Par Paul de Vivie, 1909, Le Cycliste, cité dans Le Cycliste Mars Avril 1972, Anthologie cahiers n16, p. CCXLIII, A. Rabault
Quoiqu’on ne puisse raisonnablement assurer que le tourisme trouve son compte dans ces étapes nocturnes et qu’un beau paysage gagne à être vu sous la pâle clarté qui tombe des étoiles, il est incontestable que certains aspects de la Nature sont plus saisissants, éclairés par la lune que par le soleil. Les hautes montagnes, par exemple, aux crêtes déchiquetées, les glaciers, les torrents qui grondent en des gorges profondes ou glissent sur les roches brillantes dans le silence de la nuit, m’ont toujours plus impressionné que le jour. Avec la lune, pas de pénombre : le clair et l’obscur se succèdent sans interruption, et cette simple différence d’éclairage donne à un paysage comme un aspect tellement changé qu’on ne le reconnaît plus. Il y a plus : on se sent, la nuit, plus enclin à la rêverie, plus ému par le mystère des choses, plus écrasé par l’Infini, l’universalité, par tout cet inconnaissable éternel, dont nous avons la notion sans pouvoir nous l’expliquer. D’une nuit passée sur la route, je suis toujours sorti, dès l’aube naissante, comme d’un rêve ; impression bizarre qui m’étreignait irrésistiblement... J’ai beaucoup aimé pédaler la nuit, seul ; pendant nos étapes de vingt-quatre et de quarante heures, les heures nocturnes n’étaient pas les moins agréables, surtout quand la lune voulait bien se mettre de la partie...