Albert RAIMOND 1885-1953

vendredi 3 juin 2022, par velovi

Par André RABAULT. Le Cycliste, 1968

Albert RAIMOND
1885-1953

Il y a quinze ans, le 26 mai 1953, Albert Raimond, notre ami à tous, quittait prématurément ce monde, usé par les tortures endurées lors de l’occupation allemande, lesquelles devaient gravement compromettre sa santé, qu’il ne put jamais entièrement recouvrer.
Un quart de siècle auparavant nous avions fait sa connaissance et avions suivi les étapes de son ascension.
Originaire d’une modeste famille des Charentes, féru de mécanique, les circonstances l’amenèrent, comme ouvrier, à se fixer à Saint-Étienne. Dans les années qui précédèrent la Grande Guerre, aux environs de 1910, Albert Raimond imagina, pour son usage personnel, le premier dérailleur de chaîne, adaptable indistinctement à n’importe quelle machine, et qu’il baptisa : Le Routier, fonctionnant avec un câble unique et un ressort de rappel travaillant à la compression, il permettait déjà des écarts de quinze dents à la roue libre. Emballés, ses compagnons de route lui demandèrent de leur fabriquer un dérailleur pour leur usage.
Chef de service à l’époque, aux Établissements Rivolier Père et Fils, à Saint-Étienne, il ne disposait que de peu de loisirs pour satisfaire à toutes ces demandes. Il essaya d’intéresser la firme à son invention, ce que celle-ci fit sans enthousiasme ; un modèle R.P.F.à 6 vitesses, d’un poids de 12 kg fut créé : machine révolutionnaire en 1914, dont la diffusion fut presque nulle. Elle était trop en avance sur son temps.
Sans quitter son emploi, Albert Raimond créa, à l’extérieur, un petit atelier où il construisit son appareil ; et un amateur stéphanois prit avec, le départ des « Tour de France » de 1912 et 1913, les terminant dans d’excellentes conditions ; son dérailleur lui avait permis de se mesurer aux meilleurs en comblant son insuffisance sportive. L’expérience d’Albert Raimond trouvait là sa confirmation.
Vint la guerre, et malgré son état de « métallo » qui lui aurait permis — mobilisé — d’être rappelé à Saint-Étienne, il n’admit jamais de profiter de cette circonstance. Il fut ainsi amené à liquider sa petite affaire en 1916.
De retour après 1918, il recommença courageusement, d’abord dans un tout petit atelier que nous avons toujours présent à nos yeux, dans une rue dont le nom échappe présentement à notre mémoire.
Après la mort de Paul de Vivie en 1930, il transféra son activité dans les locaux mêmes où Velocio avait passé des années à construire ses machines « La Gauloise » et à rédiger son « Cycliste » .
Entre temps, en 1923, il faisait breveter un dérailleur de conception toute nouvelle également, commandé par deux câbles agissant sur une rampe hélicoïdale, lequel prit le nom de « Cyclo ». Deux ans plus tard, il sortait le premier dérailleur de pédalier «  Rosa », fonctionnant également avec un double câble et une rampe hélicoïdale.
L’essor de « Cyclo », dans l’entre-deux-guerres, fut remarquable, ce qui amena Albert Raimond à concevoir et à réaliser l’usine de Saint-Priest-en-Jarez, à la porte de Saint-Étienne, établissement qui, à l’époque, fit figure d’avant-garde sur le plan technique et social. À peu près dans le même temps, en 1936, il épaula sérieusement Louis Camillis pour l’édification de l’usine de Birmingham, qui, toujours aujourd’hui, fabrique le « Cyclo », dont elle porte le nom.
Homme de caractère, adversaire toute sa vie du détestable conformisme, il agit avec une audace constante, livrant la bataille du dérailleur — qu’il gagna — dans les conditions les moins favorables, y affectant toutes ses ressources.
Étonnamment discret, il se refusa toujours, après la Libération, de rien faire pour que soient reconnus ses grands services rendus à la Résistance, lesquels lui avaient valu son internement à la prison de Montluc, à Lyon, où, par un hasard des plus fortuits, il ne fut pas fusillé comme prévu.
Albert Raimond fut le « mécène » du cyclotourisme. Il n’est pas de club, dans l’entre-deux-guerres qui n’ait bénéficié, certains très largement, de sa générosité inépuisable, mais il insistait toujours pour qu’il n’en fût pas question.
Compagnon et disciple de Velocio, c’est auprès de lui, que se développa sa foi dans le dérailleur. Il fut du trio qui créa, un jour de 1922, la Journée Velocio ; pendant des années, le pique-nique dans la clairière, une initiative à lui, fut, financièrement et matériellement pris en charge par lui seul, insistant pour qu’il ne soit jamais fait allusion à la chose. Ainsi nombreux furent les cyclos qui ignorèrent toujours qu’ils furent les invités personnels d’Albert Raimond. C’est également sur son initiative et à ses frais que furent réalisées les plaques à la mémoire de Velocio, à Pernes et au sommet du Ventoux. Il participa aussi très largement à la stèle du Col du Grand-Bois.
Enfin, c’est à lui, à lui seul, à sa ténacité, à sa générosité inépuisable qu’en 1932, le « Cycliste », dont il supporta sept années durant un inévitable déficit financier, dut d’avoir pu prendre un second départ et être encore présent plus de trente-cinq ans après.
« Notre reconnaissance à l’égard de M. Albert Raimond » a écrit Philippe Marre, « est à la mesure de la fierté que nous avons de constater la force et la prospérité du « Cycliste ». Il fut de ceux qui honorèrent grandement le cyclotourisme français. C’est un deuil pour tous les cyclotouristes, même s’ils l’ignorent... ».
Et nous n’avons jamais oublié la grande figure d’Albert Raimond.
André RABAULT.

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