Promenade de santé (mai 1914)

lundi 30 octobre 2023, par velovi

Paul de Vivie alias Vélocio, Promenade de santé, Le Cycliste, Mai 1914, p.130-134, Source Archives départementales de la Loire cote IJ871/3

Pour la fête de la Pentecôte, j’avais deux projets : vent du sud, je partais pour Alésia  ; vent du nord, j’allais faire les gorges de la Nesque. Le vent souffla du nord et je partis à 2 heures et demie, en compagnie de Thorsonnax, qui s’en allait photographier le Vercors sous toutes ses faces, car ce randonneur est doublé d’un chevalier de la plaque sensible.
Je partis aussi avec une mentalité toute nouvelle, que je m’efforçai, en grimpant à 8 ou 9 l’heure au col des Grands Bois, de faire comprendre à mon compagnon.
«  Il s’agit, lui disais-je, à mon âge — et peut-être bien à tout âge — de ne pas se fatiguer. Il faut donc que, du commencement à la fin de mon excursion, je marche à une allure récréative, sans souci de l’heure ni des kilomètres parcourus ou à parcourir. Il est temps que je me conforme sévèrement à ce précepte fondamental de l’E. S. : ne pédalons jamais par amour propre.

«  Autrefois, j’entends à l’époque où, par la poly, me fut révélée la puissance du moteur humain, mes excursions ne furent que des démonstrations, des documentations, et j’eus grand soin de noter heures de départ et d’arrivée, altitudes et surtout développements employés dans telles et telles circonstances. Les horaires dont j’accompagnais mes récits me semblaient nécessaires pour qu’on se pénétrât bien de cette vérité : que désormais aucune région, si accidentée fût-elle, n’était interdite aux plus modestes cyclotouristes, qu’il n’y avait plus de ces rampes incyclables où nous devions pousser nos montures pendant des journées entières.
«  Plus tard, mes excursions devinrent des randonnées  ; vous avez été, d’ailleurs, vous-même, Thorsonnax, de cette époque-là, et il convient que vous continuiez, car j’ai randonné jusqu’à 60 ans, et vous êtes loin de cet âge.
«  Aujourd’hui, j’entends que mes excursions ne soient que des promenades de santé, simplement destinées à reculer, si faire se peut, l’échéance fatale où l’arthritisme sous quelqu’une de ces formes, tantôt brutales, tantôt insidieuses qu’il aime à revêtir, viendra mettre un terme à mon activité physique et me condamnera à ne plus voyager qu’autour de ma chambre.
«  Donc, quand vous vous sentirez d’humeur à randonner, à poser des jalons pour vos successeurs, comme j’en posai qui ont été joliment distancés, ne vous attardez plus à mes côtes et n’essayez pas de m’entraîner, vous n’y réussiriez pas.  »
Nous avions mis pied à terre au col (1.165 m. pour nous couvrir un peu, en prévision de la descente. Thorsonnax regarda sa montre et m’annonça 4 heures moins le quart. «  Ah  ! je vous prends déjà en faute, mon ami, jetez cette montre dans le fossé  ; qu’avons-nous besoin de savoir que nous avons mis 75 minutes pour grimper de Saint-Étienne ici, où vous êtes venu parfois en moitié moins de temps  !  »
Cela n’empêcha pas mon compagnon de me dire à Andance qu’il était 5 h. 5 minutes et que nous avions perdu environ vingt minutes sur notre temps habituel, ni de me faire remarquer un peu plus loin que nous n’allions guère qu’à 20 ou 22 kilomètres à l’heure.
Chassez le naturel, il revient au galop. L’excuse de Thorsonnax est dans sa jeunesse : quand soixante et quelques hivers auront neigé sur sa tête, il regardera moins sa montre et l’allure ne lui paraîtra pas si lente.
Nous nous quittâmes à Tain  ; après Valence, je pris à gauche la jolie petite route qui, par Etoile, conduit à Crest  ; pour remplacer deux bananes et un petit pain que j’avais croqués chemin faisant, j’y achetai deux croissants, que mangeai avant le col de la Sauce. Le vent, tout d’abord, absolument nul, au point que nous nous étions demandé s’il n’était pas contraire, s’élevait peu à peu et devenait favorable à ceux qui fuyaient les brumes du septentrion.

Le massif de Rochecourbe qui, par ses murailles à pic, défend la forêt de Saou, se profilait voilé de brume, à ma gauche, et la vue était bornée à droite par les collines entre lesquelles la route se faufile. Un premier petit col m’amena au pied des derniers contreforts du massif, et la descente m’entraîna rondement jusqu’à Saou village flanqué de formidables escarpements, qui défend l’entrée de la vallée où se réfugièrent, dit-on, les débris de l’invasion sarrasine, après la victoire de Charles-Martel.
Montée douce ensuite, le long d’un ruisseau jusqu’à Bourdeaux, dominé par des pans de murs menaçant ruine et qui indiquent qu’il y avait là un château fort de quelque importance.
Le facteur que je rencontre à Crupies et à qui je demande si je suis bien sur la route de Nyons, ne peut s’empêcher de s’écrier que Nyons c’est bien loin et que la montée est longue. Elle ne se fait vraiment sentir qu’après Bouvière et le soleil aussi se fait sentir  ! Mais nombreux sont les ruisseaux, et l’eau est fraîche  ; je me désaltère à plusieurs reprises. Quelques derniers lacets dans un sol plein d’ornières et de cailloux, où l’on a de la peine à se tenir, et me voici au col de la Sauce, passage assez fréquenté, à en juger par les routiers que j’y croise et les traces des charrois. La vue reste bornée, de toutes parts s’élèvent des collines derrière lesquelles on en devine d’autres.
Je me laisse aller sans trop de hâte, afin de ne pas manquer le défilé des Trente Pas, que je dois traverser au cours de la descente. Le voici  ; un gendarme se profile sur l’horizon et annonce l’entrée du défilé qui n’est pas très impressionnant. Un vague tunnel, sous lequel je rencontre un autre facteur qui pousse sa bicyclette, quelques rochers surplombant la route, d’assez beaux à-pics de l’autre côté du ruisseau, et c’est fini  ; même en montant, ce ne doit pas être long.
Le vallon s’élargit et j’entre dans la vallée de l’Aygues, à quelques kilomètres de Nyons, que je laisse à droite  ; mon itinéraire me fait remonter l’Aygues jusqu’au ruisseau l’Ennuyé, qui me conduit par une rampe insensible à Sainte-Jalle, petit village ombragé, où l’eau est abondante, et où je suis tenté de m’arrêter pour déjeuner  ; je n’y vois pas d’auberge proprette, un peu en dehors de l’agglomération, qui me tente, et je passe sans me douter que j’allais m’élever dare dare de 400 mètres en plein soleil.
Dieu  ! que ce col de Dey m’a paru long et chaud  ! il fallut avoir recours à la coiffure des jours caniculaires, le linge mouillé sur le crâne  ; la route, d’ailleurs très roulante, tourne et retourne, revient sur elle-même, et l’on finit tout en haut par se trouver sur le bord d’un immense entonnoir, au fond duquel on aperçoit les maisons grises de Saint-Jalle, tout cela inondé d’une intense lumière.
A peine a-t-on passé sur l’autre versant qu’on est cloué sur place par le changement de décor, à se croire transporté en pleines Alpes. Ce torrent aux eaux verdâtres qu’on aperçoit tout à coup à 400 mètres au-dessous de soi, n’est-ce pas le Verdon, roulant ses eaux écumantes au pied d’une montagne abrupte  ? Ce n’est pourtant que l’Ouvèze.
Des lacets bien sentis m’emmènent rondement et m’obligent à des coups de frein dont le fâcheux effet sur mon pneu arrière ne tardera pas à se manifester  ; mais je suis tout à l’admiration de ce site imprévu. Pour gagner le fond de la gorge où l’Ouvèze se débat entre les rochers et où je vois de très haut serpenter ma route, il me faut aller faire un long détour à gauche, si long que je crus un moment que je me trompais.
Je traverse enfin le torrent et me voici à Buis-les-Baronnies, où, non contents de l’ombre épaisse que répandent des arbres centenaires, les habitants se logent dans des maisons précédées de voûtes sombres et obscure, plus semblables à des caves qu’à des portiques. De pareilles demeures sous notre ciel humide ne seraient bonnes qu’à faire moisir les fromages  ; mais sous ce beau ciel ensoleillé du Midi, les caves elles-mêmes sont habitables.
Je ne sais pas au juste l’heure qu’il est  ; cependant, je sens que les deux croissants qui m’amenèrent au col de la Sauce sont loin et qu’il est temps de mettre de l’huile dans la lampe. Je me mets donc, chemin faisant, à chercher l’auberge isolée, proprette et avenante, qui me plaît plus que l’hôtel et que je trouve juste à l’entrée de la route que je dois suivre en quittant la vallée de l’Ouvèze, pour contourner à l’est le mont Ventoux.
Halte délicieuse pendant 30 ou 40 minutes, à l’ombre, devant une bouteille de bière, une assiettée d’olives noires et quelques cerises, qu’une charmante enfant alla cueillir séance tenante. Ce fut mon seul repas important de la journée, et il me permit d’attendre le suivant jusqu’à 21 heures, à Orange. Le prix n’en fut pas excessif, 90 centimes, et seul, Varalle, cet éternel ronchonneur, y aurait trouvé matière à discuter.
En même temps que mon estomac absorbait ce délicieux menu, mes oreilles entendaient maints discours de la propriétaire de ce petit café, et mes yeux se réjouissaient à voir aller et venir ses deux jeunes filles, dont la grâce un peu orientale, c’est-à-dire dodue, était en harmonie avec l’exubérante végétation de ce coin de terre béni des dieux, où j’aurais voulu demeurer plus longtemps.
Le soleil cependant était sur son déclin, et les gorges de la Nesque m’appelaient, que je tenais à descendre en plein jour. Je partis donc avec la perspective d’une remontée prochaine, aussi longue m’avait dit l’hôtesse que celle du col de
Dey. En réalité, elle est de moindre importance, et ne consomma pas beaucoup des kilogrammètres que je venais d’emmagasiner , au cours de cette montée, je rencontrai l’unique automobile que je vis ce jour-là entre Valence et Villes  ! Dans ces régions, très belles pourtant, il n’y a donc pas lieu de se plaindre d’une circulation trop intense de ces véhicules. Au col même, je croisai une diligence du bon vieux temps, et j’avais à peine commencé la descente très faible, que je sentis ma bicyclette vaciller étrangement  ; il y a avait du flottement quelque part  !
Je crus tout d’abord qu’un tube se débrasait, puis que la tête de fourche se cassait, et ce n’est qu’au troisième examen que je découvris la cause du balancement anormal que je sentais. Mon pneu arrière avait eu sa première couche de fil biais coupée, le long de la jante, par un coup de frein brutal, et petit à petit la coupure s’étendait. Mon enveloppe a d’ailleurs un certain âge et pas mal de service, et je ne lui reproche rien  ; toutefois, elle n’aurait pas dû me causer cette désagréable surprise en un pareil endroit, si loin de tout chemin de fer  ! Je n’avais pas de quoi réparer un tel éclatement de pneu  ; il m’aurait fallu un paquet de chevillères, que je ne pouvais trouver qu’à Sault, à 20 kilomètres de là. Le mal allait-il s’aggraver rapidement  ? Combien je regrettai de n’avoir emporté qu’un minuscule nécessaire de réparations  ! J’avais bien une chambre à air de rechange, mais elle ne m’était guère utile en l’occurrence. Allons toujours  ; la deuxième couche de fils biais a l’air de tenir bon et j’arriverai peut-être sans encombre à Sault.
J’allais d’abord comme à la procession, puis je m’enhardis peu à peu, et quand la dernière montée se présenta je repédalai avec entrain pour rattraper le temps perdu.
A Sault, je bus une bouteille de bière pendant qu’on allait m’acheter un paquet de chevillères, que je mis dans ma poche, en attendant les événements, et je me fis indiquer la route de Monieux. Puisque ça avait tenu pendant 20 kilomètres, pourquoi cela ne tiendrait-il pas jusqu’au soir ?
Après avoir, entre Montbrun, très décoratif, et Aurel, contourné le Ventoux et m’être élevé d’environ 300 mètres, par une rampe douce et une jolie route, j’avais tout à l’heure longé une vaste dépression de terrain bien cultivé et semblant très fertile. Maintenant, de Monieux, qui se trouve au fond de cette dépression, j’ai, en me retournant, une jolie vue de Sault, qui s’étale au soleil à flanc de coteau, et ces différents aspects d’un même paysage récréent agréablement mes yeux. Le Ventoux, vu de ce côté, n’est pas très impressionnant.
La nouvelle route, dite des gorges de la Nesque, passe sous Monieux et grimpe doucement pendant au bas mot cinq ou six kilomètres, à tel point que je crains tout à coup de m’être trompé, car je vois tout au fond, là-bas, près du ruisseau, une autre route. Un charretier me rassure et je continue de grimper dans un sol mou, boueux, plein d’ornières dangereuses pour qui s’amuserait à regarder autre chose que la route.
Il a plu, paraît-il, très abondamment la veille sur toute les régions avoisinant le Ventoux, et cet état du sol en est la conséquence.
A mesure que je m’élève, le ruisseau descend, si bien qu’en arrivant à la partie pittoresque des gorges, où la montée finit, je me trouve bien à 400 mètres au-dessus de l’eau  ; parapet nul, parois presque verticales, ornières durcies et profondes, soleil souvent dans les yeux, il faut prendre garde et je mets pied à terre toutes les fois que je veux admirer ces gorges de la Nesque, qui sont, en somme, le but de mon excursion. Et certes, bien qu’elles ne puissent être comparées comme pittoresque et surtout comme variété des sites aux gorges alpestres et pyrénéennes, elles valent bien qu’on se dérange et qu’on vienne de loin pour les parcourir, d’autant plus que la route est d’habitude très bonne. Elle passe sous quelques tunnels de peu d’importance, longe des roches étrangement creusées par les eaux, s’écarte maintes fois de sa direction principale pour aller franchir les affluents de la Nesque, dont le sillon argenté se glisse là-bas entre les rochers.
Mais cela finit par être un peu long  ; il y en a peut-être vingt kilomètres, et c’est bien désert. Je n’y ai vu qu’une maison, à mi-chemin de Villes, où je retrouve la grande route de Sault Avignon, sur laquelle je puis filer un peu plus vite. Mon pneu ne m’inspire plus d’inquiétude, et je suis plutôt préoccupé par l’approche du soir, parce que ma lanterne ayant eu dès le départ ses deux ressorts suspenseurs cassés, j’ai dû la fourrer dans mon sac et je ne pourrai l’utiliser.
Je traverse Carpentras entre chien et loup, et la nuit me surprend à Jonquières, où je suis tenté de m’arrêter, car je n’aime pas être exposé aux observations et aux procès-verbaux de messieurs les gendarmes.
Cependant, huit kilomètres seulement me séparent d’Orange, un petit croissant de lune, très lumineux, éclaire suffisamment la route  ; faisons un dernier effort contre le vent du nord-ouest, qui depuis Carpentras m’est le plus souvent contraire.
Et j’arrive sans incident à 21 heures sonnant à l’hôtel près de la gare, où je descends toujours, parce qu’on peut y entrer ou en sortir à toute heure et que j’ai l’intention de reprendre le chemin du retour dès 3 ou 4 heures si....... le vent cesse de souffler contre moi.
J’avais donc pédalé depuis Buis-les-Baronnies sans manger quoi que ce soit, mais j’avais un appétit féroce, et du menu qu’on me servit, quoique copieux, il ne restait pas de quoi nourrir un pinson quand je quittai la table pour gagner mon lit, où je m’endormis si vite que je n’eus même pas le temps d’éteindre la lampe.
Voilà ce que j’appelle un bon sommeil réparateur  ; mes cellules que j’avais un peu séchées, qui, pores béants, avaient attendu, au moins depuis Carpentras, une pitance qu’on ne leur envoyait pas et qui devaient trouver que le patron en prenait vraiment trop à son aise, eurent pendant les quatre heures que dura cet anéantissement complet, le loisir de se repaître a gogo, et de reconstituer leurs réserves, auxquelles j’avais fait maints emprunts pendant ces 19 heures de pédalage ininterrompu.
C’est là vraiment de l’excellente hygiène. Débarrasser le corps de tous les déchets, de tous les résidus qui l’encombrent, en les brûlant par un travail prolongé au grand air et assez intense pour amener l’organisme à la limite où commencerait la fatigue anormale si l’on ne s’arrêtait à temps.
C’est une façon de le purger mieux, plus complètement, et surtout plus sainement que par n’importe quelle médecine, et l’on éprouve ensuite une telle sensation de bien-être physique et psychique, qu’on est obligé d’avouer que la vérité en fait d’hygiène est là dans la manière de vivre que préconise Le Cycliste et non ailleurs.
Cet état d’euphorie persiste plus ou moins longtemps, suivant que l’organisme a été plus ou moins profondément nettoyé, et si nous étions ensuite guidés par un instinct sûr vers l’alimentation qualitative et quantitative répondant le mieux à nos besoins réels, nous acquerrions peu à peu l’état de santé idéal. Malheureusement, nous continuons à nous alimenter au petit bonheur, sans autre guide que notre goût dénaturé par les artifices culinaires, oblitéré par les préjugés ambiants, et les crises sudatives doivent être renouvelées. Je ne m’en plains pas autrement, car de telles promenades de santé sont en définitive un vrai régal pour le cyclotouriste impénitent que je suis.
Pour l’instant, j’entends de mon lit le vent souffler par rafales, et je prends incontinent la résolution de rentrer partie par l’express, partie par la route. Je puis donc dormir encore quelques heures, et je ne quitte l’hôtel qu’à 6 heures, après un premier déjeuner, pour aller en flânant prendre à 9 heures et quart, après un second déjeuner, à Pierrelatte, sous un beau ciel ensoleillé, un express qui me dépose deux heures plus tard à Saint-Rambert-d’Albon, sous un ciel brumeux et peu engageant.
Je reprends ma bicyclette et ma promenade jusqu’à Davezieux, où je redéjeune sobrement . (deux œufs à la coque, beurre, fromage et fraises)  ; une pluie fine m’oblige bientôt à endosser la pèlerine, et je reçois avant Bourg-Argental une averse diluvienne. Une course de cyclistes avait lieu ce jour-là, et les derniers grimpaient-à peu de distance devant moi, d’après ce que j’entendis. Au moment où je quittai Bourg-Argental j’en vis redescendre un qui abandonnait la course, crotté des pieds à la tête, noir de boue, méconnaissable à tel point qu’on ne pouvait voir où commençait et où finissait le maillot. Pauvres diables, qui consentent à s’exténuer
pour gagner une bagatelle, et souvent rien du tout quand ce n’est pas quelque maladie.
Bref, à 16 heures, je finissais sur le plateau de la République ma promenade de santé et j’y demeurais jusqu’au soir.
Je me hasardai à ce moment à ausculter sérieusement mon pneumatique. Il était temps d’aviser  ! La deuxième couche de fils biais avait déjà deux fils cassés et la chambre à air mettait le nez à la portière.
Pour réparer en cours de route avec quelque certitude de durée des blessures de ce genre qui intéressent l’enveloppe sur une surface telle que les moyens ordinaires, emplâtre à l’intérieur, minute à l’extérieur, n’y suffiraient pas, on peut procéder de deux façons : 1° envelopper la chambre dans un mouchoir qui empêchera la pression de l’air de s’exercer sur l’enveloppe endommagée, ou 2° entourer tout le bandage, jante comprise, d’une chevillière qui, suivant sa qualité (les meilleures sont en toile bise), résistera au frottement sur le sol 15, 20 et même 30 kilomètres. Meilleur encore que la chevillière est le ruban isolant dit Chatterton, dont les coureurs se servent pour fixer les collés sur la jante. Le Chatterton résiste, m’assure-t-on, pendant plus de 100 kilomètres, et j’en aurai désormais un rouleau dans ma sacoche.
Mais une réparation du 2e genre immobilise tout frein sur jante. J’avais heureusement choisi pour cette promenade autour du Ventoux ma vieille flottante à 3 vitesses, 6m,30, 4m,75 et 3m, 35 et à moyeu-frein. La chevillière achetée à Sault put donc me servir pour descendre à Saint-Etienne, où je rentrai enchanté d’avoir su enfin échapper à l’obsession de l’heure et de la distance, d’avoir surtout senti s’éteindre en moi cette combativité qui me poussait autrefois à aller, malgré moi, plus vite que ne le comportaient les circonstances, pour répondre à quelque provocation tacite.
Je n’ai certes jamais poussé cette combativité jusqu’à l’excès qui caractérise les hommes de sport, tant amateurs que professionnels, dont la règle est, lorsqu’il s’agit de vaincre un adversaire, d’aller jusqu’à l’épuisement, jusqu’à tomber sur le carreau, en franchissant la ligne d’arrivée.
Encore avais-je pour excuse qu’il importait de démontrer que la polyxée n’était pas, même à ses débuts, le camion auquel on la comparait, qu’elle pouvait même, sur un terrain accidenté, battre la mono en rendement autant qu’elle la battait en confortable.
Or, la poly s’est perfectionnée surtout dans le sens du rendement, à tel point que les organisateurs des courses sur route la proscrivent au même titre qu’ils proscrivirent autrefois le pneumatique, à cause de la supériorité qu’elle donne aux coureurs de deuxième ordre sur les coureurs de premier ordre restés fidèles à la mono et à l’effort athlétique.
Nous n’avons donc pins à combattre, et, je conseille plus que jamais de pédaler par plaisir et par hygiène aussi souvent qu’on le pourra, mais de ne jamais pédaler par amour-propre, par vanité, pour la galerie.
VÉLOCIO.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Lien hypertexte

(Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)