Roue trop libre (1899)

dimanche 25 septembre 2022, par velovi

Par Paul de Vivie, alias Vélocio, Le Cycliste, 1899, p.207, Source Archives départementales de la Loire, cote PER1328

Ma bicyclette à roue libre vient de me jouer un tour pendable. Je revenais de Lyon à Saint-Étienne par le chemin de l’école (Condrieu, Saint-Julien et cette Croix-de-Chaubourey qui doit commencer à faire l’effet d’une scie sur les lecteurs du Cycliste).
C’était hier, 27 novembre, dans la plaine, temps gris  ; entre 300 et 500 mètres d’altitude brouillard à givre  ; au-dessus de 500 mètres, soleil radieux mais froid vif qui allait s’accentuant à mesure que je m’approchais du col, à 1.200 mètres où il gelait à pierre fendre... et du soir.
Soudain, entre Colombier et Gray, ma roue libre le devient tellement qu’elle se désintéresse complètement des pédales et m’immobilise en pleine montée.
Tout en poussant ma machine au pas de course je me demande par quel curieux phénomène les quatre cliquets chargés d’entraîner la roue et de la rendre, dans le mouvement en avant, solidaire des pédales, refusent tous à la fois le service.
Je finis par conclure que l’huile chargée d’assurer le libre jeu de ces délicats organes a dû se congeler et qu’elle retient les cliquets prisonniers dans leurs alvéoles.
Il s’agit donc de la dégeler  ; malheureusement, n’étant pas fumeur, je n’ai pas même une allumette sur moi et force m’est de pousser jusqu’à Gray. Je couche ma bicyclette sur le flanc, verse du pétrole sur les pignons et y mets le feu.
Victoire  ! mon diagnostic était juste et ma roue fonctionne comme ci-devant  je repars gai et content sans me munir d’allumettes, si bien qu’à trois kilomètres de Gray l’huile se recongèle et me voilà derechef bien embarrassé.
Je continue ma route au pas gymnastique à cause du froid intense et puisque me voici au point culminant et que je n’ai plus qu’à descendre, je n’aurai qu’à me laisser rouler.
Seulement comme la pente n’est pas uniforme et qu’à certains passages la route monte même légèrement, j’étais obligé d’entretenir la vitesse de ma machine par de vigoureux appels du pied droit, le pied gauche restant sur le marchepied, et les gens qui me voyaient exécuter cette manœuvre devaient se demander si je jouissais bien de tout mon bon sens.
J’arrivai tout de même à Saint-Étienne avec une petite heure de retard et je m’empresse de signaler le fait aux cyclistes à roue libre afin qu’ils ne soient pas, le cas échéant, embarrassés pour si peu.
Réchauffer son moyeu sur un petit feu de brindilles de bois sur le bord de la route et l’on sera sauvé pendant au moins trois kilomètres.
Le mieux serait encore d’employer un lubrifiant incongelable et cependant très fluide.
Cet incident plutôt désagréable m’a amené à réfléchir sur les divers modes d’action des mouvements imaginés pour rendre les roues libres et qui peuvent être ramenés à deux types  :
Le type Whippet à rochets et à cliquets agissant soit dans le sens du rayon, soit dans le sens de la tangente, mais dépendant toujours de ressorts et exposé à s’engourdir sous l’action du froid dans l’huile congelée, et le type Juhel à galets dont on prétend que l’action est moins sûre mais qui me paraît devoir échapper à l’objection ci-dessus.
Il y a lieu d’expérimenter à fond et dans toutes les circonstances ces deux systèmes qu’on a diversifiés à l’infini mais qui sont toujours faciles à reconnaître.
Un avantage de la roue libre sur lequel personne n’a encore attiré l’attention, c’est de pouvoir faire un virage court avec guidon étroit sans heurter le guidon du genou. En gardant les pieds immobiles sur les pédales pendant le virage on vire sur place admirablement.
Que chaque Freewheeliste apporte ses observations pour ou contre la roue libre et nous finirons par savoir ce qu’elle vaut.

Vélocio.

Traduction automatique en anglais :

My freewheel bike just pulled a real prank on me. I was coming back from Lyon to Saint-Étienne on the ‘school route’ (Condrieu, Saint-Julien and that Croix-de-Chaubourey which must be starting to feel like a saw to the readers of the Cycliste).
It was yesterday, 27 November, in the plain, grey weather ; between 300 and 500 meters altitude fog and hoar frost ; above 500 meters, radiant sunshine but a sharp cold that was growing as I approached the pass at 1,200 meters, where it was freezing solid… and in the evening.
Suddenly, between Colombier and Gray, my freewheel became so disengaged that it completely ignored the pedals and left me stuck in the middle of the climb.
As I pushed my bike on foot, I wondered what curious phenomenon had caused all four clickers, which are responsible for driving the wheel and making it one with the pedals during the forward motion, to all refuse service at the same time.
I eventually concluded that the oil, which is responsible for ensuring the free play of these delicate mechanisms, must have frozen and was now trapping the clickers in their alveoli.
So the task was to defrost it ; unfortunately, not being a smoker, I didn’t even have a match on me, so I had to push all the way to Gray. I laid my bike on its side, poured petrol on the cogs and set fire to it.
Victory ! My diagnosis was correct and my wheel was working as usual ; I set off happily, without matches this time, only for the oil to freeze again three kilometres from Gray, leaving me in a very awkward situation.
I continued my route on foot due to the intense cold, and since I was at the highest point and all I had left to do was descend, I just had to let myself roll.
Only since the slope wasn’t uniform and there were certain points where the road even went up slightly, I was forced to maintain the speed of my machine with vigorous kicks from my right foot, with my left foot on the footrest, and people who saw me doing this manoeuvre must have wondered if I was in full possession of my senses.
I arrived in Saint-Étienne all the same, an hour late, and I quickly informed the freewheelers so they won’t, if necessary, be embarrassed by such a small matter.
Warming up the hub on a small fire of wood chips by the side of the road will be salvation for at least three kilometres.
The best thing to do would be to use an unfreezable but very fluid lubricant.
This rather unpleasant incident made me reflect on the various ways of making the freewheel movement, which can be divided into two types :
The Whippet type with ratchets and clickers, acting either in the direction of the radius or the tangent but always depending on springs and vulnerable to freezing in the oil, and the Juhel type with rollers, which is said to have less secure action but which seems to me to avoid the objections above.
It is necessary to experiment thoroughly and in all circumstances with these two systems, which have been diversified infinitely but which are always easy to recognise.
An advantage of the freewheel which nobody has yet drawn attention to is being able to make a sharp turn with a narrow handlebar without hitting the handlebar with the knee. By keeping the feet immobile on the pedals during the turn, you can turn on the spot wonderfully.
Let each Freewheeler bring his observations for or against the freewheel and we’ll eventually know what it’s worth.

Vélocio

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