PNEUS BALLONS
mercredi 12 juin 2024, par
Mettrons-nous des Ballons sur notre nouvelle monture, et lesquels : les façon-main à haut rendement, mais plus fragiles, ou les moulés à moindre rendement, mais plus solides ?
Cette question est plus que jamais à l’ordre du jour chez les cyclotouristes, les randonneurs et surtout chez les utilitaires qui se servent journellement de la bicyclette pour aller et venir sur les pavés et les mauvais chemins.
Or, je puis aujourd’hui m’appuyer sur d’autres expériences que les miennes, ce qu’il m’était impossible de faire l’an dernier, et quoique mes conclusions, en ce qui me concerne, n’aient pas varié, je suis bien forcé de tenir compte des conclusions auxquelles sont arrivés bon nombre de lecteurs du Cycliste qui, après un essai loyal des façon-main et des moulés, se déclarent partisans de ceux-ci, malgré leur mauvais rendement.
Et pourquoi, leur ai-je demandé ? Parce que les façon-main sont délicats, craignent l’humidité qui les décolle, les épines, les grains de silex et de verre qui s’incrustent dans la gomme tendre et s’y enfonçant peu à peu, arrivent aux fils biais que l’eau, pénétrant à leur suite, noircit, désunit et pourrit. A tons ces petits ennemis, le moulé oppose son bouclier de caoutchouc durci au feu et reste plus longtemps invulnérable. C’est pourquoi nous concluons, disent les utilitaires, en faveur des pneus moulés qui nous protègent autant que les façon-main contre les trépidations et qui ne nous gênent pas d’autre part, puisque nous ne tenons pas à faire de la vitesse. Cependant, continuent-ils, si nous devions quelque jour nous servir de notre Bonne-à-tout-faire pour les promenades du dimanche et quelques excursions estivales, nous aurions une autre paire d’enveloppes façon-main, extra-souples et nous donnant cette sensation de l’envol sur le pavé, caractéristique des vrais Ballons, et qui nous servirait en ces circonstances.
Voilà, en effet, la bonne solution quand on ne veut pas avoir deux bicyclettes au garage, l’utilitaire et la randonneuse, solution incomparablement préférable pourtant, car ce n’est pas seulement par la qualité des pneus que ces deux bicyclettes doivent différer entre elles. La première doit être avant tout simple et fruste, indifférente à la pluie et à la boue et n’exigeant d’autre entretien que le graissage de la chaîne, monoxée, ou, si le terrain l’exige, luxée par un système primitif quelconque ne réclamant jamais de soins, qu’on n’a pas le temps d’ailleurs de lui donner. La seconde, au contraire, devra être munie de tous les perfectionnements imaginés pour en rendre |a propulsion plus facile, même s’ils entraînent quelques complications, comme un grain sombre de vitesses en marche, ou quelque fragilité, comme des pneus Ballons de luxe, collés à la main et demi-couverts. La randonneuse exigera de vous plus d’attention, plus de soins ; vous ne l’exposerez au mauvais temps que si vous ne pouvez faire autrement ; vous devez ensuite la nettoyer et la remettre au point : même en cours de route, vous devez lui accorder quelque attention et rechercher la cause du moindre bruit insolite. Bref, elle sera le délicat pur sang que son propriétaire entoure de soins pour lui demander son maximum de temps en temps, tandis que l’utilitaire sera le robuste cheval de ferme qui va toujours son petit train régulier, même si on le néglige.
Deux montures bien distinctes ont donc leur raison d’être, mais si l’on ne doit en avoir qu’une, qu’on s’arrange pour qu’on puisse en quelques minutes, en remplacer au moins les pneus qui, au point de vue du rendement, augmentent ou diminuent de 50 le coefficient de roulement d’une bicyclette de tourisme. Vérité dont on ne commence à se douter que lorsqu’on veut suivre jusqu’au soir un randonneur convenablement outillé qui ne se sent bien en train qu’après deux cents kilomètres, et dont l’allure ensuite va crescendo. Les coureurs le savent bien et il faut voir avec quel soin minutieux ils font établir leurs pneumatiques dont le calibre va en augmentant d’année en année et qui, nous dit-on, auront bientôt eux aussi, peut-être dès cette année, des Ballons sous forme de boyaux de 40, voire de 50mm, et ce ne seront pas des moulés, je vous l’assure.
Mais trêve de ces considérations générales : serrons la question de plus près et exposons l’ expériences que j’ai faites aux lieu et place de mes ordinaires promenades dominicales, pendant ce mois de janvier, pour tâcher de déterminer le rendement respectif des deux qualités de Ballons qu’on trouve sur le marché : les façon-main et les moulés, en attendant ceux de luxe extraordinairement légers, à super rendement, que nous entrevoyons dans les coulisses. Je me suis donc astreint à parcourir tous les dimanches, entre 7 heures et midi, sur l’excellente route nationale 82, tantôt 94, tantôt 76 km., suivant que, étant parti de la borne 62, j’allais virer à Balbigny devant la borne 22, ou à Feurs, devant la borne 31. Il y a sur ce parcours 25 km. (de la borne 56 à la borne 31) à peu près plats qui, depuis longtemps, me servent de critérium. Quand je les fais en une heure, sans vent appréciable, je suis content de moi et de ma machine. Dans toutes ces expériences, je me suis servis de la même bicyclette Aumon et du même développement, 6 m. 12, afin que la différence de rendement ne portât que sur les pneus.
Avec les façon-main, je fis, le 8 janvier, les 25 km en 57 minutes, sans vent ; le 15 janvier, en 53 minutes avec léger vent favorable Avec pneus moulés de très bonne marque, le 22 janvier avec bon vent dans le dos, il me fallut 59 minutes. Pour ces mêmes 25 km., et le 29 janvier, avec vent favorable encore, mais moins fort, il me fallut 65 minutes. Ces deux dernières expériences se terminèrent à Feurs, afin de n’avoir pas à lutter trop longtemps contre le vent du midi dont la force, chaque fois, alla crescendo de 7 heures à midi, si bien que ma vitesse horaire qui, les 8 et 15 janvier, avait été de 19 km. pendant 94 km., tomba, les 22 et 29 janvier, à 14 à l’heure 16 km.
Pendant ces expériences où je me dépensais comme j’ai l’habitude de le faire au cours de mes randonnées, je fis une autre expérience qui, répétée à plusieurs reprises avec le même résultat me semble concluante. Sur le même kilomètre à l’aller, avec vent favorable, et au retour contre le même vent, je comptai 163 tours de pédale dans le premier cas et 164 dans le second. Quand on appuie plus fortement sur la pédale, le pneu ballon modérément gonflé, s’écrase davantage et le développement se trouve par le fait diminué. Il est évident que si, au lieu de ballons, j’avais eu autour de mes jantes des lames de patin, ce phénomène ne se serait pas produit ; non plus sans doute qu’avec un boyau minuscule gonflé à bloc. On parle en Angleterre de faire des pistes de vélodrome en acier et de remplacer les pneus par des lames de patin justement ; la vitesse en serait sûrement augmentée ; en tous les cas, ce n’est pas sur ces pistes-là que les ballons auraient leur raison d’être, et dame Routine, qui critique toutes les innovations à tort et à travers, triompherait.
Mais ce n’est pas pour la piste, ni même pour les routes excellentes dont nous trouvons çà et là quelques échantillons, que nous disons les Ballons supérieurs, c’est pour les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des routes françaises sur lesquelles, sans eux, ne peuvent pédaler agréablement, autrement qu’à des allures de tortue, que les heureux mortels que les trépidations n’affectent en aucune façon et qui se retrouvent aussi dispos après avoir été secoués pendant 300 km. qu’à leur départ. Mais de ces cyclistes-là, je n’en connais pas, et tous ceux que je connais se plaignent d’être arrêtés par les trépidations, plutôt que par la fatigue musculaire. Est-ce que les professionnels eux-mêmes, les « as » du Tour de France, n’augmentent pas d’année en année le calibre de leurs boyaux ? Ne sont-ils pas déjà aux boyaux de 36 et même de 40 ? Ne leur prépare-t-on pas des boyaux Ballons ? Si les coureurs, rompus à leur dur métier, se défendent ainsi contre les trépidations dans le but d’augmenter leur allure commerciale, et du même coup leur rendement final, les cyclotouristes et les randonneurs ne doivent-ils pas les imiter, soit pour pouvoir allonger leurs étapes, soit pour se fatiguer moins ? Nous les avons vus, ces coureurs et nous les verrons de plus en plus proportionner le calibre de leurs boyaux à la surface de roulement des routes, comme ils proportionnent depuis longtemps leur développement au profil de ces mêmes routes ; car il leur est permis de s’équiper différemment pour chaque étape et même pour des parties d’une même étape. Pour une étape sur routes pavées, ils prendront des boyaux Ballons et pour une étape sur monolastic, des boyaux de 26. Ils constateront évidemment, comme je l’ai constaté moi-même, que le Ballon ne leur permettra pas les démarrages foudroyants, mais qu’ils tiendront le coup beaucoup plus facilement et qu’ils n’auront pas besoin de démarrer à l’arrivée contre des concurrents montés sur des pneus brise-os, parce qu’ils les auront lâchés au train depuis longtemps.
Ce sont là des vérités trop éclatantes pour rester longtemps sous le boisseau, malgré les efforts des organisateurs des courses qui ont proscrit successivement tous les perfectionnements ; d’abord la bicyclette, parce que supérieure au grand Bi, puis le pneu supérieur au plein, puis la roue libre, puis la poly ; ils sont bien capables aujourd’hui de limiter la grosseur des boyaux et d’imposer aux forçats de la route des brise-os de 26mm ! Tout cela pour que les huit millions de cyclistes français ne réclament pas du toujours mieux et pour permettre aux constructeurs de fabriquer cycles et pneus à la grosse. « Réjouissez-vous, cyclistes grands et petits, nous a crié le T. C. F., vous n’aurez plus qu’une seule hauteur de cadre ! Esbaudissez-vous, cyclistes jeunes et vieux, aux membres souples ou raidis par l’âge, nous disent les gros caoutchoutiers, nous allons vous rationaliser, nous ne vous livrerons plus qu’un pneu standard que vous gonflerez d’autant plus dur qu’il sera plus petit et dont, nous diminuerons d’année en année le calibre, afin que vos démarrages soient de plus en plus impressionnants et que nous gagnions nous-mêmes davantage.
Je fus, en ma jeunesse, employé dans une maison de commission qui avait, à Constantinople, un client auquel on vendait à tant le mètre un certain ruban qu’il revendait à tant la pièce ; la pièce comportait un rectangle de carton, entouré d’un splendide chromo représentant une plantureuse odalisque ; le ruban était enroulé sur la planchette et les deux derniers tours seulement se voyaient à l’extérieur encadrant la belle image. Il y avait eu autrefois jusqu’à dix mètres de ruban à la pièce, c’était la longueur réglementaire, mais, à chaque commande, le Turc, roublard, avait rogné un ou deux mètres et il en était arrivé à ne faire mettre sur la planchette que juste la longueur indispensable pour que l’on vît toujours sur l’étiquette les deux derniers tours ; la pièce ne contenait ainsi pas même un mètre de ruban au lieu de dix ; comme on revendait à la pièce et non au mètre, on ne pouvait prendre personne en défaut. Ainsi ont fait les fabricants de pneus ; ils ne vendent plus du 38 ou du 35mm, ils vendent du standard, et le standard ne comportant pas d’obligation de calibre, ils le font de plus en plus petit et nous finirons par rouler sur la jante.
Il ne faudrait pas cependant que sous le fallacieux prétexte que plus le pneu est gros, plus il a de l’adhérence et plus il tire, on nous réduise à cette extrémité. Plus le pneu est gros au contraire, mieux il roule, à pression égale. Si vous gonflez à bloc un standard et mollement un ballon, celui-ci dévalera moins vite, et si vous gonflez à bloc le ballon et mollement le standard, ce sera le contraire, et l’on sera par surcroît terriblement secoué. Dans le Cycliste de février 1898, le capitaine Perrache a publié une étude intéressante sur le tirage des pneus, à la suite d’une série d’expériences faites par lui avec la précision et la conscience qu’il apportait à tous ses travaux. Il avait constaté, par la méthode de la pente, que, sur un terrain ferme et uni, ce que nous appelons une bonne route, des gros pneus Michelin de 50mm (les ballons de l’époque), gonflés à bloc, atteignaient, au bout de 700 mètres, la vitesse horaire de 14 km. 700 ; gonflés modérément, celle de 12 km. 700 et gonflés juste assez pour ne pas talonner, celle de 11 km. 100. Chaque essai avait été répété trois fois, et ces chiffres étaient une moyenne. On peut donc les tenir pour exacts. Un abonné du Cycliste vient de m’écrire, en me l’appelant cette étude du capitaine Perrache, qu’il voyait là la condamnation du Ballon. Je ne suis pas de cet avis. Perrache comparait entre eux différents états d’un même pneumatique ; que celui-ci fût un ballon de 50mm ou un boyau de 28mm, les résultats ne pouvaient qu’être les mêmes. Or, il s’agit pour nous de comparer sur le terrain par la même méthode de la pente, les pneus Ballons avec les standard de 32/35mm ou les boyaux Ballons avec les boyaux crayon, les uns et les autres d’abord gonflés à bloc, puis modérément, et enfin aussi peu que possible. Cette expérience a été, depuis un an, faite et refaite maintes fois, et toujours les Ballons façon-main l’ont emporté de beaucoup sur les standard et même sur les boyaux ; plus est rugueuse la pente sur laquelle on laisse descendre les uns et les autres, plus loin vont les Ballons, même s’ils ne sont que modérément gonflés et, sur le pavé, leur supériorité est écrasante. Sur un sol forme et uni, une piste par exemple, le Ballon gonflé modérément perd son avantage, mais gonflé à bloc comme ses adversaires, il finit par les battre quand la pente se termine en palier et que seul importe le coefficient de roulement, la résistance de l’air se trouvant diminuée au fur et à mesure du ralentissement.
Mais je n’ai jamais préconisé l’emploi du Ballon sur piste ni sur sol ferme et uni ; je l’ai recommandé pour la bicyclette de tourisme, qui roule plus souvent sur un terrain mou et raboteux que sur un billard. Et, sur ce terrain, il est imbattable, aussi bien à la montée et en palier qu’à la descente.
Son plus grand avantage n’est pourtant pas dans son roulement supérieur ; il est dans le soulagement qu’il nous procure au cours et à la fin d’une longue randonnée, en réduisant à bien peu de chose la fatigue de la trépidation et en nous permettant par cela même de faire l’étape plus longue et d’arriver d’autant plus vite au but que ce but est plus éloigné, bien que pour cela nous ayons renoncé au coefficient de 14,7 du gonflement à bloc et que nous nous soyons contentés du coefficient de 12,7.
Il serait, en effet, stupide de gonfler à bloc un pneu ballon et, pour le mince avantage de ne pas se laisser dépasser de temps à autre sur très bonne route, de se condamner à bondir et à rebondir sur des pneus incapables de boire les obstacles et d’aplanir les mauvaises routes, parce que gonflés trop dur.
Mais voyez comme il est facile à qui que ce soit de se rendre compte personnellement de la réalité de mes assertions. Je suppose que vous possédiez une bicyclette d’autrefois à fourches assez larges pour admettre des pneus de 50mm et des jantes C étroites (35mm de bord à bord). Sur ces jantes peuvent être placés des pneus de tout calibre, on en trouve encore heureusement, malgré la standardisation en jante B, qui a bien été la plus inutile, la plus absurde innovation, alors qu’on était, depuis plus de vingt ans, standardisé en jante G. En trente minutes, vous pouvez remplacer vos pneus et, tantôt avec des 35mm, tantôt avec des 42mm, tantôt avec des 50mm, de qualité identique bien entendu, faites et refaites un même trajet d’une centaine de kilomètres, en poussant comme si vous aviez le diable à vos trousses ; ne vous servez que d’un seul et même développement moyen ; que d’un terrain d’épreuve, tou- ; jours le même naturellement, soit quelque peu accidenté et que les conditions atmosphériques, de même que l’ébat du sol restent à peu près semblables. En procédant ainsi, après avoir chassé de votre esprit tout préjugé, tout parti pris et tout amour propre, vous en viendrez à cette conclusion à laquelle je suis venu moi-même en 1904, après maintes expériences : que, pour faire de la route agréablement avec le minimum de fatigue et le maximum de résultats (vitesse commerciale et longueur d’étape), rien ne vaut le pneu de gros calibre, mince et léger, souple et extensible dans tous les sens, c’est-à-dire en fils biais tendus autour des tringles suivant un angle de 45° avec le plan transversal de la jante, découverts sur les côtés ou simplement protégés contre l’humidité par de la feuille anglaise avec une bande de roulement de largeur convenable en pur para. Tel est le pneu qui se rapproche le plus du bandage idéal : une couronne d’air comprimé extensible dans tous les directions. Mais un idéal ne peut être qu’approché et nous nous en approchons aujourd’hui par trois types de pneus ballons entre lesquels il nous faut choisir : le moulé, le façon-main et le toile apparente. Ce dernier est un pneu de luxe qui coûte sensiblement plus cher, est beaucoup plus léger, mais peut-être plus vulnérable et qui, pour toutes ces raisons, ne convient qu’aux dilettanti, à ceux qui prennent leurs responsabilités et courent leur chance ; je me borne donc à le signaler. Le moulé semble, de tous, le plus robuste et quoique son rendement soit un peu moindre, il conviendra sans doute au plus grand nombre, aux cyclistes utilitaires qui se servent de leur vélo pour aller tous les jours à l’atelier ou au bureau et, s’il en est parmi eux qui, le dimanche, utilisent leur machine pour excursionner, ils remplaceront comme déjà dit, ce jour-là, les moulés par des façon-main qui seront, eux, les pneus des cyclotouristes au long cours et des randonneurs à la mode stéphanoise. Tels sont ceux que j’ai trouvés sur la bicyclette que M. Aumon me confia, il y a juste un an, pour l’essayer à fond sur tous les terrains où j’ai l’habitude de rouler et qui ne sont pas toujours des pistes, ah ! fichtre non ! et je ne crois pas qu’on puisse trouver actuellement sur d’autres routes nationales 54 km. d’affilée aussi coriaces que ceux qui séparent Saint-Etienne d’Andance, sur les bords du Rhône et que je me vois forcé de franchir à l’aller comme au retour de mes fréquentes descentes dans la belle vallée rhodanienne. Cette bicyclette finit son premier cycle de douze mois, avec 7.000 km., un peu plus même, parce que je l’ai souvent prêtée, sans tenir compte des kilomètres parcourus par les emprunteurs. Que la bicyclette elle-même ait tenu bon, cela n’a rien de surprenant, et la plus modeste Gauloise, sans parler des grandes marques stéphanoises, en ferait autant, mais je n’ai jamais changé les pneus que pour quelques essais comparatifs d’autres ballons moulés ou à toile apparente. Voilà donc des façon-main qui ont résisté à 7.000 km. et qui me semblent bons encore pour 3.000.
A la vérité, je les ai soignés et les petites améliorations que je leur ai apportées m’ont bien coûté une vingtaine de francs. Quand je me suis aperçu que la gomme se gerçurait au niveau des rebords de la jante, à la suite du fléchissement continu du boudin peu gonflé, j’ai fait coller des rubans de caoutchouc mince qui ont couvert ces gerçures par où l’on voyait déjà la toile, et elles ne se sont plus reproduites ; plus tard, j’ai constaté que les fils biais eux-mêmes souffraient de cette constante friction entre la jante et la tringle, que quelques-uns étaient même coupés et que si je n’y portais remède, la chambre, bien que peu gonflée, ne tarderait pas à profiter de la porte ouverte et à éclater. J’ai fait alors placer à cheval sur les tringles un ruban de toile sur celle des enveloppes où le fil biais avait déjà été cisaillé ; de caoutchouc mince sur celle qui avait résisté au cisaillement, et je crois avoir trouvé le bon remède. Je conseille donc aux fabricants et aux usagers des façon-main de fixer, sans attendre que les fils biais soient usés ou la gomme craquelée, à cheval sur les tringles, un ruban de caoutchouc mince assez large pour déborder la tringle d’un centimètre à l’intérieur et de deux centimètres à l’extérieur. L’incessant va et vient d’une enveloppe à basse pression (et je roule toujours aussi peu gonflé que possible, sauf aux montées et aux descentes pour des motifs différents : à la montée pour diminuer l’aplatissement du pneu sous la pression énergique, à la descente pour échapper aux pinçons) fatigue énormément le tissu et la gomme qui sont pressés entre la tringle et le bord de la jante ; il faut donc renforcer cette partie des enveloppes ballon, et les moulés eux-mêmes, qui sont mieux immunisés par la pression à chaud du caoutchouc et de la toile, gagneraient à ce renforcement.
J’ai donc surveillé mes Ballons et leur ai donné des soins qui me vaudront de les voir vivre pendant dix mille kilomètres ; que tous les ballonnistes en fassent autant et ils ne découvriront à ces bandages, qui sont actuellement l’objet de tant de discussions et, chez quelques-uns, d’une opposition systématique aussi incompréhensible que celle que l’on fit. il y a trente ans, dans les mêmes milieux, à la polyxion, que des qualités et des avantages à tous les points de vue, sauf un ! Même en gonflant à bloc, comme le fit Perrache dans ses expériences sur le tirage des pneus, le démarrage avec Ballons sera toujours moins prompt qu’avec boyaux de petit calibre. Et, de ce défaut, je n’ai cure, car je ne démarre pas souvent et jamais brutalement, je m’applique à conserver un train soutenu et je suis en cela puissamment aidé par le jeu naturel des Ballons qui, à chaque tour de pédale, me rendent par leur détente au passage des angles de moindre puissance tout l’excédent de force qu’aux passages des points de plus grande puissance je leur ai intériorisé. Ces boudins d’air comprimé se comportent comme des ressorts d’une sensibilité et d’une intégrité parfaite ; ils nous rendent honnêtement, promptement et entièrement dans nos moments de faiblesse toute l’énergie que nous leur avons confiée dans nos moments de force. Avec eux, nous ne gaspillons jamais nos forces, notre allure reste constante, qu’elle soit de 20 ou de 30 à l’heure ; le soir venu, noué constatons que notre vitesse commerciale a été plus grande et que nous avons parcouru plus de chemin, que nous sommes moins fatigués et que nous nous sentons plus dispos pour les étapes suivantes, parce que (mettez-vous bien cela dans la tête) nous n’avons pas été disloqués par les trépidations, cette plaie des pneus brise-os et tape-cul.
Je conseille donc à tous les cyclistes qui ont l’intention d’acheter une nouvelle monture de la choisir avec fourches assez larges pour recevoir des Ballons de 50mm, avec des jantes de 650 ou de 700 (s’ils sont de très haute taille), du calibre C et étroites. L’aspect extérieur de la bicyclette n’en sera que très peu modifié et n’aura rien d’inélégant. Sur ces jantes ils pourront placer des pneus tape-cul de 35mm ou des brise-os de 32, ou des semi-ballons de 42, ou enfin des Ballons de 50mm. Ils seront ainsi bien armés pour étudier la question et feront pendant une année moult expériences comparatives sur le démarrage, le rendement, le confortable, la fatigue, l’effort, etc. Et je consens à perdre les rares cheveux qui me restent s’ils ne deviennent pas tous des convaincus.
L’exemple des coureurs de profession les y aidera, et nous engageons nos lecteurs à suivre de près les modifications que d’années en années ces messieurs, plus intéressés qu’aucun d’entre nous a améliorer leur rendement, apportent à leurs montures. Ont-ils par exemple depuis vingt ans diminué ou augmenté le calibre de leurs boyaux ? Les stayers qui courent derrière motos et qui recherchent le train soutenu plus que le démarrage. ne se servent-ils pas de pneus plus gros que ceux des coureurs de vitesse. Étudiez la question sous toutes ses aspects, comparez et jugez par vous-même, et la vérité vous apparaîtra.
Vélocio, Le Cycliste, 1928.