiel-Laval, très fatigué, venait de se coucher !
Jiel-Laval couché, quelle providence venait à mon secours ? À fond de train nous nous mettons en route sans que personne ait vu notre départ, et à 3 h 35 du matin j’atteins Saint-Brieuc où Rollet et Chevallier se joignent à mon entraîneur.
Je savais que de Civry était à Lamballe où j’allais passer. Le chemin indiqué sur la carte était, dans Lamballe, en face de la gare, sur le macadam. Je connaissais fort bien la ville, pour y être venu souvent pendant mon service militaire, et je recommandai à mes entraîneurs de passer droit à travers le pays, sur le pavé, afin d’éviter un café où j’avais tout lieu de croire que se tenait de Civry. C’est cette manœuvre qui explique que, au moment où ensuite Jiel-Laval arriva, de Civry se soit écrié : « Terront ? Il doit être couché puisqu’il n’est pas passé ! » J’étais bien passé, mais non sous ses yeux !
[|***|]
Plus loin je rencontrai des vélocipédistes qui, en me voyant arriver, crièrent à toutes forces : « Vive Jiel-Laval ! » À Langouec, je bus du lait à même dans un seau. À Broons, Gaetan de Knyff, qui m’avait rendu de si grands services me quitta et je restai en compagnie de Rollet et de Chevalier. Je m’étonnai de voir que depuis que j’avais dépassé mon rival je ne rencontrais plus de clous, sur la route. J’atteignis enfin Montauban-de-Bretagne à 7 h 40 du matin, le mardi.
À Rennes, je me lavai, me fis frictionner et Carpentier, suivi d’une vingtaine de cyclistes, m’accompagna. De Civry, qui se trouvait alors chez un agent de Clément, Bousquet, entendant les trompes de cette petite cohorte, crut qu’une bande de cyclistes passait, lorsqu’il me reconnut il rentra vite dans le magasin. Je filai ainsi sans encombre jusqu’à Vitré.
À Laval, j’arrivais à 1h 32, la figure en sang ! Un violent saignement de nez m’avait en effet pris à quelques kilomètres et j’en éprouvais plutôt du soulagement. Je me débarbouillai, bus un bouillon et repartis. J’ignorais en effet si Jiel-Laval ne s’était pas levé à Guingamp aussitôt que j’eus passé et si dans un effort désespéré, il ne venait pas à ma poursuite. Lainé me servait d’entraîneur alors, et à 5 h 40 nous entrions dans le village de Pré-en-Pail.
Là je fus aux mains de l’excellent sportman René de Knyff qui me fit frictionner et voulut, avec raison, me faire manger. Je pris donc une tartine de pain beurré, le premier aliment que je prenais depuis Paris, bus du bouillon et un peu de jus de viande, et en route ! J’arrivai à Alençon à 7h10. Là j’appris avec certitude que Jiel était resté couché trois heures à Guingamp et que j’avais deux heures et demie d’avance sur lui.
J’avais donc enfin, presque sans conteste, à moins d’un grave accident, la course gagnée. Je ne souffrais ni de la faim, ni de la fatigue, ni du sommeil, mais j’avais encore une nuit entière à passer !
Au moment où je remontais en machine, arriva une dépêche : Jiel-Laval n’était plus qu’à dix minutes de moi ! La dépêche était fausse, je l’ai su plus tard, mais elle ne m’en donna pas moins des jambes ! Par qui avait elle-été envoyée ? On ne me l’a jamais dit, mais en tout cas elle avait pour but de m’empêcher de me reposer. Mais venait-elle d’un ami ou d’un ennemi ? Je détalai au plus vite.
Je change d’entraîneur. Cette fois c’est M. de Balagué qui me mène. Je voulais dîner à Alençon, mais si Jiel est à dix minutes, adieu l’appétit ! Dans la côte qui précède Mortagne, Thouvenin vient à ma rencontre avec une douzaine de vélocipédistes et nous fait escorte. Toute la ville de Mortagne est sur pied ! On tire un feu d’artifice dès que j’arrive et, une jeune enfant, Mlle Thorel, vient m’apporter un bouquet. J’embrasse la fillette qui n’a pas peur de ma figure noire et sale et je fausse compagnie aux milliers de spectateurs qui m’applaudissent.
Nous voici de nouveau dans les ténèbres. La route éternelle défile. Tout d’un coup je heurte dans la nuit une branche d’arbre, je tombe et casse une des manivelles de ma machine ! Est-ce que la guigne allait me reprendre ? Impossible de continuer, et nous étions dans une descente ! Je me mets à pleurer ! Mais pleurer me soulage. Je remonte et pousse d’un pied jusqu’à une maison devant le village de Saint-Maurice dont mon entraîneur, M. de Balagué, va prévenir le propriétaire qui soupait joyeusement avec des amis en attendant le passage des coureurs !
C’était précisément un forgeron ! Je lui donne deux pièces de 100 sous et lui dis de déclaveter prestement la manivelle de la machine de mon entraîneur, pendant que moi je déclavette le morceau de manivelle qui est resté à mon pédalier. Mes mains fatiguées, énervées, tremblent, mais en quelques minutes le mal est réparé. Je replace la manivelle de mon entraîneur sur ma machine et je reprends le galop ! 10 kilomètres plus loin, près d’Armentières, je rencontre, qui venaient au-devant de moi, Tappa et mon frère Jules. Thouvenin m’avait d’ailleurs accompagné depuis Mortagne ainsi que je l’ai dit et ne me quitta pas jusqu’à Verneuil.
J’arrive à Dreux, où je bois du champagne, puis à l’avant-dernier contrôle, la Queue-les-Yvelines, à 3 h 30 du matin, où je bois un peu d’eau. Partout on me répète que Jiel est à mes trousses et va me dévorer ! Impossible de contrôler les nouvelles. Le plus sage est de fuir, toujours, toujours !
Désormais les entraîneurs ne manquent pas. Plus j’approche de Paris, plus les amateurs vélocipédistes tiennent à m’accompagner. Voici Versailles. Il est 5 h 1/2 du matin ! Le jour vient de se lever. Une centaine de cyclistes sont venus au-devant de moi et m’acclament. Je les salue, et au bas de la côte de Picardie, je bois une petite bouteille de champagne.
Je repars, monte la côte que d’autres à côté de moi montent à pied et je redescends à toute allure vers Ville-d’Avray.
Mais comment entrerais-je dans Paris dans l’état sale où je me trouvais ? Les saignements de nez ne m’avaient pas quitté. J’avais la figure bariolée par le sang et la poussière ! Je voulais à tout prix me laver et changer de vêtements et, comme la chose avait été convenue avant mon départ, ma mère m’attendait à Ville-d’Avray avec des vêtements propres. Mais l’ombre de Jiel-Laval me poursuivait toujours ! Il arrive ! Le voilà ! me répétait-on, et je repartis à toute allure sans attendre d’autres explications !
La foule des vélocipédistes s’accroissait toujours. Un réel régiment sur roues me suivait, criant sans cesser depuis Ville-d’Avray jusqu’à Paris : « Vive Terront !... Vive Terront ! » Enfin, je traversai Suresnes, le bois de Boulogne et j’arrivai à l’entrée du boulevard Maillot au bout duquel était le but.
Je ne décrirai pas l’énorme quantité de curieux qui se pressaient de chaque côté de l’avenue. Cette ligne droite, blanche et entourée de noir de chaque côté semblait une immense carte de visite bordée de deuil !
Le soleil brillait. Un millier de cyclistes criaient, entonnaient des hourras et des bravos ! Je voulus faire une arrivée convenable et, baissant la tête sur le guidon, je commençai à emballer tant que je pus ! Alors ce fut du délire dans la foule qui se resserrait en courant derrière moi aussitôt que j’étais passé, et je franchis le poteau !
On se précipite. On veut m’enlever de ma machine. Mais je descends tout seul. M. Thomas, président de la course, me prend, m’embrasse et me mène au contrôle. Il est 6 h 12 du matin. Il y a soixante et onze heures et demie (71 h 35) que je suis en machine !
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On connaît la fin de cette extraordinaire victoire, l’une des plus fantastiques de ma vie. Jiel-Laval n’était pas à mes trousses comme on me le disait, puisqu’il n’arriva qu’à 3 h 40 de l’après-midi ! Je dois ajouter que Jiel, qui a toujours été un loyal adversaire et un parfait sportsman est venu lui-même, et très sincèrement, me complimenter. Sa poignée de main donna à mon triomphe une valeur de plus.
Aussitôt lavé et frictionné à l’eau de Cologne, je me mis au lit, mais je ne dormis point. J’étais trop énervé. L’extrémité de mes doigts, cramponnés si longtemps à mon guidon, me faisait seule souffrir ainsi que mes yeux que la poussière et la réverbération du soleil avaient congestionnés. J’étais d’ailleurs halé comme un paysan.
Ne pouvant dormir, je demandai à manger et avalai l’un après l’autre un bol de chocolat gigantesque, une soupière de soupe au fromage, deux œufs, un bifteck et une bouteille de Bordeaux. Le tout passa sans la moindre peine et deux jours après j’étais remis.
Dix-huit banquets successifs me furent offerts. Mon portrait parut dans presque tous les journaux de France et c’est de cette épreuve gigantesque que date ma grande popularité dans notre pays.
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Cette extraordinaire performance, que je crois imbattable, dans les mêmes conditions ( machine de 21 kg, caoutchouc encore imparfaits, etc.) pouvant sembler à quelques-uns dépasser les forces humaines, j’ai tenu à demander à tous mes entraîneurs d’affirmer sur leur honneur que ma course avait été loyale d’un bout à l’autre et que je n’ai pas fait pendant tout le parcours, la moindre infraction soit à la probité sportive, soit aux règlements même spéciaux à cette course. Les voici donc par ordre :
Paris, le 27 janvier 1893.
Mon chère Charles,
Tu me demandes un certificat ; c’est avec grand plaisir que je t’envoie mon testimonial, quoique entre nous cela soit bien inutile, car plus de 10 000 personnes ont été à même de constater ce qui suit :
« Charles Terront a été entraîné par moi pendant le parcours de Paris à Versailles et je donne ma parole d’honneur qu’il a marché de la façon la plus loyale.
« Au retour de Versailles à Paris, j’étais également son entraîneur et je puis certifier la même chose. »
À toi,
Antony
Nancy, le 31 janvier 1893.
Mon cher Charley,
Je t’envoie le certificat que tu me demandes.
Je jure sur l’honneur d’avoir entraîné Ch. Terront dans la course de Paris à Brest du bas de la côte de Picardie à la Queue-les-Yvelines. Pendant tout ce parcours, Charley a fait preuve du plus grand courage ; nous étions accompagnés par MM. de Balagué, Tappa, Jules Terront, Alderton, etc. Tout s’est passé avec la plus grande loyauté. Je m’en rapporte, du reste, aux personnes qui étaient avec moi.
Camille Thouvenin.
Angers, le 3 février 1893
Cher monsieur,
C’est à l’aller que je vous ai accompagné, entre Dreux et Alençon. Je montais une machine Humber demi-course avec de légères-roues à caoutchoucs creux ( ce détail insignifiant a pourtant son importance). Vous souvenez-vous qu’en montant une côte rapide et très longue ( entre Dreux et Mortagne) vous vous êtes plaints du poids de vos roues Michelin désavantageuses dans les côtes ?
C’est alors que, sans réfléchir, je vous offris ma machine plus légère et par conséquent plus avantageuse à la côte.
Vous m’avez alors rappelé la clause qui défendait formellement tout changement de machine et, de mon côté, je vous demandai pardon d’avoir mis involontairement votre vertu à l’épreuve.
Veuillez agréer, cher monsieur, l’assurance de ma considération la plus distinguée.
Cordiale poignée de main et Bien à vous
G. D’Arboval
Paris, le 27 janvier 1893
Je crois devoir apporter aussi mon testimonial, au sujet de la course Paris-Brest. Je t’ai entraîné d’Alençon à Mayenne à l’aller et je me tiens à ta disposition pour donner ma parole que pendant ce parcours, tu as marché très loyalement en observant tous les règlements de la course.
Je te serre la main et mes souhaits,
À toi,
L. Comiot.
Paris, le 20 janvier 1893.
Mon cher Terront,
J’affirme que durant les parties du parcours de Paris à Brest sur lesquelles je t’ai servi d’entraîneur, tu as couru absolument d’une façon loyale.
Je t’ai accompagné de Mayenne à Laval, puis de Morlaix à Landivisiau, endroit où mon pneumatique s’étant crevé, j’ai été forcé d’abandonner.
Je te serre cordialement la main.
L. Suberbie.
Laval, le 17 janvier 1893.
Ayant entraîné Charles Terront de Laval à Rennes et de Laval à Pré-en-Pail, pendant la course de Paris-Brest, je jure sur mon honneur que pendant tout le temps que je l’ai accompagné, nul de nous ne l’a poussé ni tiré.
J’ajouterai même que dans la côte des Cheminées, située avant Pré-en-Pail, et une des plus fortes du parcours, il a absolument refusé le concours de l’un de nous qui voulait l’aider à gravir cette côte.
A. Lainé, Champion de la Mayenne
Paris, le 19 janvier 1893.
Mon cher Charles,
Je vous ai entraîné de Mortagne à Alençon à l’aller et de Pré-en-Pail à Alençon au retour ; j’affirme sur l’honneur que pendant le temps que j’étais avec vous, vous avez couru de la manière la plus loyale.
Bien à vous.
René de Knyff.
Rennes, 16 janvier 1893
Je soussigné, E . Carpentier fils, demeurant à Rennes, certifie avoir entraîné dans la course Paris-Brest, Charles Terront, depuis Rennes jusqu’à Montauban, dans l’aller, et le retour de rennes à Laval.
J’atteste par cette présente, que Charles Terront à marché avec la plus grande loyauté.
Je le répète : Charles a fait sa course loyalement et je me fais un devoir de lui remettre cette attestation.
E. Carpentier fils.
Saint-Brieuc, le 16 janvier 1893.
Devant les accusations malveillantes à ton égard, publiées dernièrement par un journal de notre sport, je me fais un devoir de déclarer, et n’hésite pas à donner ma parole d’honneur que, pendant tout le temps que j’ai été avec toi, dans la course de Paris-Brest, tu as toujours marché de la façon la plus loyale.
À l’aller, de Lamballe à Saint-Brieuc, j’étais seul avec toi. À partir de cette dernière localité, M. Girardin est venu se joindre à nous et j’ai continué jusqu’à Chatelaudren.
Au retour, je t’ai accompagné de Saint-Brieuc à Rennes (100 km) ainsi que Rollet. M. de Knyff qui partait avec nous de Saint-Brieuc s’était, je crois, arrêté à Broons.
Ton ami dévoué,
Chevalier.
Paris, le 18 janvier 1893.
Je m’empresse de répondre à ce que tu me demandes dans ta lettre.
Je certifie sur l’honneur que, tant que je t’ai accompagné dans la course Paris-Brest, tu as couru avec une parfaite loyauté et que tu ne t’es nullement fait tirer.
En attendant le plaisir de te voir, je te serre la main.
A. Girardin.
Paris, le 10 février 1893
Mon cher Terront,
J’atteste que pendant le parcours de Morlaix à Landerneau et de Landerneau à Morlaix, trajet pendant lequel j’ai eu le plaisir de vous accompagner, vous avez couru loyalement.
A. Girardin.
Paris, le 10 février 1893.
Mon cher Terront,
J’atteste que pendant le parcours de Morlaix à Landerneau et de Landerneau à Morlaix, trajet pendant lequel j’ai eu le plaisir de vous accompagner, vous avez couru loyalement.
Votre tout dévoué, Le Goff
Mon cher Charles,
Selon ton désir, je t’envoie l’attestation que tu me demandes, trop heureux de t’être utile dans cette occasion.
J’affirme sur l’honneur que tu as couru de la façon la plus loyale pendant tout le temps où j’ai pu te servir d’entraîneur dans Paris-Brest, c’est à dire de Vitré à Rennes, de Landerneau à Brest, de Brest à Landerneau, de Morlaix à 10 kilomètres au delà où je me suis arrêté par suite de crevaison de pneu, à 5 kilomètres de Landerneau, retour de Brest, j’ai dû aussi te quitter, le boulon de ma chaîne s’étant brisé, et je suis revenu de cette distance en voiture où une personne obligeante m’avait offert une place, toi me précédant de quelques centaines de mètres.
Bien cordialement à toi.
F. Échard.
Paris, le 16 février 1893.
Mon cher Terront,
Je vous ai accompagné, lors de votre course Paris-Brest, au retour, de Guingamp à Broons et de La Queue-les-Yvelines à Versailles. Je suis prêt à certifier que pendant tout le temps que vous avez été avec moi, vous avez marché de la façon la plus loyale et en vous conformant aux règlements de la course.
Veuillez croire, mon cher Terront, à l’assurance de toute ma considération.
Gaëtan de Knyff.
Boulogne-sur-Seine, le 19 janvier 1893
J’ai eu l’honneur d’entraîner Charles Terront dans sa belle course de Paris-Brest d’au-delà de Verneuil-sur-Avre ( environ 20 kilomètres de cette ville ) jusqu’à la jonction avec les nombreux vélocipédistes venus de Paris ; quand je rencontrai l’ami Charley, il était avec Thouvenin et ils marchaient côte à côte en causant.
L’allure était alors d’au moins 20 kilomètres à l’heure et c’est ainsi que lui seul faisant les frais de la conversation, nous atteignîmes Dreux ; à notre passage à Verneuil, Charley, très frais et très dispos, a lui-même regonflé son pneumatique en présence d’Echalié et de Dupressoir, lesquels étaient entraîneurs de Jiel-Laval et attendaient ce coureur ; il sautait de sa machine et y montait avec la plus grande facilité et s’occupait beaucoup plus de moi que de lui-même, m’évitant ainsi plusieurs chutes.
P. Tappa
Mon cher Charles,
Je t’ai entraîné, en compagnie de ton frère Jules, de Dreux à Paris ; je certifie que, non seulement tu as fait le parcours loyalement, mais que ton arrivée au dernier contrôle a été particulièrement brillante, car, un kilomètre avant la queue, après avoir accentué ton allure, tu as signé au contrôle avant que tes entraîneurs aient pu descendre de machine. C’est là un petit incident dont tu te souviendras et que Alderton, qui était avec toi, se rappellera assurément.
Voici donc ce qui te prouve mieux que n’importe quel prétexte que tu es arrivé sur ta bicyclette.
Je fais cette déclaration non seulement sous la forme du serment mais sur mon honneur. Sois persuadé que tu peux compter sur moi et sur mon concours en toute occasion où mon affirmation serait officiellement nécessaire.
F. Barroché.
J’ajouterai enfin cette dernière lettre de Charron, un des entraîneurs les plus acharnés de Jiel-Laval, qui m’a accompagné pendant la fameuse nuit où nous marchions côte à côte Jiel-Laval et moi :
Mon Cher Charles,
Tu me demandes mon opinion sur ta course de Paris-Brest-Paris. Pour mon compte personnel, quoique j’entraînais ton concurrent Jiel-Laval, je ne puis que te donner l’assurance de ma considération la plus sincère pour ta merveilleuse course, car j’ai fait environ 300 kilomètres avec toi, et j’ai pu me rendre compte et puis certifier que tu as couru loyalement.
Bien à toi,
F. Charron
Qu’on me permette ici de remercier chaleureusement tous les amis, tous les camarades connus ou inconnus, tous les amateurs de sport qui, par leur assistance continuelle, m’ont puissamment aidé dans ces trois dures journées. Je dois à mes entraîneurs une grosse part de mon succès et je tiens à la leur donner.