excursions du cycliste nov dec 1925

jeudi 31 octobre 2024, par velovi

Un joli tour d’une centaine de kilomètres à faire dans la matinée, histoire de se dégourdir les jambes, de s’aiguiser l’appétit et de fêter dignement le 11 novembre, jour du triomphe des Poilus : Il y a de tout dans l’itinéraire que j’ai choisi, d’abord 40 kilomètres plats et monotones m’amènent à 9 heures et quart au delà de Feurs ; j’étais parti à 7 heures et demie, de sorte que, grâce à mon grand développement de 7 mètres j’ai moyenné là du bon 22 à l’heure. J’aborde peu après les monts du Lyonnais par une montée de quelques kilomètres à moyenne d’environ 5 % qui se termineront pour moi un peu au delà de Saint-Martin-Lestra, sur la route Clermont-Lyon ; avec ma 3e vitesse de 5 m. j’en viens à bout aisément à 12 ou 14 à l’heure et je m’engage à droite sur un chemin de grande communication qui descend au fond d’un ravin pour remonter dare dare à Virigneux Dans ce bas-fond où le soleil n’a pas encore pénétré, le froid me paraît plus vif qu’au départ. Les terres, les prés, les bois, les routes elles-mêmes, tout est couvert de gelée blanche et les flaques d’eau glacée craquent sous les roues. Ce paysage que j’ai vu, il y a peu de temps, verdoyant et fleuri, ainsi métamorphosé, me semble tout nouveau.
Et voici que le clocher de Virigneux m’apparaît en plein ciel. Par une illusion d’optique qui pourrait peut-être bien m’être personnelle, vu du point où je suis, au fond du ravin qui sépare Virigneux de Saint-Martin, ce clocher me paraît beaucoup plus haut perché qu’il ne l’est en réalité ; ainsi le vis-je la première fois qu’il me surprit, émergeant au-dessus d’un brouillard qui comblait la dépression qu’il domine, et qui, le voilant par intervalle, laissait croire à quelque fantomatique cité de Dieu s’élevant au-dessus des nuées. Cette vision m’est restée dans les yeux de l’esprit.
Dans mes randonnées (car ce matin je randonne plutôt que je ne me promène), quoique j’aie l’air d’être seul les trois quarts du temps, je suis accompagné de tant de souvenirs qu’en réalité je ne suis pas seul un instant. Pas de borne kilométrique qui ne me rappelle une impression, mieux encore un compagnon d’antan. Les affaires, de nouvelles conceptions de l’existence, la guerre surtout, la terrible guerre, me les ont successivement enlevés et je viens d’en perdre encore un des meilleurs, le meilleur peut-être, que les suites de cette guerre impie où il avait fait son devoir, et même plus que son devoir ont tué en pleine maturité... Vraiment, je voudrais être seul que je ne le pourrais pas tant la pensée de tous ceux qui, depuis trente ans, ont pédalé à mes côtés me poursuit et m’assiège.
Je pédalais vivement pour me réchauffer quand je suis forcé de mettre pied à terre : la route est barrée par des chars de buttes en cours d’arrimage, on n’est pas plus sans-gêne et des chauffeurs auraient rouspété de la belle façon, mais un cycliste se faufile aisément à travers les encombrements et je me souviens d’avoir gagné, en semblable occurrence. plusieurs kilomètres à des autoïstes qui eurent l’air passablement vexé. Je ne passe au pied de Virigneux que pour plonger aussitôt dans la gorge de la Thoranche qui revient fréquemment dans mes programmes d’excursion, car elle est de celles dont on ne lasse pas. Certes, à cette époque, elle n’a rien de très attrayant ; les arbres ont perdu leur parure d’automne, gris et ternes ils se confondent avec les rochers et le ruisseau qui, au printemps a fière allure est aujourd’hui bien modeste. N’importe, les méandres de la route dans ce vallon tourmenté où quelques passages ont un air tout à fait alpestre, me sont toujours agréables ; le sol y est très bon ; on n’y rencontre personne et les geais, les merles et les lapins y vivent comme chez eux.
A Saint-Cyr-ies-Vignes, je sors des monts du Lyonnais où je n’ai fait d’ailleurs, depuis
Feurs, qu’une petite incursion de 25 kilomètres et je reprends l’allure transport.
Et voilà qu’entre Bellegarde et St-Galmier, je me sens attaqué par le microbe d’une maladie à laquelle sont exposés tous les cyclistes imprévoyants qui se mettent en route sans avoir en poche le quignon de secours. Je lutte jusqu’à Lapra, au pied de St-Bonnet-les-Oules où, bon gré mal gré, il faut que je me leste d’un peu de pain trempé dans du café. J’ai trop attendu, ce n’est qu’après La Fouillouse que je sens remonter la pression et que je puis repédaler avec entrain ; j’ai donc trop présumé de mes forces mais j’accuse plutôt le froid que la fatigue qui, grâce aux quatre vitesses en marche de ma bichaîne flottante, n’a jamais été excessive. Je n’en réintègre pas moins Saint-Étienne à midi et demi, très satisfait de cette randonnée automnale de 100 kilomètres en 5 heures, on fait ce qu’on peut et, après tout, l’on n’est pas un Bottechia § Je regrette seulement de n’avoir pas rencontré un seul cyclotouriste. Est-ce que les cyclistes d’aujourd’hui croiraient que passé la Toussaint il n’est plus possible de pédaler.
VÉLOCIO.

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