Cartes Routières Vélocipédiques (1892)

mardi 11 janvier 2022, par velovi

retro 1937
JANVIER 1892
Cartes Routières Vélocipédiques
Il y a longtemps que je rumine cette question des cartes spéciales aux cyclistes, touristes et même aux recordmen, et je ne suis pas le seul puisqu’il n’est pas de journal aujourd’hui, à commencer par Le Cycle et à finir par Le Véloce Sport, qui ne se mette à dresser des cartes ad usumn cyclistorum. Ces cartes, à vrai dire, ne sont que des itinéraires fixes qui ont leur point de départ dans le profil de la route Paris-Brest, dressées à l’occasion de la fameuse course du 6 septembre. Se mettre en route pour un voyage de tourisme avec ces itinéraires dans la poche, cela revient à prendre un billet de chemin de fer pour un parcours déterminé dont on ne pourra pas s’écarter si la fantaisie vous en prend.
Incontestablement, si l’on pouvait emporter avec soi le profil de toutes les routes véloçables de France, on pourrait se permettre toutes les fantaisies et modifier son itinéraire à volonté... à condition de se faire suivre par quelques wagons-poste où tous ces profils, classés et numérotés, seraient empilés.
Ce système très encombrant a d’autres défauts graves. D’abord le profil n’indique le plus souvent les pentes réelles que d’une façon fort approximative, et, m’amusant ces jours-ci à comparer les déclivités d’un itinéraire du Cycle avec la légende explicative qui était au coin de la feuille, j’ai relevé des contradictions flagrantes entre les deux. Alors que la légende marquait belle route plate jusqu’à Nomexy, le profil serpentait terriblement.
Vous allez me répondre qu’erreur ne fait pas compte et que, Errare hunamum étant, il n’y a pas de système qui puisse échapper à la contradiction. Je vous l’accorde et je passe à un autre défaut ; pour ne pas prêter à la critique et pour inspirer confiance, un profil doit être non pas approximatif, mais rigoureusement exact. Dans l’itinéraire Paris-Brest, d’où sont sortis tous les autres, je me rappelle que des sommets marqués à l’altitude de 300 mètres étaient moins élevés sur la carte que d’autres qui allaient à peine à 180 mètres.
En admettant que le profil indiquât exactement les déclivités de la route, il n’en indiquait certainement pas les proportions.
Pour qu’un profil puisse être accepté, il faut qu’il soit dressé à une échelle régulière, exactement comme celui des voies ferrées. Ce serait un travail tel qu’il vaut mieux le laisser à nos petits neveux, à qui nous préparons assez de bon temps et de distractions agréables pour qu’ils n’aient pas à se plaindre une nous leur laissions aussi quelque chose à potasser.
A un autre point de vue et non le moins important, je suis d’avis que l’on devrait adopter un système général de cartes routières spéciales pour vélocipédistes, qui permette à chacun de nous, chacun dans sa région, d’y collaborer sans être pour cela un savant en us ; ce serait une façon d’aller plus vite et d’obtenir en peu de temps une carte complète de toutes les routes véloçables de France ; le vœu de tous les touristes enfin exaucé !
De tous côtés se fondent des journaux cyclistes, s’organisent des sociétés de touristes ; si tous travaillaient sur un même plan au lieu de tirer chacun de son côté ; si l’on pouvait coordonner et grouper sur la même carte les résultats recueillis en même temps sur tous les points du territoire, mais, en vérité, à la fin de l’année, nous aurions déjà notre carte de France... vélocipédique.
Il s’agit donc de s’entendre et de se mettre d’accord avant de commencer, et je fais appel ici non seulement à tous nos abonnés, mais à tous nos lecteurs, de même qu’à toutes les sociétés vélocipédiques ou de marche, aux cyclistes, aux pédestrians, bref à tous les touristes.
Quels sont d’abord nos desiderata ? Que nous importe-t-il de savoir, que nous ne trouvions pas sur les cartes actuelles ?
En premier lieu, la viabilité des routes et chemins ; j’entends par viabilité non seulement l’état habituel plus ou moins carrossable du sol, mais encore les pentes du terrain qui peuvent à un moment donné devenir par leur roideur un obstacle, sinon à la carrossabilité, du moins à la véloçabilité, et nous obliger à pousser nos machines, ce qui n’humilie ni ne retarde, car j’ai maintes fois remarqué qu’on fait beaucoup plus de chemin en mettant pied à terre dès que la montée exige une trop grande dépense de forces qu’en s’obstinant à pédaler quand même.
Après la viabilité, viennent les points intéressants à visiter, les distances exactes et les ressources, au point de vue exclusif du tourisme vélocipédique, des régions que l’on traverse : hôtels recommandés, mécaniciens spécialistes, notabilités cyclistes auprès desquelles on pourra trouver des renseignements, etc..., etc...
Tout le reste, c’est-à-dire la topographie, les villes, villages et hameaux, les cours d’eau, les chemins de fer, passage à niveau, etc., les cartes de l’État-major, sur lesquelles je compte baser tout mon système nous l’indique amplement.
Nous pourrons emprunter quelques détails utiles sinon indispensables à la carte au 1/100.000’ du Ministère de l’intérieur, par exemple le nombre d’habitants des villages et des petites villes.

Ces préliminaires une fois posés, voici en quoi consiste mon projet sur lequel j’appelle du reste les objections de tous mes lecteurs.
Prenant pour base la nouvelle carte d’État-major au 1/200.000e dont l’usage se répand de plus en plus généralement parmi les vélocemen-touristes, et qui m’a toujours paru la plus appropriée à notre mode de locomotion rapide, j’applique sur la feuille n° 53, qui comprend St-Etienne et Lyon, et dont je me sers fréquemment, une feuille de papier de même format, parcheminé et transparent, c’est-à-dire fort et léger en même temps que je retiens en place à demeure en la collant par un des côtés. Cela fait, je décalque sur le transparent les routes que je connais ou que je compte explorer. J’y pose régulièrement les bornes kilométriques aux endroits mêmes où on les trouve sur la route, c’est-à-dire que la borne 59 se trouvera en haut de la montée de La Fouillouse, et la borne 57 au sommet de la côte de La Gouyonnière, où elles sont en réalité, puis au passage à niveau du Coteau, la borne 35. Où commence le kilométrage et où il finit, je l’indiquerai quand je parviendrai à le savoir, ce qui n’est pas toujours facile ; entre deux points extrêmes, je noterai la distance exacte qui relie la borne terminale à la borne initiale, afin que les recordmen, et même les simples touristes qui tiennent un compte exact des kilomètres parcourus, puissent, en additionnant les bornes kilométriques régulières et les raccords de longueur irrégulière, savoir, à dix mètres près, le parcours effectué pendant telle ou telle excursion.
Ayant ainsi aligné et numéroté les bornes kilométriques, je m’appliquerai à représenter par des signes conventionnels très simples et très lisibles les pentes et déclivités ; je propose les suivants :
Un pointillé indiquera le plat et les déclivités inappréciables. Une descente faible (1 à 2 %) se présente-t-elle, une ligne inclinée, dans le sens de la descente m’en montrera le commencement. Si, après quelques kilomètres, la descente devient moyenne (2 à 4 %), je placerai une ligne double formant le V ; puis, en arrivant à une partie plus roide encore (4 à 6 %), je représenterai cette pente par une flèche simple cette fois ; enfin, pour une descente de 6 à 8 %, que je considère comme un maximum pour un touriste, je prendrai une double flèche ou deux V réunis au sommet. La continuité de la pente sera simulée par un trait noir allant de la pointe de la première ligne dans le creux de la seconde.
Quand deux lignes s’embrasseront, cela marquera un dos d’âne, et, quand elles se croiseront, cela voudra dire sommet plat ; les creux seront représentés par deux ou trois points indiquant le plat.
Les lignes inclinées seront placées à tous les changements d’inclinaison et, selon le sens dans lequel on les rencontrera, signifieront montée ou descente ; les altitudes indiquées aussi fréquemment que possible rectifieront vite les mauvaises lectures.
Quant aux rampes impraticables au-dessus de 8 %, on pourra les indiquer par de gros traits noirs.
L’état habituel du sol pourra être signalé par des lettres de distance en distance : bb — bon ; aa = excellent ; pp = passable ; mm — mauvais ; xx = très mauvais ; le pavé, par des hachures. Nous avons reproduit tous ces signes conventionnels, que chacun peut du reste modifier à son gré, dans un exemple que les lecteurs trouveront ci-après, et qui leur permettra de se rendre compte de la façon dont nous entendons dresser notre plan cartographique. En plaçant cette feuille sur la carte d’État-major au 1/200.000e, on verra qu’elle s’y applique exactement et qu’on peut lire sur l’une les détails qui manquent sur l’autre.
En généralisant ce procédé, on pourra, sans augmenter son bagage de cartes et d’itinéraires, voyager partout en France, en obéissant à son caprice et sans être tenu de suivre un trajet invariable.
Je crains de ne m’être pas fait comprendre assez clairement, et surtout de ne pas avoir fait remarquer, autant que je l’aurais dû, les avantages qu’il y aurait à posséder une carte de ce genre qui compléterait d’une si heureuse façon celle déjà si précieuse de l’État-major, mais je suis convaincu que la discussion à laquelle l’exposé de mon sujet ne va pas manquer de donner lieu dans nos colonnes élucidera les points restés obscurs et facilitera les moyens d’exécution dont je n’ai rien dit encore.
Vélocio.

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