La technique des changements de vitesse
vendredi 8 mars 2024, par
Vélocio, Le Cycliste, série publiée de 1925 à 1929. (les intertitres ont été ajoutés pour le web)
J’entreprends là une étude qui pourra être longue, au cours de laquelle j’aurai souvent besoin de la collaboration des lecteurs du Cycliste, qui pédalent en réfléchissant et surtout sans parti pris au sujet de tels ou tels dispositifs favoris. J’entends par « Technique » l’art de se servir d’un changement de vitesse, d’en combiner les éléments, d’en étudier les résistances, et, subsidiairement, la façon de les construire, bien que quelques-uns soient au-dessus des moyens d’un simple particulier et même des agents réparateurs de cycles, lesquels ne disposent jamais de l’outillage indispensable pour la construction d’un moyeu à 3 vitesses, par exemple. Mais il en est beaucoup d’autres, tels que la rétrodirecte, la bi et tri-chaîne, la lévocyclette, les dérailleurs, le système primitif, la flottante, voire certains pédaliers, type du Thilet créé par un simple amateur, qui peuvent aisément être établis dans un modeste atelier de réparateur de cycles. C’est de ceux-là que je m’occuperai surtout, et je commence par la bichaîne, un des plus anciens systèmes qui aient été pratiquement utilisés, d’abord sur le tricycle, ensuite sur la bicyclette.
Bichaine et polychaine
C’est en 1881 que j’appris à me tenir en équilibre sur deux roues et ce seul fait me mit en relation avec les bien rares cyclistes stéphanois de l’époque qui montaient, les uns des tricycles, les autres des bicycles comme le mien, la bicyclette étant encore dans les limbes. Sur l’un de ces tricycles, un Sparkbrook, était installée une bichaîne d’un système très simple, qui a été repris pour la bicyclette et dont on peut aisément se faire une idée. Appelons, si vous voulez, train moteur l’ensemble (pignon fixe ou libre sur le moyeu, chaîne et roue dentée sur l’axe pédalier) par lequel la puissance du cycliste est communiquée à la roue. Disposez un de ces trains de chaque côté de la roue motrice, que les roues dentées tournent folles autour de l’axe pédalier et qu’une bague solidaire de l’axe, mais mobile transversalement, puisse, par des dents latérales de forme convenable, rendre à volonté et alternativement la roue dentée de gauche ou celle de droite solidaire d’elle-même et par conséquent de l’axe pédalier. Quand la bague sera maintenue entre les deux roues dentées au moyen du levier de commande, aucun des deux trains moteurs ne sera entraîné et l’on sera à la position dite de roue folle. La bague est rainurée en son milieu, et dans cette rainure se loge l’extrémité coudée du levier de commande chargée de pousser ladite bague, soit à droite, soit à gauche, pour l’enclaboter avec la roue dentée correspondante. Dans cette combinaison, il est possible d’avoir la roue fixe ou la roue libre à chaque vitesse. Mais la roue folle n’est pas chose bien désirable en soi, surtout quand elle est encadrée de deux roues serves, car si l’on veut, par exemple, à la descente, freiner en contrepédalant (il faut, pour cela, embrayer en pleine vitesse), on risque de casser les clabots. D’ailleurs, très rares sont aujourd’hui les cyclotouristes qui tiennent à la roue fixe. Si l’on attelle les deux trains moteurs sur roue libre, il devient possible de simplifier le dispositif ci-dessus en rendant le train moteur de la petite vitesse définitivement solidaire de l’axe pédalier et de ne faire agir la bague d’embrayage que sur la roue dentée de la grande vitesse qui, elle, peut encore rester sur roue fixe. Je me suis servi longtemps, pendant la période de transition qui a précédé le triomphe définitif de la roue libre, de bichaînes qui avaient roue fixe en grande et roue libre en petite vitesse, et c’est sur une bicyclette de ce genre que je suivis, en 1902, le concours du T. C. F. dans les Pyrénées, mais l’embrayage était toujours manœuvre délicate et, pendant qu’on y procédait, il fallait, ou appliquer le frein pour réduire la vitesse, ou pédaler vivement pour faciliter la prise des clabots et ne pas être surpris par le brusque départ de la roue dentée, soudainement entraînée par la roue fixe.
Il y a dans tous les dispositifs de ce genre un défaut que je crois sérieux, bien que beaucoup de constructeurs le tiennent pour quantité négligeable : l’extrémité coudée du levier de commande, chargée de pousser et de tenir en place la bague mobile qui tourne constamment avec l’axe-pédalier, reste, elle, immobile ; de ce fait, naît une résistance passive plus ou moins grande, suivant la façon plus ou moins parfaite dont ces deux pièces, l’une mobile, l’autre immobile, frottent l’une sur l’autre : il y a une résistance de même nature dans les moyeux polyxés. on s’en aperçoit à l’usure de la bague immobile de la tirette frottant sur le balladeur toujours en mouvement.
Quand me vint l’idée, en 1900, de construire une bichaîne, je m’appliquai donc à trouver un dispositif qui échappât à ce défaut, et je transportai le levier de commande sur la manivelle où il oscille autour d’un boulon à tête fraisée, vissé dans la manivelle même et maintenu immobile, condition essentielle, par un contre-écrou. Il faut que ce boulon puisse être vissé suffisamment pour que le levier plaqué contre la manivelle à frottement dur n’oscille pas de lui-même, ce qui aurait pour résultat de provoquer des débrayages et des embrayages intempestifs. Ce levier se termine du côté de la pédale par deux pattes pliées à angle droit et se rabattant sur la manivelle qui limite ainsi leur oscillation. Pour embrayer en grande vitesse, on appuie du bout du pied sur une de ces pattes et pour débrayer on appuie sur l’autre. C’est une manœuvre avec laquelle on se familiarise assez vite pour qu’on arrive à la faire la nuit comme le jour. L’autre extrémité du levier est coudée et aplatie, car elle doit se loger entre le pied de la manivelle et la roue dentée de la grande vitesse, sans frotter contre celle-ci. Cette roue dentée n’est pas vissée sur la coquille de la manivelle, elle y est simplement posée à frottement doux et maintenue par un contre-écrou se vissant à droite sur la manivelle droite et à gauche sur la manivelle gauche, si, pour une raison quelconque, on préfère placer la grande vitesse à gauche. Ainsi maintenue entre ce contre-écrou et l’épaulement extérieur de la coquille, la roue dentée tourne folle et tout doit être calculé pour que le contre-écrou, quelque fortement vissé qu’il soit, ne vienne pas appuyer contre elle et l’empêcher de tourner librement, faute de quoi on aurait à souffrir d’une grave résistance passive quand on se servirait de la petite vitesse ; il suffit pour cela de diminuer d’un ou deux dixièmes, à sa base, l’épaisseur de la roue dentée, afin qu’elle soit une idée moins large que la partie qui lui sert de siège. Je m’étends sur ces menus détails d’agencement pour qu’on comprenne bien combien il est facile à n’importe qui d’équiper en bichaîne une bicyclette quelconque. L’embrayage et le débrayage de la roue dentée peuvent se faire de bien des façons laissées à l’ingéniosité de chacun : par un levier et des butées fixées sur la face extérieure de cette roue, par un verrou et des trous, au lieu de butées, par un encliquetage, etc. ; la commande peut être faite au pied ou à la main, et enfin les deux chaînes, au lieu d’être l’une à droite et l’autre à gauche, ce qui est plus rationnel et distribue mieux l’effort sur les tubes du cadre, mais ce qui a le défaut énorme pour quelques-uns de donner à une bicyclette une silhouette très différente de celle qu’on lui connaît, les deux chaînes peuvent être sans inconvénient logées côte à côte ; dans ce cas, le pignon de la petite vitesse prend la place du contre-écrou vissé à droite si les deux chaînes sont à droite, à gauche si elles sont à gauche. Pour faciliter à ceux qui voudraient entreprendre la construction des bichaînes, la compréhension de ce qui précède, la « Gauloise » met à la disposition des lecteurs du Cycliste une manivelle droite munie d’une roue dentée folle de 44 dents et du levier d’embrayage ajusté, le tout nickelé, au prix de 30 francs. Le levier attaque les butées d’entraînement par un bec qui doit assurer une bonne prise, mais qui ne doit pas, si l’on contrepédale, et que ce bec heurte par, sa face arrière une autre butée, désenclancher le levier ; tels cas cependant peuvent se présenter où il est nécessaire que, lorsqu’on contrepédale, le levier se désenclanche automatiquement ; si, par exemple, les deux trains moteurs sont attelés côte à côte sur un moyeu à roue libre intérieure, donc avec pignon de la grande vitesse fixe, et que le frein arrière sur jante soit actionné par le mouvement rétro d’une manivelle agissant sur un cliquet, il est nécessaire que le débrayage du levier se fasse automatiquement, car on n’a pas le temps quelquefois de débrayer et l’on risquerait de se trouver, à un moment critique, privé du frein puissant qu’est le frein sur jantes à contrepédale que tous les randonneurs de l’E. S. avaient adopté dès avant 1900 et qui est encore aujourd’hui irremplaçable. Tout cela pour expliquer qu’il faut donner au bec d’entraînement du levier d’embrayage la forme qui convient au service qu’on en attend.
La difficulté principale dans l’établissement des bi ou trichaînes est la nécessité d’avoir sur chaque couple des chaînes, sinon d’égale longueur (ce qui serait évidemment préférable et que j’observais au début) du moins de tension pratiquement égale. On peut résoudre ce problème ou le tourner de différentes façons ; la chaîne flottante en est une, on peut s’en contenter à la rigueur.
(A suivre.) Vélocio.
La technique des changements de Vitesse (suite)
Mais, avant la chaîne flottante qui ne date que de janvier 1912, nous dûmes nous appliquer à obtenir des couples de pignons et roues dentées tels que les chaînes fussent toujours, pratiquement, également tendues et je dressai, à cet effet, une table donnant les longueurs de chaîne pour tous les accouplages possibles de 12 à 64 dents. Seulement les échelles de développements réclamées variant à l’infini, il fallait souvent truquer le diamètre des roues dentées, l’augmenter ou le diminuer d’un millimètre, selon que la chaîne devait être, d’après la table, sur telle couple trop longue, ou trop courte sur telle autre. C’était tout un travail, et si jamais quelque constructeur entreprend de munir de bichaîne ses coureurs du Tour de France, il faudra bien qu’il en fasse autant et qu’il surveille, d’étape en étape, l’égalité des chaînes qui devra toujours être parfaite, surtout s’il veut conserver la roue fixe sur le grand braquet, chose désirable pour les coureurs. Avec roue libre aux deux vitesses, une égalité rigoureuse de tension n’est pas aussi nécessaire, cependant on devra toujours s’attacher à ce que la chaîne la plus tendue soit sur la petite vitesse, parce que cette chaîne est toujours entraînée qu’elle travaille ou non, tandis que celle de la grande vitesse, quand elle ne travaille pas, n’est pas entraînée. Les cyclotouristes, pour qui j’écris, peuvent donc se contenter de chaînes un peu molles, à la condition de les interchanger de temps en temps quand ils s’aperçoivent que l’une se distend plus que l’autre, ce qui se produit fatalement, car on se sert toujours d’un développement plus que de l’autre ; faute d’avoir pris cette précaution en temps opportun, il arrive que la chaîne distendue, qu’on la place sur la grande ou sur la petite vitesse, reste telle. Un bon truc est alors de couper en deux parties égales chaque chaîne, puis d’ajouter la moitié de la chaîne A à la moitié de la chaîne B, et vice versa. On rétablit par ce moyen l’égalité pratique de tension entre les deux chaînes ; ou bien on a recours au doigt d’acier de la chaîne flottante pour empêcher la chaîne distendue de sauter hors des dents. Avec les trichaînes, le problème est plus compliqué, mais on parvient tout de même à réaliser pratiquement l’égalité de tension entre les trois chaînes, quitte à utiliser le système du galet tendeur que nous vîmes autrefois sur les tandems américains et qui réglait la tension de la chaîne de jonction entre les deux pédaliers. Les trichaînes ont eu des partisans et l’on peut même établir des quadrichaînes, en combinant le débrayage au pédalier par manivelle à levier que j’ai déjà décrit, avec le débrayage au moyeu par commande à la main qu’il me reste à décrire. Je me sers encore d’une trichaîne construite en 1904 et qui succéda, dans mon écurie, à la tri-chaîne du même type qui prit part au premier concours du T. C. F. en 1902 dans les Pyrénées ; elle comporte, à droite, le grand développement de 6 mètres monté sur manivelle à embrayage, à gauche, le développement moyen sur manivelle à embrayage et le petit, Calé directement sur l’axe du pédalier.
La quadrichaîne fut présentée en 1905 sous deux formes : les 4 chaînes, dont la longueur totale n’excédait pas celle de deux chaînes normales, logées toutes à droite, séparées par un axe intermédiaire, comportaient le débrayage au pédalier et le débrayage au moyeu ; il en fut livré quelques exemplaires et si l’on avait enfermé dans un carter tout ce bloc moteur, on aurait eu là et l’on aurait encore un excellent 4 vitesses en marche affligé de faibles résistances passives et donnant de bonnes échelles de développements, par exemple : 2 m. 50, 3 m. 75, 5 m. et 7 m. 50 ; rien n’empêcherait même d’avoir une cinquième vitesse par une cinquième chaîne hors du carter et placée à gauche sur un deuxième embrayage au pied ; on aurait ainsi par exemple : 2 m. 40, 3 m. 25, 4 m. 80, 6 m. 50 et 7 m. 50 ou 8 m., développements d’ailleurs modifiables au gré de chacun, tous interchangeables en marche, sans déviation de la ligne de chaîne. La seconde forme sous laquelle fut présentée à la même époque la quadrichaîne, comportait 3 chaînes côte à côte, à droite, avec embrayage au pied et embrayage à la main, et une chaîne à gauche sur embrayage au pied. Elle permettait les quatre développements ad libitum, tandis que dans le type précédent avec axe intermédiaire, les deux premiers commandaient les deux autres par leur rapport entre eux, lequel pouvait être quelconque — du simple au double, au tiers, au quart, etc.
J’ai, comme on le soupçonnera d’après ce qui précède, pioché beaucoup, de 1900 à 1906, la polychaîne et j’écrivais alors que toutes les fois que je désirerais une vitesse de plus en marche, j’ajouterais une chaîne, plutôt que d’en venir aux moyeux à engrenages, qui, jusqu’en 1905, me donnèrent beaucoup de déboires. Depuis lors, j’ai changé d’avis et, sauf la 4 vitesses par axe intermédiaire qui a sa raison d’être et pourrait très bien être, un jour ou l’autre, industrialisée, je ne retiens des autres polychaînes que la bichaîne attelée à un moyeu à 2 ou à 3 vitesses, le Terrot ou le B. S. A., quand j’ai besoin d’une bonne échelle de 4 ou 6 développements interchangeables en marche.
Mais il est peut-être temps de décrire la bichaîne avec débrayage au moyeu et commande à la main, que je viens de mettre à tant de sauces. Elle diffère de l’autre en ceci que les deux roues dentées sont indissolublement liées par la manivelle à l’axe du pédalier, et que, des deux roues libres placées côte à côte sur le moyeu, la plus petite, extérieure, au lieu d’être vissée comme sa voisine sur le corps du moyeu, est fixée sur un roulement à billes qui se déplace en coulissant sur l’axe par le moyen d’une tirette ou d’un doigt. Pour que ce roulement à billes puisse entraîner le moyeu, il comporte sur sa face intérieure des dents ou clabots qui ont leur contrepartie sur la face opposée du moyeu. Par la commande placée sur le cadre ou au guidon, comme celle d’un moyeu polyxé ou d’un dérailleur, on peut éloigner ou rapprocher ces clabots qui, embrayés, donnent la grande vitesse et, débrayés, rendent folle la roue libre extérieure et laissent à l’autre chaîne et à l’autre roue libre de la petite vitesse tout le travail. Ce dispositif serait peut-être plus simple et moins coûteux à établir si ’ jamais un grand constructeur s’intéressait a la bichaîne, mais il lui faut un moyeu tout à fait spécial, tandis que la bichaîne par débrayage au pied s’accommode de tous les moyeux et de tous les pédaliers, si bien qu’on peut l’adapter aux bicyclettes de toutes marques sans en modifier les roulements essentiels.
Après cette longue digression sur la poly-chaîne, qui pourra servir aux compilateurs que le désir d’écrire l’histoire de la polyxion hantera peut-être un jour, je reviens à la bichaîne du début, facile à construire par n’importe qui et à adapter à n’importe quelle machine à peu de frais. Un abonné du Cycliste m’a demandé comment on pouvait loger côte à côte deux roues libres sur un moyeu ordinaire, sans avoir recours à un homme de l’art. On visse d’abord sur le moyeu la roue libre de la petite vitesse dont le filetage, toujours plus large d’au moins 5mm que celui du moyeu, surplombe le filetage du contre-écrou prévu pour le cas de plus en plus rare d’un pignon fixe. Vous vissez alors dans ce filetage en surplomb, l’extrémité effilée à la lime d’une cuvette de pédalier filetée au diamètre extérieur du moyeu et intérieur de la roue libre, c’est-à-dire presque toujours à 34,7 pas de 1mm ; cette extrémité de la cuvette se loge d’autant plus facilement que vous avez eu soin de limer le filetage préparé pour le contre-écrou ; sur l’autre extrémité de cette cuvette de pédalier qui à son tour surplombe le cône fixe, vous vissez la deuxième roue libre. Vous aurez eu soin, naturellement, de détremper la cuvette de pédalier et d’en agrandir l’ouverture pour qu’elle ne se heurte pas au cône fixe qui doit rester accessible afin qu’on puisse régler ou démonter le moyeu sans toucher aux roues libres ; il est aussi recommandé de pratiquer dans cette cuvette des trous ou un carré permettant de la saisir pour la dévisser. Quelquefois l’axe du moyeu n’est pas assez long pour le moyeu muni de deux roues libres juxtaposées, il faut le remplacer. Les noix de roue libre actuelles ont jusqu’à 15mm de largeur, alors que nous en avions avant guerre qui ne mesuraient guère que 9min et qu’on parvenait à juxtaposer sur tous les moyeux sans aucune modification : elles ont disparu comme beaucoup d’autres bonnes choses.
La bichaîne se prête aux combinaisons les plus variées et s’associe avantageusement avec la plupart des dispositifs de polyxion, parce que sa faible résistance passive est invariable et ne s’aggrave pas à mesure qu’augmente la résistance à l’avancement. Associée à la flottante ou au système primitif, elle permet d’avoir une échelle de développements très complète dont les éléments peuvent se combiner deux par deux, de telle sorte qu’on obtient, sur la même machine, cinq ou six jeux de deux vitesses en marche. En voici un échantillon qui a toujours été depuis sa naissance, en 1903, un de mes meilleurs outils de grande randonnée. Il s’agit d’une bichaîne du second type avec embrayage à clabots sur le moyeu et commande à la main ; elle a, rivées sur la manivelle, trois roues dentées, 54, 39 et 24 dents et cet assemblage est assez compact pour que l’axe du pédalier de 122mm ait pu être conservé. Il s’agit donc d’une bicyclette à pédalier étroit, puisque les axes des monos mesurent généralement 125mm. J’attire l’attention sur ce détail, non pas que je surestime le pédalier étroit que je tiens au contraire pour défectueux, mais pour qu’on n’accuse pas la bichaîne d’alourdir l’apparence, la silhouette d’une bicyclette. A l’arrière, sur le corps du moyeu, j’ai placé une roue libre à double denture, 16 et 20 dents, puis, sur le porte-clabots coulissant, une deuxième roue libre à simple denture de 16 dents. Par déplacement des chaînes à rallonges et à crochets, mode de fermeture que Bourlet condamna en 1902 sans le connaître, j’obtiens, avec cinq développements, 6 jeux de 2 vitesses en marche, à savoir : 54 * 16 = 7 m. 40, avec 39 x 16 = 5 m. 30, ou avec 39 * 20 = 4 m. 30, ou avec 24 * 16 = 3 m. 30, ou avec 24 * 20 = 2 m. 60, puis en attelant la deuxième roue dentée du pédalier sur la roue libre simple à clabots, je trouve deux autres jeux dont le premier est celui dont je me sers le plus souvent : 39 x 16 — 5 m. 30 avec 24 * 16 = 3 m. 30, ou avec 24 * 20 = 2 m. 60. Voilà qui me paraît propre à voyager en tous pays ; cependant je me contenterai aujourd’hui de 6 m. 50 comme développement maximum, car, il n’y a pas à dire, j’appuie moins en 1925 qu’en 1903. Les passages d’un jeu à l’autre se font en moins d’une minute, les chaînes sont également tendues sur tous les développements, et le poids total de la machine, équipée pour le tourisme, avec démontables de 35mm, garde-boue et deux freins, ne dépasse pas 14 kg. 800 ; je doute qu’on fasse aussi léger aujourd’hui et aussi solide, car ce vieil outil a bien 50.000 km. dans les jantes et il paraît capable d’en avaler autant sans être incommodé. Au concours de 1902, les bichaînes étaient nombreuses et se comportèrent bien ; la bichaîne Terrot obtint même l’unique médaille d’or ; toutes les fois que des bichaînes concoururent à Chanteloup elles arrivèrent toutes et se classèrent honorablement ; quand le capitaine Perrache publia dans le Cycliste d’avril 1902 sa remarquable étude sur la raideur des chaînes, résultat d’une série d’expériences conduites avec la scrupuleuse impartialité qui caractérisait notre savant collaborateur, il fut amené à reconnaître que la bichaîne directe était le dispositif le moins affligé de résistances passives. Théorie et pratique, expériences de cabinet et enseignements de la route se sont donc toujours prononcés en faveur de la bichaîne, et cependant jusqu’ici ce dispositif n’a pas eu l’heur de plaire aux cyclotouristes atteints, comme tous les cyclistes, de caténophobie. Seuls les rares qui s’en sont servis et ont pu en apprécier la supériorité lui sont restés fidèles, mais ils n’ont jamais été assez nombreux pour justifier une fabrication intensive en grande série et, successivement, les maisons qui le cataloguèrent après son succès au concours du .T. C. F. Terrot, l’Hirondelle, Peugeot, et bien d’autres, l’ont abandonné. Mais il n’en reste pas moins hors de doute pour moi que, tant qu’il ne s’agira que d’avoir deux vitesses en marche instantanément interchangeables, la bichaîne, à la condition qu’on évite le frottement constant d’une pièce mobile contre une pièce immobile [1] , constitue le dispositif à la fois, le plus simple, le plus robuste, le moins résistant, le meilleur marché et le plus facile à construire par n’importe qui. La bichaîne est, par excellence, la machine du randonneur oui ne veut pas en cours de route avoir des embarras et surtout être obligé de prendre le train, à la condition que tout y soit bien mis et tenu au point. Elle a cela de commun avec tous les autres dispositifs que je vais examiner. Mais si l’embrayage ne tient pas, si les clabots n’engrènent pas, si les chaînes trop inégalement tendues, sautent à tout moment, si les pignons se voilent, si les maillons s’accrochent et si vous êtes incapable de prévoir une défaillance et d’y remédier, la bichaîne ne vous conduira pas loin.
Les bichaînes avec commande au pied ou à la main dont je viens d’entretenir un peu longuement les lecteurs du Cycliste, datent de 1900 et 1902 ; elles furent précédées ou suivies, je ne suis plus au juste, par un autre dispositif que j’imaginai vers la même époque. Nous commencions à trouver sur le marché des moyeux à deux vitesses serves avec, entre la grande et la petite vitesse, une troisième position qui laissait la roue folle, c’est-à-dire qui permettait de rouler à la descente pédales immobiles comme aujourd’hui avec la roue libre, mais qui ne permettait pas d’entraîner la roue en pédalant. Il fallait, pour relancer la roue, embrayer d’abord l’une ou l’autre des deux vitesses, manœuvre délicate et même dangereuse quand on passait ainsi en roue fixe et qu’on était encore lancé à vive allure ; les pédales étant brutalement entraînées, il s’agissait de se préparer au choc et il arrivait parfois, à des cyclistes distraits de se sentir soudain enlevés par la pédale remontante et projetés par dessus le guidon. En somme, cette position de roue folle entre deux roues serves ne valait pas le diable, bien qu’elle fût fort goûtée par quelques-uns qui en vantaient les charmes dans le Cycliste. Un moyeu américain, le Bi-gear, avait été introduit en France et y était déjà assez répandu ; par sa commande à tringle rigide qui barrait le cadre disgracieusement, on avait en marche deux vitesses dans le rapport de 4 à 5, les deux en roue serve et à droite. J’eus donc l’idée de placer à gauche, sur le corps du moyeu, une roue libre (on commençait à en trouver sur le marché) et sur l’axe pédalier, un pignon et j’obtins par une deuxième chaîne une troisième vitesse en marche, plus petite que les deux autres et qui entrait en action quand je plaçais la tringle à la position intermédiaire ; plus de roue folle, mais une roue libre. Aux deux vitesses du Bi-gear, 5 m. en prise directe et 4 m. avec engrenages, la deuxième chaîne ajoutait une troisième vitesse de 3 m. en prise directe. Si nous n’avions pas eu, à cette époque, les engrenages en horreur, nous nous en serions tenus sans doute à cette solution de la bichaîne, mais nous constations une telle dureté de la pédale quand, avec 4 mètres, nous voulions grimper à la Croix-de-Chaubourey (10 km. à 7 % en moyenne) que nous préférions, après quelques kilomètres, continuer avec 5 mètres ; aussi, quand nous eûmes 3 mètres à notre disposition, nous ne nous servîmes plus du 4 mètres et la tringle du Bi-gear ne nous servit plus qu’à passer en marche de 5 mètres à 3 mètres, et vice versa. Plus tard, nous eûmes des moyeux à 2 vitesses qui donnaient roue libre partout, ou bien roue libre en grande vitesse et roue serve en petite vitesse, avec plus d’écart entre ces deux vitesses que n’en donnait le Bi-gear. Nous obtînmes ainsi des bichaînes à 3 vitesses dont plusieurs roulent encore et qui sont, à mon avis, une très heureuse solution du problème de la polyxion. Avoir en marche par une seule commande à 3 crans 6 m. en prise directe et en roue libre, 4 m. 25 avec engrenages en roue libre aussi (ou en roue serve pour ceux qui savent encore en jouer) et enfin 3 mètres en prise directe et en roue libre. La moyenne vitesse est, là, assez loin de la grande pour qu’elle donne quelque soulagement, et puis, la résistance due aux satellites est peut-être moins grande dans les deux vitesses actuelles qu’elle ne l’était dans le Bi-gear. Malheureusement les moyeux à deux vitesses sont en train de disparaître. Plusieurs bichaînes ainsi agencées en trois vitesses par moyeu ou pédalier à deux vitesses W. F. W., Variand, etc., prirent part au concours du Tourmalet et y firent bonne figure ; mais le rapporteur Bourlet les traita de monstres hybrides où l’on avait accumulé les résistances et, le capitaine Perrache, de cochonnerie. En vérité, je vous le dis, si jamais la bichaîne s’impose — et elle s’imposera un jour — on ne pourra pas l’accuser d’avoir acheté les compétences du T.C.F.!
Voyons maintenant quels sont les avantages et les inconvénients des bichaînes pour le cyclotouriste tel que je l’ai souvent défini, qui voyage de préférence en pays accidenté, qui ne veut pas être handicapé par les résistances passives, arrêté ou retardé par des accidents de machine, aller vite s’il lui plaît, sans se surfatiguer, et qui veut avoir à s’occuper le moins possible de son outil en cours de route :
1° La chaîne qui ne travaille pas risque de sauter hors des pignons, si elle est trop lâche, si les pignons sont de très grand diamètre, si elle est forcée de tourner constamment et qu’elle soit ainsi soumise aux effets de la force centrifuge qui tend à la soulever au-dessus des dents, surtout quand elle est déjà distendue et, dans un soubresaut, à la jeter par-dessus bord. On peut prévenir ce désagrément en calculant la longueur des chaînes, de façon que la plus tendue soit celle de la petite vitesse, en employant des pignons d’aussi faible diamètre que possible, en guidant les chaînes à leur entrée sur les pignons ou en les maîtrisant, tant au moyeu qu’au pédalier, par des doigts d’acier, simples tringles fixées par un collier au tube de selle et dont l’extrémité est amenée au-dessus des roues dentées aussi près que possible de la chaîne, sans la toucher, bien entendu ; ce tringles empêchent que la chaîne soit soulevée et qu’un cahot la fasse tomber.
2° Les chaînes qui ne travaillent pas peuvent, sous l’influence des trépidations, se dévisser ou se décrocheter et tomber sans qu’on s’en aperçoive ; on obvie à cela en s’assurant de temps en temps que les boulons, crochets et autres systèmes d’attache sont bien assujettis. Sur les chaînes de ma bichaîne à 6 jeux de 2 vitesses, j’ai quelquefois jusqu’à trois crochets sur la même chaîne, mais ces crochets sont placés de telle façon qu’en passant sur les pignons ils tendent à se fermer et j’ai soin, au cours des longues descentes en roue libre, de donner de temps en temps quelques coups de pédale pour fermer ces crochets que les trépidations pourraient ouvrir. Les mauvaises routes actuelles sont évidemment défavorables aux bichaînes, comme elles le sont d’ailleurs aux flottantes, aux dérailleurs et même aux monochaînes.
Ces inconvénients des bichaînes sont donc très bénins, puisqu’il est possible d’y parer en prenant quelques précautions, tandis que les avantages quelles présentent sur tous les autres dispositifs de polyxion sont importants : moindre résistance passive, meilleure distribution de la force sur le cadre quand les trains moteurs sont, cas le plus fréquent, de chaque côté de la bicyclette ; suppression facultative d’une chaîne , quand on prévoit un long parcours à profil presque constant. Ainsi j’ai enlevé ma chaîne de G. V. pour monter au Petit-Saint-Bernard, au Lautaret, et autres lieux élevés et, d’autres fois, ma chaîne de P. V. pour aller du col des Grands-Bois jusqu’à la montée de Donzère, de St-Etienne à Lyon, etc., opération faite en cinq secondes, grâce au crochet spécial, possibilité de continuer sans arrêt en cas de rupture grave d’une chaîne ou d’une roue libre, visibilité instantanée de tout le mécanisme, et immunité contre la boue et la pluie aussi parfaite qu’avec la mono vulgaire. Si j’ajoute à cela que la bichaîne est facile à construire, trop facile même, car elle a souvent été sabotée par de mauvais constructeurs, qu’elle n’est défendue par aucun brevet, qu’elle ne coûte guère que dix francs de plus qu’une mono et qu’elle peut se mesurer, en fait de légèreté, avec la rétrodirecte monochaîne, la plus légère de toutes les deux vitesses, j’aurai terminé mon exposé théorique et pratique de ce dispositif de polyxion pour lequel j’ai toujours eu une prédilection marquée, bien qu’il ne donne que deux vitesses en marche et qu’ainsi il oblige à choisir ces deux vitesses avec discernement. Vélocio.
(A suivre.)
La Technique des changements de vitesse
Ceci m’amène à discourir un instant sur les considérations qui doivent nous guider dans le choix et dans le nombre de nos développements. Si j’étais (A) un surhomme, un superas, un type trois ou quatre plus souple et plus fort que les meilleurs des As du Tour de France, je me contenterais d’un seul développement de 6 mètres, par exemple, avec quoi je battrais en grimpant aisément au Galibier ou en tricotant à 50 à l’heure en palier, tous les Bottechia du globe. Si j’étais simplement (B) un athlète toujours exercé, (tel le Dr Ruffier, capable d’appuyer fort et de tourner vite, deux développements, mettons de 3 m. 50 à 4 m. et de 5 m. 50 à 6 m. interchangeables par retournement de la roue ou déplacement de la chaîne, me suffiraient pour ne jamais faire les honneurs du pied aux rampes les plus dures et les plus longues et pour négocier roue dans roue avec les meilleurs randonneurs, les interminables descentes en pente douce ou les paliers. Toujours athlète (C), mais moins exercé, faute de temps à consacrer à un entraînement scientifique et intensif, faisant partie, je suppose, du Lyon Routier que M. Rivet a converti par l’exemple à sa méthode de randonner par monts et par vaux, le système primitif à 4 couples de pignons ou à pignons contrariés ferait juste mon affaire, avec 3 m., 4 m., 5 m. et 6 m., à la condition qu’on ne m’imposât pas l’obligation de ne pas lâcher d’une pédalée des compagnons munis de polys en marche et qu’on se contentât de me voir arriver aux buts d’étape communs, à l’heure ou avant l’heure. En effet, la randonnée compétitive où l’on veut se montrer toujours égal ou supérieur à des compagnons d’à peu près égale valeur, exige qu’on soit outillé de même, faute de quoi il adviendrait souvent qu’un coup de manette de changement en marche balançât pour quelque temps l’avantage de l’absence de résistances passives et de la plus grande légèreté dont font si grand cas les cyclotouristes de l’école du Dr Ruffier et de M. Rivet, lesquels, par contre, quand ils tiendraient le bon développement, mettons 5 m., pour un parcours déterminé, lâcheraient les polyxées tarabiscotées à 2, 3, 4 ou 6 vitesses en marche.
Donc, dans une compétition entre polyxés de différente façon, il ne doit s’agir que d’arriver au but le plus vite possible, non de pédaler tout le jour botte à botte.
Mais tous les cyclistes ne sont pas de la classe B ou C, capables d’étapes de 300 km. en liante montagne, sans le secours d’un changement de vitesse qui permette de conformer instantanément à la résistance à la jante l’effort sur La pédale, au moins dans une certaine mesure et en tenant compte de la souplesse du moteur humain. Et j’ai appartenu à une quatrième classe D qui pouvait faire des étapes aussi longues, aussi accidentées et dans le même temps, à la condition d’avoir toujours sous le pied deux développements, afin de n’avoir jamais ni à appuyer trop fort, ni à tourner trop vite.
Ces deux développements devront être choisis avec discernement et seront différents selon qu’ils seront escortés ou non d’un ou de plusieurs développements de secours. Supposons que ces deux développements doivent être seuls ; ils devront être alors plus espacés, et M. Ballif, dans la Revue du T. C. F., conseilla jadis 2 m. 50 et 5 m. ; pour moi, l’écart du simple au double serait beaucoup trop grand et je choisirais 3 m. 25 et 5 m.. tandis que si je disposais de deux développements de secours, je choisirais 3 m. 80 et 5 m. 50, doublés par 2 m. 80 et 6 m. 50 en réserve, qui me donneraient, le cas échéant les combinaisons 2 m. 80 et 5 m. 50 d’une part, et 3 m. 80 et 6 m. 50 d’autre part. La combinaison 2 m. 80 et 6 m. 50 serait possible, mais elle aurait peu de chance d’être jamais utilisée bien longtemps. Si je ne devais avoir qu’un développement de secours, j’augmenterais légèrement, mes deux développements réguliers et, au lieu de 3 m. 25 et 5 m., je choisirais 3m. 60 et 5 m. 25 et mon développement de secours viendrait, ou 2 m. 80 si j’habitais une région très accidentée, ou 6 m. 50 si je devais plutôt rayonner dans des régions plus ondulées où le vent joue un grand rôle, comme la vallée du Rhône.
Je crois qu’avec 3 m. 25 et 5 mètres un bon cycliste moyen à coefficient de 1200 qui fut le mien autrefois, peut entreprendre les randonnées alpestres et similaires de 300 km. avec la certitude de les mener à bien sans fatigue anormale. En palier favorable, 5 mètres et 90 tours vous emmènent à 27 à l’heure, la pression sur la pédale étant, en ce cas de 15 kg., le coefficient personnel représenté par : pression X cadence, donc 15 x 90, est de 1350 ; d’autre part, à une montée de 6 % que l’on ferait à 12 à l’heure avec ce même 5 mètres en tournant à 40 tours, la pression sur la pédale s’élevant à 30 kg., le coefficient deviendrait : 30 x 40 = 1200. Mais si la montée est longue, si même elle n’est pas assez courte pour qu’on puisse l’enlever en vitesse, ce cycliste fera sagement de prendre le petit développement de 3 m. 25 et de tourner à 60 tours ; la pression s’abaissera à 19 kg. et le coefficient deviendra : 19,5 * 60 = 1170. J’ai toujours pédalé allègrement tant que la pression sur la pédale n’excédait pas 20 kg. et que la cadence se maintenait très près de 60 tours. Ainsi, pour marcher en palier, sans vent, à 27 à l’heure, je préférais 7 m. 50 et 60 tours à 5 mètres et 90 tours, tandis que d’autres font aisément du 30 à l’heure avec 4 mètres et 125 tours, coefficient 14 kg x 125 = 1750. Voilà un bien gros coefficient, mais il n’est pas exact, pas plus que celui de 1350 que je m’attribuais tout à l’heure pour le 27 à l’heure avec 5 m. et 90 tours. En effet, quand on va à cette allure-là, on incline plus ou moins le buste en avant pour diminuer la résistance de l’air ; un professionnel parvient, de cette façon, à escamoter un bon tiers de sa surface et diminue sensiblement par ce moyen la résistance à la jante, partant, la pression sur la pédale ; le coefficient de 1750 se réduit alors à 1300 ; celui de 1350 (27 à l’heure) à 1017. En outre, dans tous ces exemples, on a estimé la longueur de la manivelle à 16 centimètres, tandis qu’elle est généralement de 17, d’où une diminution de la pression sur la pédale et sur le coefficient d’environ 6 %, mais, par contrecoup, une gêne pour la rapidité de la cadence qu’il est impossible de chiffrer. Nous savons, tous, que plus les manivelles sont courtes, plus on peut tourner vite et vice versa.
Le bon cycliste moyen dont je m’occupe depuis un instant, doit connaître son coefficient, savoir quelle est sa meilleure cadence et de quel effort sur la pédale il est capable, non pendant dix minutes, mais pendant cinq ou six heures de travail soutenu ; c’est là-dessus qu’il se réglera pour choisir les deux développements interchangeables en marche dont il obtiendra son meilleur rendement, en tenant compte des limites extrêmes entre lesquelles la souplesse de son moteur lui permet de faire varier et la pression et la cadence, en tenant compte aussi du rendement de sa monture, bi-chaîne, rétrodirecte, dérailleur, touricyclette, moyeu à 2 vitesses, etc. Le cas du cyclotouriste qui voyage à la papa, ou du cycliste dont le moteur a peu de force et peu de souplesse, est très différent, et une 2 vitesses en marche n’y suffit pas, à moins qu’il lui soit indifférent d’aller souvent à pied et de réduire à rien la longueur des étapes.
Rétrodirecte
Après les polychaînes, se présentent naturellement sous ma plume les rétrodirectes qu’il est très facile d’imaginer et de construire, pourvu que l’on s’en tienne à la forme la plus simple et la plus pratique, celle, aussi, qui paraît le moins chargée de résistances passives, quoiqu’elle en ait sa bonne part, à en juger par les expériences du capitaine Perrache, le propagateur, sinon l’inventeur du rétropédalage. Quand on possède, déjà, une bichaîne dont les deux chaînes sont placées côte à côte, on a tôt fait de la transformer en rétrodirecte, si toutefois le tube de chaîne permet le passage du brin inférieur de la chaîne rétro.
Vers 1900, avant que le capitaine Perrache se fût occupé de la question, M. de Viviès, de Lavaur (Tarn) voulut rétropédaler, persuadé qu’il obtiendrait ainsi un meilleur rendement de sa bicyclette, et il pouvait pour cela se baser sur un fait que j’avais constaté dès 1881. En ces temps éloignés, nous étions quelques-uns à Saint-Etienne qui usions volontiers pour la promenade dominicale, des tricycles, tandems et sociables Salvos, lourds et encombrants véhicules sur lequels, à la montée, on allait moins vite qu’à pied et nous avions remarqué que nous pouvions plus aisément venir à bout d’une côte dure en pédalant à rebours ; nous faisions tête à queue et nous rétropédalions, et l’énorme engin avançait à reculons plus vite qu’il n’eût avancé autrement. Cette façon de pédaler était donc, dans certains cas, justifiable, et l’erreur du capitaine Perrache a été de vouloir généraliser ce cas particulier d’un véhicule en mouvement privé de toute force vive.
M. de Viviès voulut donc transformer en rétro son pédalage direct ; il installa derrière son pignon de roue libre et dans le même plan, une simple poulie en bois d’un diamètre plus grand que celui du pignon ; il allonge sa chaîne et en entoura la poulie, puis la ramena à la roue dentée après en avoir fait passer le brin inférieur sur le sommet des dents du pignon. Ainsi disposée, la chaîne ne pouvait entraîner la roue libre que si on rétropédalait ; dans l’autre sens le pignon libre se déroulait sur lui-même sans agir sur la roue. Il va sans dire que la poulie qui inversait le sens du pédalage pouvait être tout aussi bien un pignon au pas de la roue libre et ce pignon unique de grand diamètre pouvait être aussi remplacé par deux tout petits pignons disposés de façon que le brin supérieur de la chaîne survolât nettement la roue libre et que le brin inférieur s’enroulât sur au moins la moitié supérieure de cette même roue libre, afin d’en assurer le bon entraînement. Installez ce dispositif sur l’une des chaînes d’une bichaîne, ne touchez pas à l’autre et vous aurez réalisé la première rétrodirecte que mit en vente, sur les indications du capitaine Perrache, la maison Magnat-Debon. Il n’y a plus ici d’embrayage au pédalier ou au moyeu comme dans les bichaînes directes. Les deux roues dentées sont solidaires de l’axe ou de la manivelle et les deux roues libres sont vissées côte à côte sur le moyeu. En pédalant en avant on a une vitesse, en pédalant en arrière on a l’autre vitesse ; c’est idéal de simplicité. Un peu plus tard, un autre constructeur industrialisa une façon différente de placer la chaîne sur les roues libres en reportant la poulie ou pignon inverseur en avant sous le tube de chaîne ; la même chaîne partant du haut de l’unique roue dentée du pédalier s’enroulait par son brin supérieur sur une des roues libres, venait s’inverser sur le pignon inverseur fixé solidement sous le tube de chaîne, revenait s’enrouler sur la seconde-roue libre et retournait par son brin inférieur se boucler par le bas de la roue dentée du pédalier au maillon de départ. On supprimait de cette façon une chaîne, mais on allongeait sensiblement l’autre et, quand les deux brins supérieur et inférieur se rejoignaient, il y avait entre les lignes de chaîne du haut et du bas de la roue dentée un écart de 10 à 12 millimètres qui ne gênait que la théorie et les fanatiques de la ligne de chaîne rigoureusement exacte, mais ce pourquoi le capitaine Perrache préféra toujours la bichaîne Magnat-Debon. Peut-être aussi soupçonnait-il dans ce dispositif monochaîne une aggravation de la résistance passive qu’il avait mesurée comparativement aux bichaînes directes et estimée à près de cinq fois plus importante dans les rétrodirectes (59 grammes) que dans les autres (12 gr. ).
Pourtant la rétrodirecte a tellement d’avantages par son bas prix d’établissement, par sa facilité d’adaptation à toutes les bicyclettes, surtout par l’instantanéité et la commodité du changement de vitesse, qu’elle se serait imposée à tous les randonneurs, voire aux coureurs, si elle n’avait contre elle un drawback d’ordre physiologique. Le rétropédalage ne semble pas être un mouvement naturel ; il faut s’entraîner à rétropédaler et rester entraîné si l’on veut en obtenir de bons résultats. Alors qu’on est toujours prêt à pédaler en direct, même après des mois de repos, on ne sait plus pédaler en rétro sans se courbaturer rapidement les muscles spécialement affectés à ce mouvement. Les bons rétroïstes avouent qu’ils sont obligés au printemps de rééduquer leurs muscles rétromoteurs pendant quelques semaines avant d’entreprendre leurs excursions habituelles. Je pratique assez fréquemment la rétrodirecte pour pouvoir me dire rétroïste moyen et j’ai remarqué que les muscles qui se fatiguent à rétropédaler sont les mêmes qui se fatiguent à contrepédaler à la descente sur une roue serve, exercice auquel je me livre assez souvent en hiver, de sorte que je n’éprouve jamais ce besoin de me remettre en forme et que je puis à n’importe quel moment faire une promenade d’une centaine de kilomètres en rétrodirecte sans courbature anormale. Car j’ai été, à ses débuts, un partisan convaincu, un emballé du répropédalage et le premier adepte du capitaine Perrache ; j’ai même encore dans mon musée une rétro à 3 vitesses, que je me fis construire en avril 1900, dès que le Cycliste publia les communications du capitaine, qui voyait dans le pédalage rétro et rien que rétro un perfectionnement extraordinaire. Grâce à un dispositif assez ingénieux, je pouvais par simple déplacement de la chaîne sur trois couples de pignons juxtaposés, pédaler tantôt en rétro, tantôt en direct, sur 4 m., 8 m. et 12 m. Je voulais comparer, toutes autres choses égales, le rétro et le direct, savoir jusqu’à quel point le rétropédalage augmentait la puissance du moteur humain. Je fis ainsi exclusivement en rétro des milliers de kilomètres, comme je fis quelques années plus tard des milliers de kilomètres en lévocyclette pour bien m’adapter à ces nouvelles méthodes de pédaler, et j’eus le regret de constater que je m’étais emballé à tort et que la vieille méthode restait toujours la meilleure, et de beaucoup. Néanmoins, je n’avais pas perdu mon temps et quand la deux vitesses en marche par rétrodirecte vit le jour, je pus m’en servir assez avantageusement pour que j’aie toujours du plaisir à récidiver, et je ne ne croirais pas bien malheureux si j’étais condamné à ne pédaler qu’avec une rétrodirecte ; toutes autres choses égales, je crois qu’à cinq ou dix pour cent près, j’en ferais tout autant qu’avec une bichaîne. On n’est pourtant pas obligé de donner toujours son maximum intégral à bicyclette, pas plus qu’on n’est forcé d’aller toujours au pas gymnastique !
En résumé, le rétropédalage n’est le nec plus ultra que pour quelques cyclistes dont les muscles sont préparés à cet exercice par la nature ou par d’autres exercices, tels que le canotage, mais il convient moins et même déplaît à beaucoup d’autres qui n’en peuvent obtenir ni rendement, ni confortable ; et c’est ce qui explique que la grande variété des dispositifs rétrodirects qui ont été inventés, voire industrialisés, ont disparu de tous les catalogues. Entre nous, il y en avait de pitoyables, dus à des cerveaux plus ingénieux dans leur réclame que pratiques dans leurs réalisations. N’est-ce pas, en effet, à l’inventeur d’un moyeu, rétrodirect que nous devons cette perle : moyeu à 3 vitesses, la grande en direct, la petite en rétro, la moyenne en pédalant d’un pied en direct, de l’autre pied en rétro ? A une certaine époque entre 1904 et 1908, avant que les dérailleurs soient entrés en lice, on s’occupa beaucoup de perfectionner les rétrodirectes des types bi et monochaîne, et nous vîmes à un meeting du Cycliste en 1908, un dispositif très heureux présenté par M. Pallandre, de Lyon, qui, transformant une des deux roues libres simples en roue libre à double denture, faisait dérailler mécaniquement la chaîne d’une denture à l’autre ; le pignon inverseur était, dans ce cas, tendu par un ressort à l’instar des dérailleurs modernes pour garder à la chaîne sa bonne tension, dispositif que l’Hirondelle a repris quand elle a voulu, lors du dernier concours du T. C. F., doubler les vitesses de sa rétrodirecte. M. Pallandre ne nous offrait que trois vitesses en marche, mais son dérailleur lui aurait permis de nous en donner tout aussi bien quatre, dont trois directes, une rétro ou deux directes et deux rétros ou trois rétros et une directe. C’est également vers cette époque que parut la rétrodirecte de Terrot à axe intermédiaire qui, grâce à la perfection de sa fabrication et au fait que la ligne de chaîne y était rigoureusement exacte, balança longtemps la faveur qui s’attachait de plus en plus aux dispositifs bichaîne de Magnat et monochaîne de l’Hirondelle, qui seuls ont survécu et survivront tant qu’il y aura des rétroïstes, puisque, ainsi que je l’ai dit, il est facile de les installer soi-même à très peu de frais sur une bicyclette quelconque et de placer ad libitum le rétro sur le grand ou sur le petit développement. Car les avis étaient partagés sur cette question : Doit-on rétropédaler sur le grand ou sur le petit développement ? les montées se font-elles mieux en rétro ou en direct ? Le capitaine Perrache réclamait rétro partout et il n’accepta la rétrodirecte que pour avoir deux vitesses en marche par un moyen très simple. Quelques-uns préféraient rétropédaler sur le grand développement, mais le plus grand nombre accepta ce que leur présentèrent les constructeurs dont le meilleur argument était celui-ci : « Servez-vous de la rétrodirecte comme d’une bicyclette ordinaire, sans vous inquiéter de la petite vitesse rétro, et attendez d’y être forcé par la résistance trop grande de la pédale pour rétropédaler. C’est à ce moment, alors que vous constaterez par vous-mêmes que cette résistance, insurmontable en direct, est facilement surmontée en rétro, que vous comprendrez l’avantage de la rétrodirecte. Vue sous cet angle, la rétrodirecte a été et pourrait être encore un des plus actifs agents de conversion à la poly. On ne change rien à ses habitudes, on avait 5 mètres sur sa mono, on les retrouve sur la rétrodirecte et l’on est, un beau jour, agréablement surpris de pouvoir, à rétro, gravir une rampe que l’on n’avait jamais pu faire avec les 5 mètres de la mono ; on attribue au rétropédalage ce qui revient de droit au petit développement, mais en attendant on a compris, c’est l’essentiel ; plus tard, on choisira peut-être une autre poly, un système primitif par exemple, puis une bichaîne, puis autre chose, mais on ne reviendra pas à la mono.
La rétrodirecte a donc sa raison d’être comme poly de début et elle survivra envers et contre tout ce qu’on peut dire contre le rétropédalage. Je la trouve particulièrement intéressante et je dis même imbattable dans un cas particulier. Plus que tout autre dispositif, elle convient au vélo-moteur, à cet outil que l’on ne paraît pas encore avoir compris, bien qu’on lui donne en style fiscal son vrai nom de bicyclette à moteur auxiliaire.
(A suivre.) Vélocio.
La Technique des changements de vitesse (suite)
Cet outil, que j’ai connu et beaucoup pratiqué, il y a près de vingt ans, puisque j’ai couvert, en une année, plus de 12.000 km. sur mie bicyclette à moteur de Terrot, cet engin de transport comporte, nul ne l’ignore, des pédales et un moteur, mais il doit être entendu que le moteur n’est qu’auxiliaire, c’est-à-dire qu’on ne lui demandera pas de faire tout le travail : montées, paliers et descentes. C’est au cycliste qu’incombe la grosse besogne, il doit savoir pédaler de concert avec son adjuvant et avoir à son service un bon dispositif de polyxion. Le meilleur ici est, à mon avis, la rétrodirecte avec rétro à la petite vitesse (3 m. 50) pour lancer et soutenir le moteur dans les passages difficiles, et direct à la grande (7 m.) pour accompagner et soulager le moteur à la montée, en palier, à tout moment.
La position de la selle très en arrière imposée par la rétro est dans ce cas particulièrement avantageuse, puisqu’elle est à la fois position de force pour le pédalage rétro et position de souplesse et de cadence rapide pour le pédalage direct. A une époque où les professionnels ne pédalaient qu’en souplesse, parce qu’ils avaient peu de montées à faire, ils plaçaient leur selle presque au-dessus de l’axe de la roue motrice, aujourd’hui ils la placent presque au-dessus de l’axe du pédalier quand ils ne pédalent pas en danseuse. Or, la position de force en rétro coïncide justement avec la position de souplesse en direct et exige que la selle soit plus loin de l’axe du pédalier ; c’est même là une des raisons qui militent en faveur du pédalage rétro à la petite vitesse plutôt qu’à la grande. Donc, avec la selle placée comme la place un bon rétropédaleur, on se trouvera dans les meilleures conditions pour pédaler sur une bicyclette à moteur, mais on n’est bon rétropédaleur que lorsqu’on a appris à terminer la poussée sur la pédale descendante par la brusque détente du pied qui fait irrésistiblement franchir l’angle mort inférieur, alors que déjà de l’autre pied on a commencé à presser sur l’autre pédale, de sorte que les panégyriques de la rétro ont pu légitimement affirmer qu’elle avait vaincu le point mort et qu’on pouvait démarrer encore en rétro, alors qu’en direct on ne le pouvait plus.
Mettez-vous en effet sur un home-traîner, pédales verticales, et appliquez le frein progressivement jusqu’à ce que vous ne puissiez plus agir en direct sur la pédale haute ; poussez alors en rétro sur la pédale basse en détendant la jambe à fond et vous franchirez le point mort. C’est cette expérience qui détermina la vocation du capitaine Perrache pour le rétroïsme. Il oublia qu’on ne se trouve jamais sur la route à bicyclette dans les conditions du home-trainer et qu’il nous reste toujours, si lentement que nous allions, assez de force vive pour franchir le point mort.
A ajouter à l’actif de la R. D. qu’avec des manivelles de 16 très suffisantes sur une B. M. A., et les pédales à 8 cm. au-dessus du sol à leur point le plus bas, le cycliste, en bonne position pour pédaler, sera en même temps en bonne position pour placer les deux pieds à terre sans quitter la selle.
Ajouterai-je qu’on peut accommoder la R. D., tout comme la bichaîne, à beaucoup de sauces ? Cela va de soi, cependant il faut y regarder à deux fois, à cause du petit boulet de 60 grammes qu’elle traîne et qui alourdirait singulièrement le doublement à gauche du dispositf R. D. de droite pour avoir 4 vitesses en marche. Je l’ai fait et je n’en ai pas obtenu grande satisfaction. Adaptée à un moyeu à plusieurs vitesses, elle en double le nombre sans trop aggraver la résistance passive de l’ensemble. En 1907 ou 8, j’ai réalisé ainsi une 12 vitesses en marche très bien échelonnées en accouplant par chaîne R. D., un pédalier à 2 vitesses avec un moyeu à 3 vitesses. Je rendis compte de mes essais dans le Cycliste ; il me sembla que j’avais atteint et même dépassé la limite qu’avait prévue Bourlet dans son rapport du concours 1902, quand il écrivit qu’en alliant plusieurs dispositifs de polyxion on risquait, par l’accumulation des résistances passives, d’obtenir plus d’inconvénients que d’avantages. Il ne s’agit pas, en effet, d’augmenter indéfiniment le nombre des vitesses en marche, il faut surtout éviter d’augmenter indéfiniment les résistances passives.
Dérailleurs
Passons aux dérailleurs qui permettent, eux, d’augmenter indéfiniment le nombre des vitesses en marche sans augmenter les résistances passives, et c’est là, à mon avis, leur plus grand avantage. Le dérailleur appelé, à ses débuts, whippet, du nom du premier système de ce genre qui fut industrialisé, a pour point de départ une roue libre à plusieurs pignons, pour point essentiel un dispositif qui distribue la chaîne sur ces pignons et pour point complétif un moyen de tenir la chaîne constamment tendue. C’est comme dans la grammaire, le sujet, le verbe et l’attribut, sans lesquels une phrase ne serait pas complète. A l’âge de pierre où le confortable n’était pas estimé à si haut prix qu’aujourd’hui, le point essentiel, le verbe, était sous-entendu ou plutôt remplacé par le bout du doigt ; on mettait pied à terre et d’une légère poussée sur le brin supérieur de la chaîne, pendant qu’on roulait la machine en arrière, on faisait descendre ou monter la chaîne sûrement et sans dommage pour icelle, ce qu’on ne peut pas dire de tous les dérailleurs modernes. L’opération ne demandait pas, à un bon opérateur, plus de trois secondes entre l’arrêt et le repart ; on n’envisageait pas, à cette époque, plus de 3 vitesses et l’on s’estimait heureux d’avoir à sa disposition 3 m., 5 m. et 7 m,, ou quelque chose d’approchant. Avec 38 dents au pédalier et 12-16-26 dents sur un moyeu à roue libre intérieure, on était satisfait et pour compenser seulement 14 dents, le tendeur de chaîne n’avait pas besoin d’un bien fort ressort.
Voilà le premier dérailleur que j’ai connu et pratiqué ; le second n’avait plus que deux pignons de roue libre et le brin supérieur de la chaîne passait dans une fourchette oscillante commandée par un levier. On rétropédalait d’un demi-tour, en même temps qu’on plaçait la fourchette à droite ou à gauche et la chaine grimpait ou descendait. Pour n’avoir pas à rétropédaler, on ne tarda pas à placer la fourchette sur le brin inférieur, mais de quelque façon qu’on s’y prît, on ne pouvait agir sur trois pignons et ce système, plus confortable, était en fin de compte moins pratique, si ce n’est quand on l’adaptait à un moyeu 2 ou 3 vitesses pour les doubler. Il fallait, pour que la chaîne déraillât bien, que la fourchette, fût placée très près des pignons, car nous n’avions pas encore eu l’idée de tailler spécialement les dents comme on l’a fait depuis. Pour commode et confortable que fût ce dispositif, nous ne le goûtâmes guère, nous tous qui avions l’habitude de mettre pied terre pour changer nos développements et qui tenions à en avoir au moins trois.
On voit combien il est facile, pour n’importe quel cycliste tant soit peu imaginatif et habile de ses doigts, de doter sa monture d’un de ces dérailleurs primitifs. On trouve aujourd’hui sur le marché des roues libres à 2, 3 et même 4 pignons. Quant au tendeur, une simple poulie ou un pignon sur billes qu’il est facile aussi de se procurer, un levier de longueur convenable articulé à une extrémité sur un collier fixé au tube de chaîne, un ressort... et le tour est joué, on a 3 ou 4 vitesses qui ne coûtent pas cher et qui vous permettront les itinéraires les plus accidentés. Est-ce une bien grosse affaire que de perdre dix secondes à chaque changement ? Mais l’on ne veut pas mettre pied à terre et se salir le bout des doigts ; c’est pourquoi l’on a imaginé tant et tant de dispositifs pour faire dérailler la chaîne, au moyen d’une commande mécanique sur un nombre quelconque de pignons juxtaposés sur la roue libre ; cinq pignons ne sont plus une rareté, mais ils conduisent à un moyeu démesurément large et à un montage spécial de la roue, dit en soucoupe, montage peu recommandable. A tout prendre, pour augmenter le nombre des vitesses d’un dérailleur, j’estime préférable de s’en tenir à trois pignons au moyeu et d’accoupler deux et même trois roues dentées au pédalier. Ce faisant, on n’a bien, à la vérité, que 3 vitesses où la ligne de chaîne n’est pas contrariée, mais les 4 vitesses suivantes le sont si peu, à peine de 6mm, qu’elles ne sauraient jamais être contrariantes, seules les deux extrêmes, contrariées de 12mm, fatigueraient peut-être la chaîne à la longue et je conseille d’y renoncer, d’autant plus que les 7 autres vitesses forment de très jolies gammes ; en voici une que j’ai beaucoup employée à l’époque où nous ne faisions dérailler que du bout du doigt ou du bout du pied, ce qui dépendait de la dextérité de l’opérateur : 12-17-26 au moyeu, 44-37-31 au pédalier ; nous tenons là une gamme bien échelonnée de 2 m. 60 à 8 m., soit 2 m. 60, 4 m. 80 et 8 m. en parfaite ligne de chaîne ; 3 m. 15, 4 m., 5 m. 70 et 6 m. 75 en ligne de chaîne contrariée de 6mm. Et nous n’avons à compenser par le ressort tendeur que la bagatelle de 15 dents ; tandis que si nous voulions obtenir ces mêmes 7 vitesses en faisant coulisser sur le moyeu un bloc de 7 pignons dont chacun viendrait à tour de rôle se mettre en face de l’unique roue dentée afin que la ligne de chaîne soit toujours observée, ces 7 pignons seraient, avec bracquet de 44 dents, 12 dents (8 m.), 14 dents (6 m. 90), 17 dents (5 m. 70), 20 dents (4 m. 80), 24 dents (4 m.), 30 dents (3 m. 20), enfin 37 dents (2 m. 60) ; et nous aurions à compenser par le ressort 25 dents ! Il faudrait pour cela un ressort dont le poids se ferait fortement sentir sur le 2 m. 60 en pleine rampe dure où l’on a besoin d’atténuer au contraire les résistances passives ! tandis que dans la précédente combinaison nous obtenons 2 m. 60 avec la couple de 31-26 et seulement 9 dents à faire avaler par le ressort.
N’oublions pas que le ressort tendeur d’un dérailleur quelconque, à commande mécanique ou non, c’est un poids placé sur le brin inférieur de la chaîne, plus ce poids sera lourd, plus la chaîne sera tendue. Voici par quelle expérience, simple et à la portée de tous, on peut se rendre compte de la résistance passive qu’un poids mis sur la chaîne occasionne : Mettez votre bicyclette sur un support qui laisse tourner librement le train moteur, placez une des pédales à la hauteur du tube qui monte du pédalier au bas de la direction et accrochez à cette pédale un petit sac que vous puissiez remplir de sable ; attachez à la valve de la roue motrice un poids quelconque, 2 kg. par exemple, ce qui représente la résistance, à la jante pour un poids de 80 kg., à l’allure de 20 km. à l’heure en palier sans vent. Tout étant ainsi disposé, versez du sable dans le petit sac attaché à la pédale jusqu’à ce que celle-ci s’abaisse et relève le poids à la hauteur de l’axe de la roue motrice. Répétez cette expérience avec la chaîne hors des galopins, puis avec la chaîne sur ses galopins et sur tous les développements ; recommencez-la en rentrant d’excursion, donc avec chaîne plus ou moins chargée de poussière et de boue, c’est-à-dire dans l’état où vous avez dû mettre sur la pédale, non pas du sable, mais de la force. En comparant entre elles les pesées du petit sac de sable, ayez soin de tenir compte des développements ; ne comparez pas la pesée du 7 mètres avec celle du 2 m. 60. Les résultats de ces expériences que vous pourrez, si vous en avez le moyen, compléter par des expériences semblables faites avec des bichaînes, des rétrodirectes, des moyeux à engrenages et tous autres dispositifs de polyxion, ces résultats, dis-je, vous diront de quel pourcentage est augmenté l’effort sur la pédale en tels et tels cas. Faites une première expérience sans charger la roue, puis chargez-la d’un poids minime et allez crescendo ; dans le premier cas, la différence des pesées représentera la résistance passive du changement de vitesse seul, comparée à celle d’une mono prise comme étalon. Mais quand vous chargerez la roue de 10 kg., cas du cycliste gravissant une rampe de 10 %, cette différence initiale sera presque entièrement noyée dans l’ensemble. C’est ce qu’expliquait le capitaine Perrache quand il disait que les 59 grammes de résistance dans les R. D n’avaient quelque importance qu’en palier, alors que la résistance totale à la jante restait faible, mais que plus cette résistance totale s’alourdissait, aux montées dures par exemple, elle devenait pour ainsi dire nulle. En effet, ce poids constant de 59 grammes ne compte que pour 1 % quand la résistance totale est de 5 kg. 900, cas du cycliste gravissant du 6 %, alors qu’il compte pour 4 % quand la résistance totale est de 1.500 grammes, cas du cycliste marchant en palier à 15 à l’heure. Il en ira de même pour la résistance que révélera la tension de la chaîne sur les galopins.
Les constructeurs de dérailleurs s’ingénient du reste à supprimer la tension du ressort en immobilisant le galopin tendeur après qu’un changement de vitesse a été effectué. Ceci a le double avantage d’alléger le brin inférieur de la chaîne de tout le poids du ressort et d’empêcher les sautes de chaîne. Voici un des moyens employés avec les systèmes où le pignon de déraillement est fixe, tels que le Terrot, l’Hervier, l’Audouard, le Blanchard, etc. ; on a remplacé l’écrou, qui fixe le galopin tendeur sur la patte oscillante par un écrou surmonté d’une poulie à gorge, celle-ci assez large et profonde pour recevoir l’extrémité recourbée sur elle-même et formant un anneau, d’une tringle rigide de 4œm environ et de longueur convenable suivant la hauteur des cadres. Le long du tube horizontal du cadre, et bien à la portée de la main, est fixé un collier sur lequel est soudé un têton percé d’un trou dans lequel coulisse librement l’autre extrémité de la susdite tringle rigide. On voit d’ici, je l’espère, monter ou descendre cette tringle selon les mouvements verticaux du galopin tendeur qui change de position toutes les fois qu’on change de vitesse. Si nous en restions là il n’y aurait rien de changé aux maux dont nous souffrions avant l’introduction de cette tringle dans le système, mais si nous trouvons le moyen, après chaque changement de vitesse effectué, de bloquer la tringle au moyen d’un écrou à oreilles vissé sur la queue du téton, nous immobilisons du même coup le galopin tendeur et nous voilà débarrassés de la tension du ressort et des sautes de chaîne. Nous devons seulement avoir soin de débloquer la tringle avant de changer de vitesse. En s’inspirant de cette idée, tout cycliste ingénieux peut aisément imaginer un bloqueur de galopin, s’il préfère le dérailleur à commande mécanique au dérailleur primitif que j’ai décrit plus haut et qui possédait aussi un immobilisateur du pignon tendeur, encore plus facile à imaginer.
Quant aux dérailleurs du type Chemineau, Cyclo, Boizot, etc. où le bloc des pignons de la roue libre reste fixe, ou au contraire c’est le pignon de déraillement et son satellite le galopin tendeur qui se baladent transversalement, l’écrou surmonté d’une poulie à gorge ne suffit pas, il y faudra une rotule, une genouillère, une sorte de joint à cardan qui permette à la tringle rigide de suivre le galopin tendeur aussi bien dans ses déplacements verticaux que dans ses déplacements horizontaux. La solution du problème est un peu plus difficile. :
(A suivre.) Vélocio.
La Technique des changements de vitesse (suite)
Nous en étions donc, au commencement du XXe siècle, au déraillement rudimentaire, variété du système primitif, où le bout des doigts tenait lieu des dérailleurs mécaniques d’aujourd’hui. Nous avions complètement oublié les dérailleurs mécaniques qui virent le jour dès la naissance de la bicyclette en 1887, à en croire une annonce parue dans la Revue mensuelle du C. T. C. anglais, en février de cette année-là. La tentative de Loubeyre, en 1895, pour appliquer le déraillement mécanique à la roue serve était également tombée dans l’oubli, quand, en 1901, un Anglais, Hodgkinson, breveta un moyen de déplacer mécaniquement la chaîne sur trois pignons de roue libre juxtaposés. La chaîne ne déraillait pas, elle était soulevée par un mécanisme très ingénieux et retombait au moment voulu sur celui des trois pignons qu’une autre commande avait amené sous elle. Je ne crois pas que ce brevet ait été exploité outre Manche, mais la maison Terrot, qui venait de remporter le premier prix au concours du T. C. F. avec sa bichaîne et qui, dès cette époque, était le protagoniste de la polyxion sous toutes ses formes et dans toutes ses variétés, acheta le brevet Hodgkinson et créa son fameux modèle H. Ce type de po-lyxion qui, encore maintenant, a de nombreux partisans à qui le déraillement de la chaîne est antipathique, ne rentre pas dans le cadre de mon étude, parce crue sa construction dépasse, et de beaucoup, les moyens d’un simple amateur ; ce modèle H de Terrot a été le point de départ de nos dérailleurs actuels. Il nous apportait le bloc mobile de gauche à droite des trois pignons de roue libre, les galopins et le ressort de tension de chaîne. Le dérailleur était seulement remplacé par le souleveur de chaîne. La même année, un autre Anglais essayait de lancer, sous le nom de Whippet, un véritable dérailleur, dérivé du brevet de Loubeyre et qui aurait pu réussir mieux que celui-ci, parce que la roue libre avait fini, en 1901, par s’imposer et qu’on n’était plus obligé, comme l’avait été Loubeyre, de maintenir tendu par un galopin à ressort, aussi bien le brin supérieur de la chaîne que son brin inférieur. Le Whippet ne tendait plus que ce dernier au moyen d’un seul galopin ; le déraillement de la chaîne était obtenu par une fourchette placée où l’on place actuellement le baladeur, c’est-à-dire sur le brin inférieur et aussi près que possible des pignons de roue libre. Malheureusement pour lui, ce dispositif n’était pas viable, tant les constructeurs, pour conserver coûte que coûte la ligne de chaîne directe aux deux vitesses, l’avaient enfanté monstrueux. J’en ai conservé ; dans mon musée un échantillon, qui m’a servi et me sert encore pour mettre en garde les inventeurs contre les velléités qu’ils ont parfois de chambarder des détails qui concourent à l’esthétique de la bicyclette telle qu’elle apparaît à nos yeux et à notre esprit et auxquels il ne faut pas toucher. Si, par exemple, on parvenait à faire une bicyclette parfaitement suspendue, à l’avant et à l’arrière, sans rien changer à son apparence, on aurait plus de succès qu’en la transformant de fond en comble, mais ne nous égarons pas.
Les inventeurs se mirent à la besogne après le deuxième concours du T. C F. en 1905, où le modèle H de Terrot, flanqué d’une Lévo et d’une Rétrodirecte, obtint de nouveau la médaille d’or. Avant 1908, ce souleveur de chaîne anglais avait déjà plusieurs dérailleurs français comme concurrents : Boizot à Paris, Her-vier à Rive-de-Gier, P. d’A. à Lyon et Perret à Boën, sans que je puisse dire lequel fut le premier sur le marché. Chose bizarre, les inventeurs furent toujours des amateurs dont les idées furent réalisées par de petits constructeurs, voire de simples agents. Chose plus bizarre, nous trouvons déjà dans cette première floraison de dérailleurs, des Spécimens de tous les dispositifs entre lesquels les cyclistes peuvent encore aujourd’hui hésiter.
Hervíer a emprunté à la Terrot H le bloc de trois pignons de roue libre coulissait sur le moyeu sous l’action d’un doigt mû par un double câble, sans ressort antagoniste ; Boizot et P. d’A. laissent au contraire la roue libre à trois pignons immobile sur le moyeu et font dérailler la chaîne par un pignon coulissant transversalement, procédé nouveau à ce moment-là, mais adopté, depuis, par les neuf dixièmes des inventeurs. Au cours des essais que je multipliai à la Gauloise, après le concours de 1905, j’avais aussi adopté le pignon dérailleur à va-et-vient transversal, dans un dispositif que le Chemineau reprit plus tard et qu’il a répandu dans les quatre parties du monde. Mais tous mes essais n’avaient d’autre but que ma documentation personnelle et je ne veux parler dans cette étude que des systèmes qui ont été industrialisés et mis sur le marché.
P. d’A. agissait sur son pignon dérailleur par une tirette analogue à celle des moyeux à deux ou trois vitesses et Boizot le poussait ou le tirait par une sorte d’équerre.
Perret, de Boën, ne faisait dérailler que sur deux pignons au moyen d’une fourchette oscillante dont il avait pu prendre l’idée chez Loubeyre et chez Whippet, procédé très simple sur lequel je me suis longtemps obstiné au cours de mes essais, mais qui n’est réellement pratique que pour deux vitesses ; dès qu’on veut faire dérailler sur trois, quatre ou cinq pignons, il faut que le dérailleur soit poussé ou tiré de façon à présenter la chaîne sur un plan parallèle à celui des pignons, ce que l’on obtient dans les systèmes du commerce en rendant le pignon dérailleur solidaire d’un axe toujours parallèle à l’axe du moyeu, et dans les systèmes de demain en agissant sur la chaîne par une tringle chelloise du genre de celles qui font dérailler la chaîne sur les roues dentées des flottantes. C’est le procédé que j’imaginai quand je voulus faire dérailler mécaniquement la chaîne sur les trois couples de pignons et roues dentées dont un spécimen figura au concours du Tourmalet parmi les polyxées engagées par La Gauloise. Sur ce spécimen, les chaînes étaient déplacées à la main, et cette obligation de mettre pied à terre lui valut d’être classé par Bourlet parmi les systèmes primitifs. Après le concours, j’installai sur la machine deux tringles à baïonnette, que mes amis qualifièrent carrément de pique-feu ; toutes les deux agissaient sur le brin supérieur de la chaîne, l’une derrière les roues dentées, l’autre devant les pignons. Quand on actionnait la première, il fallait pédaler en avant et, au contraire, rétropédaler quand on actionnait la seconde ; une large poulie suspendue au bout d’un long levier faisait office de tendeur en reposant simplement sur le brin inférieur qui se trouvait ainsi tendu au minimum ; si le poids de la poulie n’avait pas suffi, un ressort aurait pu être ajouté, mais la chaîne ne se tortillait pas sur deux galopins comme dans les dérailleurs actuels. La commande de ce trois vitesses en marche était un peu compliquée : la chaîne, normalement tendue sur chaque couple, était d’abord amenée, par une tringle, sur un petit pignon ou roue dentée, puis remontée par l’autre tringle sur un plus grand. Ainsi, pour passer de 4 m. 50 à 3 m., c’est-à-dire de la couple 35 x 17 à la couple 30x22, on faisait d’abord descendre la chaîne du 35 dents sur le 30 dents (pédalier), puis remonter du 17 dents sur le 22 dents (moyeu). On n’aurait pas pu la faire remonter d’abord du 17 sur le 22, puisqu’elle était tendue normalement sur le 35 x 17, elle n’aurait pu s’obliquer sur 35 x 22, tandis que rien ne l’empêchait de passer de 35 * 17 sur 30x17 pour revenir à sa tension normale sur 30x22. On était donc tenu de réfléchir un instant pour savoir s’il fallait commencer par la tringle A ou par la tringle B. L’opération terminée, il ne restait qu’à relever la poulie au moyen d’une corde disposée à cet effet et l’on se trouvait en ligne de chaîne parfaite, en tension normale et sans la moindre résistance passive sur les trois développements choisis : 3 m., 4 m. 50 et 6 m. Mais l’opération était un peu longue et l’on ne gagnait presque rien sur le voisin qui avait mis pied à terre et fait passer sa chaîne à la main d’une couple sur l’autre ; quelquefois même l’on perdait ! On avait néanmoins un avantage que le système primitif du bout des doigts ne donnait pas ; on dis-posait de deux développements de plus, échelonnés, l’un entre 3 m. et 4 m. 50 et l’autre entre 4 m. 50 et 6 m., un bien maigre avantage que détruisait même l’obligation où l’on était alors de rouler sur ces deux développements avec le brin inférieur de la chaîne tendu par la poulie. Somme toute, je n’eus jamais assez de satisfaction de cette combinaison pour m’efforcer de l’industrialiser, mais les tringles de déraillement se sont perfectionnées et quelqu’un se trouvera peut-être pour la reprendre, car elle comporte une solution satisfaisante du problème des trois vitesses en marche sans la moindre résistance passive. Lui objectera-t-on qu’il oblige à rétropédaler pour déplacer la chaîne à l’arrière ? D’abord, il n’oblige pas, puisqu’on peut agir par la tringle aussi bien sur le brin inférieur que sur le brin supérieur et déplacer ainsi la chaîne en pédalant en avant comme avec les dérailleurs ; mais j’estime qu’en rétropédalant, le déplacement est plus facile, parce qu’on ne risque pas d’appuyer trop fort sur la pédale au moment même où il est recommandé de tourner sans appuyer. A quel dérailliste n’est-il pas arrivé de ne pouvoir, à la montée, changer de vitesse, parce qu’il manque d’élan et que, pour conserver son équilibre, il est forcé de pousser sur les pédales, alors qu’il devrait tourner dans le vide ; résultat : les craquements sinistres, que nous connaissons trop, de la chaîne sollicitée à grimper sur le pignon de petite vitesse et ne le pouvant pas, parce que trop tendue. Rien de tel ne peut se produire si l’on rétropédale, et la chaîne s’enroule, sans bruit et sans effort sur les dents du susdit pignon.
(à suivre.) Vélocio.
Avant de m’éloigner des dérailleurs dont je viens d’esquisser l’évolution depuis qu’on les a industrialisés, je dois exposer comment il faut les placer et les régler pour qu’ils donnent satisfaction et enfin comment il faut s’en servir pour en obtenir un bon rendement.
La première chose à faire est de visser sur le moyeu la roue libre à 2, 3, ou 4 pignons (je n’ai en vue que les systèmes adaptables à toutes les bicyclettes), de placer ensuite la roue dans le cadre et de s’assurer, quand les écrous sont normalement serrés, que rien n’en gêne le fonctionnement, que la chaîne passe sans toucher le hauban et que l’axe est assez long pour que les écrous trouvent une bonne prise, de s’assurer enfin que les pignons de la roue libre sont symétriquement distribués à droite et à gauche de la ligne de chaîne de la roue ou des roues dentées du pédalier.
Le deuxième acte (le plus important) est de fixer solidement le collier du dérailleur sur le tube de chaîne. Sous le mauvais prétexte de faire léger, quelques fabricants ont diminué à l’extrême l’épaisseur du métal dont sont faits ces colliers qu’on ne. peut jamais asseoir de telle sorte qu’aucune pression, que même une chute ne puisse les ébranler. Si vous compariez avec ces colliers extra-légers ceux de ma Gauloise 1908 ou ceux du P. d’A., vous bondiriez parce que vous les trouveriez lourds et massifs, mais vous seriez tranquillisés parce que vous les sentiriez solides. Or, le bon ou le mauvais fonctionnement d’un dérailleur ou d’un frein ne viennent neuf fois sur dix que de leurs attaches : si celles-ci sont chancelantes, il ne peuvent être eux-mêmes que chancelants. Parfois le porte-dérailleur est soudé sous le tube de chaîne, d’autres fois il est accroché à l’axe du moyeu et simplement appuyé sous ledit tube ; As et Cyclo sont ainsi fixés sans collier ni soudure. Ces deux modes de fixation sont recommandables, car ils ont pour conséquence une parfaite orientation du pignon-dérailleur et sa position exacte par rapport aux pignons de roue libre dont il doit être aussi rapproché que possible. On conçoit, en effet, que plus la déviation imposée à la chaîne est courte et brutale, plus vite la chaîne est contrainte de changer de pignon pour se mettre en face du dérailleur. On obtient d’aussi bons résultats avec un collier ajustable, mais il y faut plus de temps et de patience ; les instructions qui accompagnent chaque appareil sont assez claires et intelligibles, il suffit de les bien comprendre et de s’y conformer strictement. Notre porte-dérailleur étant solidement fixé et à sa bonne place, il nous reste à y accrocher le galopin baladeur et son satellite le galopin tendeur après nous être assurés que ces deux galopins tournent bien dans le même plan. Cet accrochage se fait généralement par tige pleine ou creuse filetée et par écrou et contre-écrou serrant et maintenant la tige dans l’œil du porte-dérailleur. Cette tige sur laquelle coulisse le baladeur-tendeur doit être rigoureusement parallèle à l’axe du moyeu et le plan dans lequel tournent l’un au-dessus
de l’autre les galopins doit être à angle droit avec ce même axe. Occupons-nous maintenant de la commande. Ici la variété est grande I’As, par exemple, est commandé par un gou jon emprisonné dans une rainure en forme de vis que déplace de droite à gauche et vice versa un léger mouvement de rétropédalage le Cyclo s’est inspiré du même procédé, mais le déplacement s’obtient par un cable sans fin dans le Chemineau à tirette et à ressort, la chaîne descend sous l’action de la tirette et grimpe sous l’action du ressort dans le Dalibert et dans un des systèmes de la Gauloise imité de la pince à linge, la chaîne des cend au contraire sous l’action du ressort et elle est remontée par la tirette. Quel que soit le système, il convient de s’assurer qu’en aucun cas, même si la tirette vient à se rompre on le goujon à s’évader de sa prison hélicoidale, le galopin-baladeur ne puisse s’approcher assez des rayons, soit pour les heurter lui-même, soit pour y accrocher la chaîne. Dans tous les systèmes, le moyen de prévenir cette catastrophe est révu et indiqué. Il faut aussi s’assurer que le baladeur, sous l’action de la commande, se présente bien en face de chacun des pignons de la roue libre. Toutes ces précautions prises, assujettir la ma- nette sur le tube en bonne position pour que le déplacement de la chaîne s’effectue rapidement et sans bruit, n’est plus qu’un jeu d’enfant. Ne pas oublier, comme le font quelques étourdis, que pour changer de vitesse avec un dérailleur quel qu’il soit, il ne faut pas se mettre en roue libre pendant qu’on agit sur les manettes, faute de quoi on tirerait vainement sur le câble qui finirait par se casser vers le point de soudure il ne faut pas non plus continuer à pédaler et appuyer d’autant plus énergique ment que vous avez attendu trop longtemps pour passer en petite vitesse, car la chaîne trop tendue ne pourrait obéir au dérailleur et derechef vous risqueriez de casser le câble ; enfin il faut encore moins rétropédaler à ce moment psychologique, vous feriez alors dérailler la chaîne par son brin inférieur qui quitterait les deux galopins et vous seriez forcé de mettre pied à terre et main au cambouis. Il faut tout bonnement continuer à pédaler sans appuyer sur les pédales comme si, par exemple, quand la descente vous entraîne en roue libre, vous vous amusiez à pédaler à vide. Vous devrez donc pour changer de vitesse en pleine rampe vous donner d’abord assez d’élan pour pouvoir pédaler à vide pendant la demi-seconde nécessaire au déraillement de la chaîne. Se souvenir enfin que la chaîne d’un dérailleur doit être tenue très souple maillon par maillon, et la roue libre très libre sous peine de craquements, de refus d’obéissance et de sautes de chaîne.
Je m’aperçois que je n’ai pas soufflé mot du ressort chargé de tenir le brin inférieur de la chaîne convenablement tendu. Son rôle est pourtant important, car trop peu tendue la chaîne risque de laisser-là son galopin tendeur et de devenir flottante, et trop tendue elle de- viendrait la source d’une résistance passive considérable, surtout en petite vitesse aussi voyons-nous chez les constructeurs et même chez de simples amateurs des tentatives vers des moyens propres à annihiler, une fois le déraillement obtenu, la pression du ressort sur la chaîne on n’y est jusqu’ici parvenu qu’au prix de complications, et dans la construction, et dans la pratique, disproportionnées avec les résultats attendus. Dans cet ordre d’idées, j’ai senti ou j’ai cru sentir quelque allégement de l’effort sur la pédale en fixant l’extrémité du ressort non plus à un point fixe près du pédalier où on l’accroche d’habitude, mais au bout d’un câble qu’une manette auto- loe tendait plus ou moins. C’est ainsi que fut quelque temps agencé ma Gauloise du concours 1910 plus tard, cette commande au foloc servit à un dérailleur qui déplaçait mécaniquement la chaîne sur les quatre roues dentées du pédalier, manœuvre délicate dont un bon facteur personnel était la condition nécessaire et que mon ami Ch. exécutait beaucoup plus sûrement que moi-même.
De tous les dispositifs connus de changement de vitesse en marche, le dérailleur est incontestablement le plus apte à fournir, sans l’adjonction de quelque autre système, la plus complète échelle de développements. Il se suffit à lui-même. Un dérailleur à dix vitesses figura au concours du T. C. F. en Dauphiné en août 1924 et y obtint une haute récompense, et les quatre couples de pignons de ma Gauloise me donnaient, je l’ai rappelé tout à l’heure, quatorze vitesses pratiquement utilisables et échelonnées de 2 à 10 mètres. Il y a dans cette multiplicité des développements un avantage et un inconvénient. Un cyclotouriste paisible, d’age mûr, économe par force ou par raison de ses efforts, se trouvera bien de pou- voir apposer à tout changement de résistance un levier de longueur appropriée grâce au- quel il n’aura jamais à tourner plus vite ni à appuyer plus fort, la vitesse de marche lui devenant chose indifférente. Bien au contraire. un randonneur, un sportif, se trouvera gêné par un tel jeu de leviers et la souplesse de son moteur l’empêchera de sentir s’il a bien à chaque moment le développement convenant à la fois à la puissance de ses muscles et à la résistance de la pédale, alors que disposant seulement de trois vitesses, par exemple 3, 5 et 7 mètres, il n’hésitera pas à passer de 1 m. à 5 mètres si la pédale devient tout à fait trop dure, ou à augmenter sa cadence s’il la sent fuir sous l’effort. S’il a à sa disposition 5, 6, 7, 8 et 9 mètres, il tâtonnera, il hésitera, il ne saura jamais s’il a le bon développement sous les pieds et cette incertitude se traduira par une moindre vitesse ou une plus grande dépense d’énergie.
En définitive, s’il me semble peu difficile de combiner soi-même les éléments d’un bon dérailleur en s’aidant, cela va de soi, des pièces détachées que l’on trouve dans le commerce (et je conseille de s’appliquer surtout à faire dérailler le brin supérieur par une simple poussée et en rétropédalant), il n’est pas aussi facile de bien choisir un bon jeu de développements qui vous permette d’obtenir de vos muscles le rendement optime. Je vois de tout jeunes gens, effilés, qui me semblent bâtis pour les cadences rapides plutôt que pour les fortes pressions, s’atteler à des 7 et 8 mètres et je vois aussi des gaillards robustes et trapus ayant, en leur jeunesse, pris part à quelques courses, persister, en revenant dix ans après à la bicyclette, à se croire assez souples pour n’avoir aucun avantage à pousser plus de 5 mètres, alors que l’âge a plutôt alourdi qu’assoupli leurs muscles qui sont fatalement devenus plus aptes à appuyer fort qu’à tourner vite. Nos aptitudes physiques se modifient à mesure que nous laissons les an- nées derrière nous et tel qui, à 15 ans, allait aisément décrocher un saucisson au sommet d’un mât de cogagne, décochera à 30 ans des coups de poing de cent kilos pl plus facilement qu’il ne monterait à une échelle. Il faut donc à chaque âge se rendre compte des profits et des pertes de vos muscles cyclomoteurs et modifier vos développements en conséquence si vous voulez pouvoir toujours donner votre rendement maximum.
A ce point de vue, le dérailleur est incontestablement un des meilleurs dispositifs de polyxion, et des moins coûteux, grâce à la grande variété de roues dentées et de roues libres à pignons multiples que l’on peut se procurer à des prix de série et interchanger.
Nous avons admis autrefois que le coefficient (cadence x pression) d’un cycliste moyen est de 1200 exemple : cadence de 60 tours à la minute et pression tangentielle de 20 kg. sur la pédale. Mais ce coefficient peut être obtenu en faisant varier ces deux chiffres dans de grandes proportions : 100 tours et 12 kg. pour qui pédale en souplesse, ou 40 tours et 30 kg. pour qui pédale en force donnent également 1200. Un fait certain, c’est que ma moyenne sur un long trajet est toujours plus forte quand j’ai un 7 à 8 mètres à ma disposition que lors- que mon développement maximum est de 5 mètres, alors qu’un de nos bons randonneurs d’autrefois ne voulait pas avoir plus de 5 m. 80 au haut de son échelle de six développements en marche.
VELOCIO.
Lévocyclette
La Technique des changements de vitesse (suite)
Après le primitif, la polychaîne, la Rétro-directe et le dérailleur, j’en arrive à la Lévocyclette qui, malgré qu’elle n’en ait pas l’air à première vue, est un des systèmes de polyxion les plus faciles à imaginer et à construire par de simples amateurs, à fortiori par des agents de cycles ou mécaniciens disposant d’un petit atelier. D’ailleurs, la première machine à deux roues où la force de l’homme ait été transmise, au moyen de pédales, à la roue arrière, fut la lévocyclette de Dalzell, un simple ouvrier qui, ayant à effectuer quotidiennement un trajet assez long pour se rendre à son travail, l’imagina et la construisit en Ecosse vers 1845.
J’exposerai en quelques lignes de quoi permettre au lecteur de reconstituer cet ancêtre de la bicyclette ; car, il n’y a pas à dire le contraire, et sans vouloir diminuer le mérite des Français Michaux et Lallement auxquels ou attribue la première application de la pédale à la Draisienne, c’est bien à Dalzell, ce modeste Ecossais, que revient l’honneur de nous avoir prouvé que l’homme pouvait se propulser en équilibre sur deux roues en agissant sur des pédales qui n’étaient pas rotatives, c’est compris, mais qui n’en étaient pas moins des pédales. Le baron de Drais prenait son point d’appui sur le sol qu’il frappait alternativement de chaque pied pour faire avancer sa « birote ». Pour faire avancer la sienne, Dalzell prit son point d’appui sur des pédales oscillantes faisant partie intégrante de l’appareil, et voilà où réside le mérite de l’invention nettement caractérisée par ce fait que l’homme, pour se rendre maître de l’espace, n’a plus besoin de frapper la terre du pied. Que la pédale décrive un cercle ou une ellipse, c’est toujours une pédale, et il n’a manqué à ce précurseur inconnu que l’occasion favorable qui lui fut pourtant très proche, puisque les pneumatiques, indispensable complément de la bicyclette, furent inventés en Angleterre par Thompson, également en 1845, quand Dalzell pédalait quotidiennement de son village à la ville voisine, sans se douter que de son œuf allaient sortir des millions et des millions de cyclistes. Le hasard aurait pu mettre en présence les deux inventeurs et l’humanité aurait connu, quarante ans plus tôt, le merveilleux outil de locomotion qu’est la bicyclette, véritable bienfait social, comme l’a dit Pierre Giffard.
Prenez la bicyclette la plus moderne, la bicyclette Intégral, enlevez-en le pédalier, pignons et manivelles, suspendez à un axe logé sur le tube horizontal, vers la douille de direction, deux leviers, un de chaque côté, longs de 50 ou 60 cm., terminés par deux pédales ; cet axe remplacera l’axe du pédalier et ces leviers les manivelles. Venons maintenant à la roue motrice ; dans l’intégral, on le sait, cette roue n’a pas de moyeu, elle est montée directement sur un axe soutenu par deux paliers, à la façon de la roue motrice du grand Bi d’autrefois, terminons cet axe par deux biellettes diamétralement opposées et relions par deux tringles articulées chaque extrémité de ces biellettes à chacun des deux leviers en des points judicieusement choisis pour que, à une double oscillation de chaque levier corresponde un tour complet de chaque biellette. Voilà reconstituée la Dalzellienne de 1845, qui possédait roues, selle, guidon, frein, garde-boue, porte-bagage et tous autres accessoires, aussi bien que nos plus parfaites montures ; seulement, tout y était en bois ou en fer forgé, le charron et le forgeron du village ayant été les seuls coopérateurs de l’inventeur.
Reprenons maintenant cet outil rudimentaire ; remplaçons les biellettes qui donnaient la roue serve par des poulies à roue libre, et les tringles articulées par des chaînettes ou des courroies s’enroulant en arrière au fond des poulies par l’action d’un ressort de rappel et se déroulant en avant en entraînant la roue par l’action des leviers oscillants. Rendons mobiles sur toute la longueur de ces leviers les points d’attache de ces chaînettes et déplaçons-les progressivement, soit à la main, soit par une commande mécanique facile à réaliser... et nous voilà en possession d’un dispositif de changement de vitesse progressif de 2 à 10 mètres et même davantage d’une simplicité idéale, sans autre résistance passive que la tension des ressorts de rappel qui peuvent être très faiblement bandés. Il ne nous reste plus à résoudre que des questions de détail : agirons-nous alternativement sur les leviers ou pousserons-nous tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre ou sur les deux à la fois, au gré de notre fantaisie. Avec la roue libre, les deux leviers de Dalzell deviennent en effet indépendants l’un de l’autre, tandis qu’ils étaient, avec la roue serve, dans une étroite dépendance, l’un ne pouvant aller en avant que si l’autre allait en arrière. Ce sont là, dis-je, questions de détail faciles à résoudre dans n’importe quel sens par les esprits les moins inventifs. Plus importante est la question de savoir si la poussée de la jambe sur un levier horizontal est assez puissante pour le travail à effectuer et s’il ne vaudrait pas mieux pous ser sur un levier vertical ou transformer le mouvement alternatif en mouvement rotatif. Ici encore il ne semble pas que l’effort à faire pour tirer de l’œuf de Dalzell la bicyclette à changement de vitesse progressif que l’on nous a souvent promise sans jamais nous la donner, n’est pas surhumain, et je vois très clairement par les veux de l’esprit les extrémités des leviers dalzelliens reliés à des manivelles rotatives, mais cela ne va pas sans des frottements supplémentaires sur des poulies ou pignons de renvoi. Quant à la transformation de la poussée horizontale en poussée verticale, elle a été réalisée dès 1894 en Angleterre dans la lévocyclette Alert, reprise en 1900 en Suède sous la marque Svea et définitivement fixée en France depuis 1905 par la maison Terrot qui la construit toujours pour le bonheur des quelques milliers de lévocyclistes que nous sommes encore.
Cependant, la poussée horizontale à laquelle s’arrêta Dalzell n’est peut-être pas, après tout, si débile. Le ballon du footballeur est lancé de la même façon ; un coup de pied bien appliqué au bas des reins n’est pas sans force pour celui qui le reçoit, et enfin la terrible pointe finale du rétropédaleur dont le capitaine Perrache menaça jadis les directistes, permettait en effet de franchir victorieusement le Rubicon du fameux point mort. Donc, nous avons peut-être bien dans la détente de la jambe, d’arrière en avant, un bon moyen d’utiliser nos muscles cyclomoteurs. Il n’en coûterait guère de faire quelques expériences de ce côté avant de compliquer le dispositif génialement simple de Dalzell qu’il me semble voir s’en allant tranquillement à ses affaires sur son cheval mécanique, excitant les railleries ou l’enthousiasme des passants, suivant qu’ils comprenaient ou non l’avenir réservé à ce nouveau mode de locomotion.
Si l’on pouvait se procurer tous les brevets de cycles à 2, 3 et 4 roues dérivant du principe posé en 1845 par Dalzell, je crois qu’on les compterait par milliers et l’on serait surpris de la variété des solutions trouvées. Encore aujourd’hui, des brevets sont pris, des efforts sont faits en faveur de la bicyclette à leviers. Dans une récente exposition à Saint-Etienne, deux nouveaux dispositifs étaient soumis au public et, chose bizarre, c’est autour de ces deux stands que les visiteurs étaient le plus nombreux et le plus intéressés. Il semble à beaucoup d’esprits que c’est par une heureuse application du levier cher à Archimède qu’on résoudra le problème de la bicyclette idéale à rendement maximum. Quoi que dans cette voie nous réserve l’avenir en fait de solutions nouvelles, on peut affirmer qu’actuellement la meilleure de toutes les solutions réalisées et mises sur la route, c’est la lévocyclette Alert-Svea-Terrot. Or, entre cette lévocyclette de 1926 et celle de 1845, il n’y a pas de différence autre que celle-ci : dans l’une (celle de Dalzell) les leviers oscillent autour d’un axe fixé près du sommet de la direction, dans l’autre, autour d’un axe fixé près, du pédalier. Avouez qu’au point de vue du principe, c’est bien peu de chose et il est probable que Dalzell a pu être amené à concevoir l’inversion de ses leviers, à leur mettre la tête en bas et à réaliser, ipso facto, l’oscillation verticale ; mais il devait tenir avant tout à rester aussi près du sol que possible, afin de pouvoir, en toutes éventualités, poser les pieds à terre. C’est d’ailleurs à quoi nous tendons de plus en plus, car, avec l’encombrement actuel de toutes les voies de communication, il faut être prêt à s’arrêter et à repartir instantanément. La bicyclette de demain aura les pédales à huit centimètres au-dessus du sol à leur point Je plus bas, solution à laquelle je suis rallié depuis longtemps.
A ce point de vue, le dispositif de Dalzell était remarquable et, pendant toute la longueur de son parcours qui approximativement était de 40 cm., le pied restait à 7 ou 8 cm. du sol ; dans la Svea, au contraire, on se trouve haut perché et la jambe est entièrement repliée sur
elle-même quand la pédale arrive à sa limite supérieure qui est à 50 cm. au-dessus du sol. Je ne me sens jamais très à l’aise sur ma Svea, dès qu’il s’agit d’en descendre ou d’y remonter, et si je ne m’en sers plus autant qu’autrefois, c’est uniquement parce qu’au milieu de l’intense circulation urbaine et suburbaine, je n’y suis pas en sûreté.
Entre le pédalage vertical de Svea et le pédalage horizontal de Dalzell, on peut imaginer une foule de dispositifs mixtes, et les inventeurs ne s’en sont pas fait faute. Il en est un qui mérite une place à part, car, sans avoir connu certainement la machine de Dalzell, cet inventeur imagina avant 1870 la bicyclette à levier Montagne, à pédalage vertical, dont le principe était évidemment le même que celui de la bicyclette écossaise. On avait d’ailleurs appliqué déjà ce principe au grand Bi où la pédale rotative de Michaud avait été remplacée, dans un but de sécurité, par une pédale oscillante. La bicyclette Montagne n’obtint qu’un succès de curiosité, elle méritait davantage, bien que, telle que nous la représentent les anciennes gravures, elle fût inutilisable, selle et pédales étant placées de telle sorte qu’on ne pouvait se mettre en selle sans que la roue directrice se cabrât. Les pédales oscillaient, en effet, à quelques centimètres en arrière du moyeu de la roue motrice et la selle était juste au-dessus. On nous affirme pourtant que cette machine a fonctionné ; j’en conclus que la gravure est infidèle et que le défaut initial qu’elle révèle a dû être promptement corrigé.
La guerre de 1870 vint malheureusement anéantir notre industrie vélocipédique naissante et l’Angleterre recueillit l’héritage de tous nos efforts.
(A suivre.) Vélocio.
La Technique des changements de vitesse (suite)
Ce qui a nui beaucoup au succès de la bicyclette à levier, c’est le saccadé du mouvement alternatif qui s’oppose aux vives cadences que l’on obtient avec le coulé du mouvement rotatif. Aussi n’a-t-elle jamais pu briller sur la piste où se sont, de tout temps, forgés les suc-cès de tous les dispositifs mécaniques dont l’ensemble a créé la bicyclette actuelle. Mais, dans les concours sur routes, sur le terrain du cyclotourisme, voire de la randonnée, la lévocyclette s’est toujours bien défendue et a brillé souvent au premier rang, grâce à son confortable et à sa gamme très étendue des développements qui peut commencer à 2 mètres pour finir à 10 mètres et même au-dessus. Ces grands développements compensent dans une mesure appréciable la moindre rapidité du mouvement alternatif. La cadence de 60 tours-minute, qui semble être un maximum pour les leviers, tandis qu’elle n’est qu’une moyenne pour les manivelles, donne tout de même du 36 à l’heure avec 10 mètres, c’est déjà vite ! Seulement, les constructeurs de bicyclettes à leviers n’ont jamais voulu ou pu nous donner ces grands développements ; ils se sont arrêtés à 7 et 8 mètres, qui ne rendent pratiquement que comme 6 et 7 mètres, parce que le pied n’arrive jamais, dès qu’on précipite la cadence, à parcourir toute la longueur du levier, de la butée supérieure à la butée inférieure. Tous les lévocyclistes se sont plaints de ce manque d’un très grand développement qui, en descente douce avec vent favorable, leur, assurerait une réelle supériorité. Ces jours-ci encore, je recevais d’un récent converti au pé-dalage alternatif, M. Hannot, à Bruxelles., la lettre suivante qui formule les mêmes plaintes, après avoir dit combien sa lévocyclette lui donnait satisfaction : \
« ...Je voudrais maintenant formuler une critique de construction qui, bien qu’émise par un novice en lévocyclette, me paraît tout à fait fondée. La lévo possède actuellement dix développements que j’établis approximativement comme ceci : 2 m. 35, 2 m. 80, 3 m. 30, 3 m. 80,
4 m. 35, 4 m. 90, 5 m. 50, 6 m. 10, 6 m. 70 et 7 m. 35. Comme développement minima, je pense que la limite est atteinte : 2 m. 35 n’offre guère d’emploi, si ce n’est d’avancer sur forte cote à peu près au pas du piéton. En ce qui concerne les développements maxima, la question se pose à mon avis. Déjà avec mon trois vitesses Brossart, j’employais les 8 mètres, ce qui représenterait juste un onzième développement de la lévo actuelle ! Mais je veux me placer à un autre point de vue. La lévo offre spécialement sur le vélo la ressource de pouvoir réduire l’amplitude du coup de pédale et l’amener insensiblement à l’immobilité de la roue libre, suivant divers profils de terrains en légère déclivité ou avec vent arrière. Or, les multiplications se calculent et s’emploient normalement avec le coup de pédale maximum et, en réduisant l’amplitude de celui-ci, je réduis d’autant ma multiplication et ma vitesse résultante. C’est donc, précisément dans ce cas que des développements supérieurs me viendraient fort à point pour me procurer, avec minimum de mouvement, une bonne allure que je ne puis obtenir actuellement qu’en employant mes plus grands développements au maximum de leur rendement. 8 à 11 mètres employés de cette manière équivaudraient à
5 à 7 mètres employés à fond, alors qu’en certaines occasions les grands mouvements sont parfaitement inutiles et qu’il semble préférable d’en profiter pour se reposer les jambes sans s’arrêter.
« Notez que précisément le mécanisme actuel de la lévo (qui ne peut produire d’inutiles développements inférieurs au minimum actuel), peut parfaitement être allongé vers la selle en vue d’y ajouter 3, 4, 5, autant qu’il y a de place, de développements plus grands. Et je m’empresse d’ajouter que si la longueur dès chaînes, la forme des escargots ne se prêtaient pas à rétablissement tout à fait rationnel de ces développements nouveaux, ils pourraient néanmoins être employés tels quels avec la restriction d’un pédalage réduit en proportion. En fixant un porte-bagage près de l’axe d’arrière. un écrou trop avancé m’empêchait précisément d’employer mes grands développements au maximum : les gros chaînons venaient buter contre cet écrou et réalisaient précisément ce qu’on pourrait établir pour des développements nouveaux ne permettant pas un pédalage maximum.
« Je n’ai jamais eu la fièvre des emballements ni des grandes vitesses et je me surprends constamment à me heurter à mon maximum de 7 m. 35, non pour filer à toute allure, mais simplement pour m’épargner de fastidieux mouvements de vitesse. Je remarque quotidiennement que ma vitesse moyenne est 5 m. 50. Or, tandis que j’ai six développements inférieurs, je ne dispose que de trois supérieurs ; les développements extrêmes n’étant d’ailleurs employés qu’exceptionnellement, j’emploierais 8 m., 8 m. 70, 9 m. 40, 10 m. 15, 10 m. 90 dans la mesure où j’emploie 4 m. 35, 3 m. 80, 3 m. 30, 2 m. 80 et 2 m. 35.
« Il y aurait, somme toute, trois coulisses à allonger (une fixe et les deux leviers des pédales) et un câble également ; cela ne me semble pas bien difficile à réaliser, et alors la lévocylcette cessera d’être appelée une machine de montagne, bonne surtout pour les côtes, elle sera supérieure au vélo dans toutes les circonstances. Serait-ce trop espérer de son constructeur ?
« Théod. Hannot. »
Il serait donc sage, de la part des futurs constructeurs de bicyclettes à leviers, de prévoir une échelle de développements plus étendue vers le haut que vers le bas, où 3 mètres m’ont toujours semblé plus que suffisants, à cause de la facilité avec laquelle, à chaque instant, nous pouvons diminuer l’amplitude des pédalées. En pianotant ainsi, j’ai pu, à titre d’expérience, gravir du 7 % à 2 km. à l’heure, ce que je n’ai jamais pu faire avec une bicyclette. Entre parenthèses, je fais remarquer que cette variation de l’amplitude des pédalées est un second moyen de diminuer le développement et qu’un lévoïste, surpris par une bourrasque, par un mauvais passage dans le sable ou dans la boue, alors qu’il pédale sur son 7 mètres, n’a pas besoin de se précipiter sur sa manette de changement de vitesse pour résister à cette attaque inattendue ; il réduit immédiatement et instinctivement la longueur de ses pédalées et il franchit l’obstacle en pianotant, alors qu’avec des pédales rotatives, faute d’avoir eu le temps de passer sur une petite vitesse, il aurait été débarqué.
Ou pourrait objecter que, du moment où on ne change pas positivement de développement par le déplacement du point d’attache de la chaîne sur le levier, l’effort à faire, le poids à mettre sur la pédale reste le même, que la pédale soit courte ou longue. Cela est vrai, mais il est vrai aussi, autant pour le rotatif que pour l’alternatif, que la puissance développée sur la pédale par une jambe qui, au départ, repliée sur elle-même, s’ouvre progressivement jusqu’à la détente finale, varie dans d’assez grandes proportions : les diagrammes de Scott nous l’apprendraient si nous n’en avions pas l’intuition. Or, il se trouve que les pédalées courtes se situent sur la partie du levier la plus favorable à la détente puissante de la jambe à laquelle, dans cette position, la pression à exercer sur la pédale ne pèse guère ; seule la répétition rapide de l’effort deviendrait fatigante si l’on insistait plus longtemps que ne l’exigent les circonstances, qui nous ont obligé à recourir aux courtes pédalées.
Mais la qualité qui a le plus contribué à créer autour de la lévo une clientèle fidèle et qui serait désolée si elle devait être privée un jour de sa monture favorite, c’est le confortable qu’elle procure. Avec des pneus un peu gros et une bonne selle hamac, on peut pédaler du lever au coucher du soleil sans fatigue, même sur un sol médiocre, tant il est facile d’échapper aux pernicieux effets des trépidations en se soulevant légèrement sur les pédales, quitte à pédaler un instant en danseuse, technique beaucoup mieux adaptée au pédalage alternatif de haut en bas qu’au pédalage rotatif.
Or, si j’en juge par le dernier catalogue de la maison Terrot, qui seule a jusqu’ici su réaliser et industrialiser une excellente lévocyclette, je crains que ce type de polyxée, ne disparaisse bientôt du marché et que ses partisans-soient obligés, pour obtenir leurs futures montures, de s’adresser à la petite industrie. Celle-ci n’étant plus gênée par la concurrence d’un puissant voisin, et tous les brevets tombant dans le domaine public, aura donc le champ libre pour suivre les inspirations de ses clients et créer la bicyclette à leviers idéale réunissant tous les perfectionnements épars dans les centaines et peut-être les milliers de brevets qui ont été pris à son sujet.
En attendant de meilleures inspirations, voici sur quelles bases, à mon avis, on pourrait travailler. Tout d’abord, s’appliquer à faire léger ; une lévocyclette doit être plus légère qu’une bicyclette à chaîne ou qu’une acatène. Ma première Svéa ne pesait que 14 kg., bien quelle fut parfaitement équipée pour le tourisme, avec deux freins, des garde-boue, des 700 x 35, etc. En partant de la Svéa et en revenant vers la Dalzélienne de 1845, dont le schéma comparé au schéma de la Svéa donne l’impression d’une plus grande légèreté, et en diminuant la hauteur des roues, quitte à les munir de plus gros pneus, en réduisant le nombre des tubes au strict nécessaire, bref, en s’ingéniant à faire léger sans bien sacrifier de la solidité et du confortable, je crois qu’on pourrait gagner 3 ou 4 kg. sur la Svéa primitive et sortir une lévocyclette de tourisme ne pesant que 10 kg. en ordre de marche. Elle aurait des acheteurs, je le garantis, surtout si on y plaçait aussi près du sol que possible la selle et les pédales, afin qu’on puisse y monter et en descendre aisément, et qu’à tout moment on puisse sans quitter la selle, mettre les pieds à terre. Sur la Svéa, on est décidément trop haut perché et quand, à un croisement de rues, le bâton blanc de l’agent se dresse devant nous, il ne vous reste qu’à descendre en vol-ge ou à vous accrocher à une voiture, deux solutions qui dans un encombrement comme s’en produit aux heures de grande circulation, ne vont pas sans danger ; si, au contraire, vous pouvez vous immobiliser un pied à terre l’autre sur la pédale, prêt à partir, vous ne risquez absolument rien.
Quelle forme donner au cadre ? Je n’en sais rien, mais le cadre actuel n’a plus sa raison d’être. du moment où le pédalier disparaît, les inventeurs qui se sont escrimés sur la bicyclettes à leviers, ont d’ailleurs imaginé déjà et fait breveter des cadres de toutes formes :
corps droits à tube unique ou à tubes parallèles, corps triangulés, corps ovoïdes, etc. Le bon sens indique qu’il faut un cadre très rigide latéralement, afin que la pression du pied s’exerçant au bout d’un long, donc puissant levier, n’envoie pas le cadre alternativement à droite et à gauche. Des tubes conjugués, reliant la douille de direction au moyeu moteur, dans le genre de ceux du cadre Intégral, épureraient mieux qu’un tube unique cette rigidité.
Adoptera-t-on le pédalage vertical, de haut en bas, de la Svéa, ou le pédalage horizontal, d’arrière en avant, de la Dalzélienne ? Ni l’un, ni l’autre, à mon avis, et voici sur quelle expérience que tous les lecteurs du Cycliste peuvent faire, je m’appuie : Mettez-vous en selle, les bras croisés, sur une bicyclette immobilisée et dont vous aurez enlevé les pédales, et rendez-vous compte de la direction que vous devriez imprimer à une pédale imaginaire pour utiliser au mieux votre force. A défaut de bicyclette, enfourchez un angle de table et vous reconnaîtrez vite que le mouvement par lequel vous utilisez le mieux votre force est celui du rétropédalage qui commencerait au moment où le pied ramené en arrière à la hauteur du pédalier s’abaisse en se portant en avant jusqu’à la détente complète de la jambe, jusqu’à la pointe finale dont le capitaine Perrache nous vanta si fort la vertu. Malheureusement pour le rétropédaleur, il lui fallait, après cette pointe finale, se laisser remonter le pied, plier exagérément la jambe dont la détente, pendant la première moitié de sa course de haut en bas n’avait presque pas de force. C’était beaucoup de chemin parcouru sans effet utile, tandis que le lévoïste revenant directement, après la pointe finale, d’avant en arrière à son point de départ, ne fatigue pas ses genoux par le ploiement excessif des jambes, qui a toujours été signalé comme un inconvénient du pédalage rotatif rétro, et ne parcourt que le chemin strictement nécessaire à la répétition de l’effort.
Pendant cette expérience, vous avez eu les bras croisés et vous avez senti combien débile est, dans ces conditions, la poussée en avant de haut en bas de la pédale rotative, combien débile aussi la poussée horizontale d’arrière en avant de la Dalzell.
Permettons maintenant aux bras d’intervenir et d’ajouter leur action à celle des jambes. Leur force est toute dans la traction qu’ils exercent sur les poignées du guidon ; on ne les voit pas se tendre et se détendre comme le font les jambes ; ils paraissent immobiles, mais leur rôle n’en est pas moins de très grande importance, puisque, grâce à eux, un cycliste pesant 80 kg. parvient à exercer sur la pédale, d’après les expériences de Scott, une pression de 160 kg., au moment, bien entendu, où la pédale est dans la position la plus favorable.
Pour obtenir de l’union de nos bras et de nos jambes le meilleur résultat, de quelle façon les disposons-nous les uns par rapport aux autres ? Je rencontrai un jour — en arrivant à Vichy, après une étape de 140 km. menée un peu rondement, comme j’avais l’habitude de les mener alors que j’étais encore, hélas ! il y à quelque vingt ans, un jeune cyclotouriste — un couple majestueux de cyclistes anglais, droits comme s’ils avaient avalé une canne, et les bras tendus vers des poignées qui étaient presque à la hauteur des épaules ; ils guidaient leur bicyclette comme un cocher bien stylé guide un four in hand, Et je me demandais de quelle utilité peuvent bien être pour la propulsion, les bras ainsi tendus à angle droit avec le corps. D’autre part, nous voyons les coureurs de vitesse reculer leur selle et abaisser leurs poignées en avant jusqu’à les amener à la hauteur des pédales. Entre ces deux directions extrêmes des bras, les cyclotouristes choisissent l’intermédiaire qui convient à leurs proportions naturelles : longueur du buste, des bras, des jambes, souplesse des reins, délié des articulations, toutes choses qui m’ont fait dire souvent que la façon de pédaler de Pierre peut fort bien n’être pas celle de Paul, sans pourtant cesser d’être excellente.
Et il nous semble aujourd’hui qu’entre ces deux directions extrêmes des bras et les intermédiaires qu’elles renferment, il ne peut pas y en avoir d’autres, en quoi nous nous trompons grandement. Il y en a une autre, la meilleure peut-être pour beaucoup de cyclotouristes qui l’ignorent faute d’avoir, comme nous, pédalé avant 1886, époque où la bicyclette vint remplacer le bicycle, où le tricycle Cripper, à direction de bicyclette, vint remplacer le tricycle à direction par tringle et poignées latérales que nous montions alors.
Nous avions là-dessus ou, pour mieux dire, là-dedans, car nous étions comme enfermés dans ces anciens tris, les bras collés au corps, et nous placions la selle aussi en avant que possible, comme, du reste, dans le grand bicycle, afin que la traction des bras pût s’exercer à peu près dans la même ligne que la poussée des pieds sur les pédales. De cette façon, on parvenait à faire mouvoir ces immenses véhicules à roues de 125 cm., lourds, incommodes et encombrants qu’on appelait des sociables, où arrivait à se loger toute une
famille même nombreuse, le père, la mère et et les deux aînés pédalant, les autres accrochés tant bien que mal à l’avant, au milieu et à l’arrière. On parvenait ainsi à transporter, à quatre, des guimbardes de 100 kg. qui, en ordre de marche, arrivaient à la demi-tonne et J’on allait pique-niquer à 50 km. de l’home familial.
Nous avons pédalé, à Saint-Etienne, sur des monuments de ce genre, à deux de front, et je me souviens qu’aux montées dures, quand nous éprouvions trop de peine à pédaler en avant, nous faisions faire demi-tour au sociable et nous pédalions à rétro ; la traction verticale des bras aidait beaucoup mieux ainsi la poussée des jambes et, à reculons, nous avancions plus facilement. C’est pourquoi, lorsqu’on 1900, le capitaine Perrache nous parla rétro-pédalage, me rappelant cette manœuvre des temps anciens du Sociable, je sautai sur l’idée et je dévins un rétropédaleur convaincu jusqu’au jour où je dus me rendre à l’évidence et conclure à l’infériorité du rétropédalage sur la bicyclette moderne. J’écrivis même alors que pour obtenir de bons effets du rétropédalage, il fallait revenir aux poignées latérales du Sociable et tirer verticalement de bas en haut sur ces poignées, en même temps que pousser de haut en bas sur les pédales.
(A suivre.) Vélocio.
La Technique des changements de vitesse (suite)
Je n’ose croire que les suggestions de mon dernier article (janvier-février 1927) et l’appel que j’y adressais aux inventeurs, en faveur de la bicyclette à leviers, y soient pour quelque chose, mais nous constatons depuis plusieurs semaines une véritable floraison de Lévocyclettes, et quelques inventeurs vont même un peu fort, ce me semble, dans la voie des promesses. L’attention du public est attirée de ce côté et les boniments les plus osés trouvent des-oreilles avides d’apprendre la bonne nouvelle qu’on fera, désormais, grâce aux leviers, du 40, du 60 à l’heure sans plus de peine qu’on fait du 20 ou du 30 avec les manivelles rotatives.
C’est pourquoi j’ai reçu de trois côtés différents communication d’un article paru dans L’Information du 21 juillet, louant comme il convient « l’ingénieux système de M. Bigarré ». Ce système est simple : deux leviers parallèles, l’un remontant pendant que l’autre descend, sur lesquels agit le cycliste par un mouvement analogue à celui de la marche ascendante, la montée d’un escalier par exemple. Ce mouvement alternatif est transformé en rotatif par un villebrequin et une roue dentée qui, au moyen d’une chaîne, commande un tout petit pignon collé sur l’arbre de la roue motrice qui tourne entre deux paliers comme dans la bicyclette Intégral. Ce pignon peut donc être très petit, tandis que la roue dentée qui le commande peut être très grande. Si nous faisons celle-ci de 60 dents et celui-là de 12 dents, chaque pédalée, autrement dit, chaque tour de villebrequin, fera faire 5 tours à la roue motrice et nous développerons 11 mètres par coup de pédale ; à la cadence du pas gymnastique (90 tours-minute), nous ferons ainsi du 60 à l’heure. Sur le papier, tout cela paraît facile ; sur le terrain, ce le serait sans doute moins.
Cependant, d’après l’article en question, M. Bigarré n’a pas travaillé seulement sur le papier, il a mis son système sur deux roues, et l’auteur de l’article nous apprend qu’il a tenu à essayer cette lévocyclette avant d’en entretenir les lecteurs de l’Information, journal grave et sérieux entre tous. N’étant pourtant qu’un piètre cycliste il a pu, sans beaucoup de peine, atteindre, grâce à cet engin perfectionné, la vitesse de 40 à l’heure. « Avec un peu d’entraînement et d’application, j’imagine que j’aurais pu, ajoute-t-il, faire mieux, beaucoup mieux. » Et il termine en pensant, non sans mélancolie, aux huit millions de cyclistes français qui vont bientôt, grâce au système de Bigarré, rouler comme des fous, aussi dangereux que leurs frères supérieurs motocyclistes et automobilistes.
Bigre, s’il doit en être ainsi, je demande qu’on traite M. Bigarré comme Tibère traita l’inventeur de l’aluminium, qu’on lui coupe la tête et qu’on pilonne sa machine, après s’être assuré qu’il n’en existe qu’un exemplaire.
Mais il n’en sera pas ainsi, et la lévocyclette qui, au point de vue vitesse, damera le pion a la bicyclette, n’est pas près de naître. Au lieu de lui couper la tête, nous louerons donc M Bigarré d’avoir travaillé au perfectionnement de la bicyclette, à leviers, qui ne pourra jamais ètre qu’une agréable et confortable monture, légère, maniable, simple à en être rustique, et robuste à souhait.
Telle que je la conçois, la lévocyclette de demain se rapprochera beaucoup plus de la Dalzell de 1845 que de la Svea de 1894, ou de la Terrot d’hier, après, bien entendu, qu’elle aura été dotée de tous les perfectionnements intervenus depuis l’époque où elle vit le jour. Parmi ces perfectionnements, je retiens surtout la roue libre de la Svea sans laquelle il ne saurait y avoir de bonne bicyclette à leviers. Cette roue libre doit être (et elle l’est) très douce, très silencieuse et répondre instantanément à l’attaque qui se renouvelle chaque fois que le pied s’abaisse. Les roues libres qu’on fabrique actuellement, excellentes sur nos bicyclettes, ne vaudraient rien sur une lévo et c’est sur cet écueil, qu’ont déjà échoué bien des inventeurs. Les deux roues libres Svéa à dix galets, longs d’un centimètre,, poussés par de très faibles ressorts, et roulent sur deux couronnes de billes ; elles sont insérrées à gauche et à droite du moyeu dont elles font partie. A chaque fois qu’un levier s’a-baisse, les galets sont sollicités à la fois par le sens de la rotation et par les ressorts, à monter vers les plans inclinés où leur coincement dé-terminera l’entraînement de la roue et, sur le dix, il s’en trouve toujours un pour ré-pondre instantanément à cette sollicitation. Quand le levier, parvenu à son point le plus bas, s’arrête et commence à remonter, les galets redescendent sans le moindre bruit et les ressorts sont beaucoup trop faibles pour op poser la moindre résistance à ce mouvement commandé par le sens inverse de la rotation.
Si les roues libres étaient à cliquets comme le sont toutes les roues libres actuelles, nous aurions à chaque remontée du levier, à vaincre une assez sensible résistance, et c’est là probablement la source de la grande résistance passive que le capitaine Perrache découvrit dans la rétrodirecte qui aurait gagné à adopter la roue libre Svea ; si elles étaient simplement à galets, sans être soutenues par des roulements à billes, comme le furent autrefois les roues libres à galets qu’on trouve encore sur d’anciennes bicyclettes, la résistance passive serait, on le conçoit sans peine, encore plus grande.
En somme, la roue libre est la pierre angulaire de toute bicyclette à leviers, et je conseille aux inventeurs d’adopter le moyeu Svéa avec ses deux roues libres : je leur conseille aussi de rendre solidaires les deux leviers au moyen de la poulie de renvoi de la Svéa ; la résistance que crée cette poulie est moins grande que celle du ressort de rappel chargé de relever les leviers. Quelques inventeurs ont imaginé d’utiliser pour le relèvement du levier la force du pied revenant à vide à son point de départ. Dans ce cas, le ressort de rappel peut être très faible, mais il faut toujours un ressort pour enrouler correctement la chaîne sur son tambour.
Pour les autres détails de construction de la bicyclette à leviers, j’ai déjà donné mes idées qui ne sont sans doute pas les meilleures, et il ne me reste qu’à souhaiter voir quelque jour sur le marché une lévocyclette de 10 kg. à changement de vitesse progressif de 1 m. 50 à 10 m., basse, maniable, qui permette, étant en selle, de poser commodément les pieds à terre, à petites roues de 550 ou de 600mm, munies de ces délicieux pneus Ballon, qui vont enfin ramener au cyclisme des milliers de cyclistes que les barbares pneus standard, dits brise-os, en avaient éloignés. Mais que les inventeurs cessent de nous promettre des bicyclettes à leviers, grâce auxquelles nous pourrons, à fatigue égale, doubler notre allure, ou bien qu’ils viennent prendre part à la Journée Vélocio, comme y a pris part cette année M. Aumon avec ses pneus Ballon dont il nous disait des merveilles qui se sont réalisées. Je serais heureux de voir M. Bigarré nous faire la même surprise avec ses leviers.
La journée Vélocio deviendrait ainsi le banc d’essai de tous les perfectionnements apportés de jour en jour à la bicyclette.
VÉLOCIO.
Engrenages
Technique des Changements de vitesse
Je croyais, par mes réflexions sur les bicyclettes à leviers, avoir mis un point final à cette étude aride qui, depuis 1925, a souvent encombré les colonnes du Cycliste. Je l’avais entreprise pour montrer combien l’on avait tort de croire que l’ère des perfectionnements de la bicyclette, qui s’est ouverte il y a quarante ans, était résolue. Je voulais, avec la collaboration des lecteurs du Cycliste qui, de tout temps, se sont intéressés aux progrès réalisés dans tous les sens, rechercher comment, en particulier, l’idée de la polixion avait germé et s’était développée. L’ingéniosité des simples amateurs, suppléant l’inertie et le mauvais vouloir des constructeurs toujours rebelles aux innovations, créa successivement, en ses multiples formes, le système primitif dont le « Tour de France » se sert encore, puis la Rétrodirecte, la polychaîne, la flottante, les souleveurs et les dérailleurs de chaîne, les lévocyclettes, etc., tout cela en de nombreuses variétés dont quelques-unes seulement ont survécu, et pas toujours les meilleures.
Cette étude s’adressait donc à de simples amateurs, à des artisans, auxquels en montrant ce qu’avaient fait leurs prédécesseurs, je laissais voir qu’il y avait encore du travail pour eux, que la Bicyclette de tourisme et la bicyclette utilitaire étaient encore et indéfiniment perfectibles, et que nous comptions toujours sur leur collaboration.
J’avais donc laissé volontairement de côté le seul type de changement de vitesse dont les constructeurs peuvent, à bon droit, revendiquer la paternité ; les moyeux et pédaliers à transmission superposée dont la conception est peut-être bien due aussi à un simple amateur, mais dont la réalisation dépasse les moyens techniques d’un artisan qui ne dispose ni d’un laboratoire pour étudier les qualités fies aciers, ni de l’outillage de précision indispensable à une fabrication irréprochable, car ici la perfection est nécessaire.
Mais l’on m’a demandé, de divers côtés, de comprendre dans mon étude technique, les moyeux et pédaliers à engrenages, non pour indiquer de quels métaux et de quelle façon on doit les faire, ce qui est au dessus de ma compétence, mais pour indiquer comment on doit les utiliser, soit seuls, soit en les combinant entre eux eux ou avec d’autres systèmes, et cela rentre dans mes attributions, car je m’en suis beaucoup servi et je m’en sers encore.
Il faut supposer que la fabrication d’un moyeu, à trois vitesses par exemple, est chose bien difficile, puisque nous n’en voyons aucun ; sur le marché qui soit français d’origine Anglais, Allemands et Américains se sont toujours disputé l’honneur et le profit de nous les fournir. Je ne connais guère que le moyeu Terrot à deux vitesses dont la qualité soit égale, sinon supérieure, aux meilleurs moyeux étrangers, mais ce moyeu n’est livré que sur les bicyclettes Terrot. A Saint-Etienne, où ne manquent pourtant ni les bons ouvriers, ni les bons outils, l’on n’a jamais, que je sache, pu créer un système à transmission superposée qui ait tenu le coup ; le dernier en date, le pédalier Bilis, après un moment de vogue a disparu ; les autres, s’il en fût, n’ont même pas été sur le marché ; les seuls qu’on y ait vus furent des moyeux anglais ou allemands démarqués. Je suis donc autorisé à conclure que ces appareils sont de fabrication très difficile, et la technicité de leur construction n’est pas comme celle d’une flottante ou d’un dérailleur, du ressort des artisans, encore moins des simples amateurs, mais celle de leur utilisation, de leur combinaison avec d’autres systèmes est plutôt notre fait que celui des grands industriels B. S. A., Sturmey, Torpédo, etc., qui nous les vendent. Prenons-les donc tels qu’ils sont et voyons quel parti nous pouvons en tirer pour les rendre utilisables sur la bicyclette polyxée telle que nous la comprenons, c’est-à-dire munie d’une échelle de vitesses nous permettant de circuler facilement dans les régions les plus accidentées.
Le premier moyeu à engrenages que j’eus l’idée, vers 1898, de modifier, était un moyeu américain, le Bigear, à roue folle entre les deux vitesses serves, 5 mètres et 4 mètres : l’écart (20 %) était faible entre la grande vitesse en prise directe et la petite sur engrenages, et le soulagement qu’on obtenait de celle-ci à nos longues et dures montées n’était pas sensible, à tel point qu’on y était souvent tenté de revenir à la vitesse normale. Par ailleurs, la roue folle était plus dangereuse qu’utile, et la soudaineté d’un embrayage en pleine vitesse surprenait désagréablement. Je transformai cette roue folle en roue libre en installant à la gauche du moyeu une deuxième transmission par chaîne qui’ me donnait une troisième vitesse plus petite que les deux autres. Je pus ensuite coiffer d’une roue libre la roue serve du Bigear et rendre ainsi plus facile et moins scabreux le passage des vitesses en toute circonstance, à la montée comme à la descente. Cependant, j’aurais bien aimé conserver, à l’une des trois vitesses, la roue serve que j’appréciais beaucoup aux longues descentes. autant comme frein que comme moyen d’empêcher les articulations de s’ankyloser dans une trop longue immobilité. En hiver, alors qu’après s’être mis en sueur à la montée, on se laisse aller à la descente sans avoir eu le temps ou pris la précaution de se couvrir suffisamment, on est bien aise de pouvoir contrepédaler pour se réchauffer ; un développement moyen en roue serve est alors précieux.
Le moyeu Eadie, que l’on nous offrit peu de temps après le Bigear, avec roue libre à la deuxième vitesse (en prise directe), roue serve à la première et roue folle entre les deux, me permit de réaliser une « trois vitesses » parfaite a mon point de vue et dont quelques spécimens roulent encore : 6 mètres et 3 mètres en roue libre et en prise directe et 4 m. 50 en roue serve sur engrenages. Malheureusement ce moyeu Eadie ne tarda pas à disparaître du marché et se transforma en roue libre partout, selon la formule qui s’imposait de plus en plus et que les moyeux Sturmey, B. S. A. et autres, à trois vitesses, adoptèrent des leurs débuts, vers le commencement du siècle. Deux moyeux Sturmey figurèrent pour la première fois au concours du T. C. F. de 1905, à côté de tous les dispositifs de polyxion en usage à cette époque : Bi et trichaînes, Lévocydettes, Touricyclettes à transmission rigide par pignons d’angle, Rétrodirectes, Moyeux et Pédaliers à transmissions superposées, seuls ou combinés entre eux, Pignons extensibles de Pernod, enfin le fameux modèle H de Terrot, qui dérivait en droite ligne d’un brevet anglais et qui donna l’essor à tous les dérailleurs que nous voyons aujourd’hui pulluler sur le marché. Ce modèle H n’était pourtant pas un dérailleur ; la chaîne n’y était pas brutalisée, poussée, torturée pour la forcer de passer d’un pignon à l’autre, elle y était délicatement soulevée par un mécanisme ingénieux, dû à L’Anglais Hodgkinson et retombait sur celui des trois ou quatre pignons que l’on avait amené sous elle par une simple tirette à ressort antagoniste, analogue à la commande de la plupart des dérailleurs modernes. De nombreuses bicyclettes H roulent encore à la satisfaction de leurs propriétaires, mais la fabrication en a été abandonnée à cause de leur prix de revient trop élevé, et peut-être aussi de leur poids. Ce dispositif mériterait d’être repris, allégé, simplifié, et nous aurions là une trois, quatre et même cinq vitesses de grande valeur pratique. Je l’ai peut-être déjà dit, car je commence à radoter ; mais je ne puis m’empêcher, quand repassent devant ma plume des choses qui étaient très bonnes en elles-mêmes et qui son tombées dans l’oubli, de les tirer un instant de la tombe et d’en rappeler les mérites.
Nous voici donc en 1902, et le T. C. F. organise son premier concours de bicyclettes de tourisme dans les Pyrénées pour démontrer que l’on peut, à bicyclette, voyager dans les régions les plus accidentées, sans être obligé de pousser sa machine, grâce à la polyxion. La démonstration fut éclatante, car les professionnels de l’époque Fischer, Aucouturier et Vendredi de joyeuse mémoire, qui se lancèrent à l’assaut du Tourmalet avec leurs monos de course, furent tous obligés de faire à pied kilomètres sur kilomètres et arrivèrent exténués (oh ! ce pauvre Vendredi !) ; tandis qu’une jeune fille, Mlle Marthe Hesse, franchit le col, fraîche et rose, sans avoir un instant poussé sa trixée par moyeu W. F. W. et bi-chaîne. Et ceci me ramène à mon sujet, que je risquerais d’oublier, si je me laissais ainsi, à tout propos, entraîner par mes souvenirs.
Cette trois vitesses eut beaucoup de succès, parce que le moyeu W. F. W., d’origine allemande, donnait deux vitesses très distantes l’une de l’autre, par exemple 6 mètres et 4 mètres en roue libre, et un frein à contrepédalage bien conçu, mais qui empêchait de fixer à gauche par une deuxième chaîne, la troisième vitesse, plus petite que les deux autres, comme dans les moyeux Eadie et Bigear. Cette deuxième chaîne devait être fixée à droite, à côté de l’autre, et nécessitait une modification du moyeu, très coûteuse, mais rentrant cependant dans le domaine de l’artisanat. La trixée de Mlle M. Hesse avait 6 m. et 2 m. 80 en prise directe et 4 m. sur engrenages, une bonne échelle en somme qui lui avait permis d’aller en trois jours de Saint-Etienne à Tarbes, par le Puy, Mende, Rodez, Villefranche, Montauban et Auch.
Mais de nouveaux moyeux à deux vitesses furent introduits, dont le Villiers fut le meilleur, et ces moyeux n’avaient pas de roue folle entre leurs deux vitesses distantes de 25 %. Il nous fallut donc imaginer un nouveau dispositif pour obtenir une échelle plus complète, car 6 m. et 4 m. 50 ne suffisaient pas à notre ambition de franchir tous les cols possibles et imaginables, du Tourmalet au Stelvio et au Parpaillon. Une nouvelle épidémie, la colite, sévissait à l’Ecole stéphanoise, et il suffisait qu’on nous signalât un col rébarbatif pour qu’aussitôt, les uns ou les autres, nous allions lui faire son affaire, si bien que les douaniers suisses et italiens avaient fini par traiter de Stéphanois tous les cyclistes qui se présentaient à leur frontière avec des polychaînes.
(A suivre.) Vélocio.
TECHNIQUE DE| CHANGEMENTS DE VITESSE
L’absence de la roue folle entre les deux vitesses du moyeu Villiers m’empêchant de donner à ce moyeu, par une deuxième chaîne, une troisième vitesse plus petite que les deux autres, je lui en donnai deux : une troisième et une quatrième, en lui adjoignant un dispositif que je venais d’imaginer et qui a tenu beaucoup de place dans les premiers chapitres de cette étude : la bichaîne avec débrayage au pied. Je n’avais toujours que deux chaînes, mais j’avais quatre vitesses bien échelonnées et interchangeables instantanément en marche, par exemple 3 et 4 mètres sur la chaîne du petit jeu, 5 m. 25 et 7 m. sur la chaîne du grand jeu. Du moment que nous devions sacrifier la roue serve, une « quatre vitesses en marche », sans plus d’encombrement ni de poids, devenait préférable à une « trois vitesses » ; j’utilisai une bicyclette ainsi équipée dans une tournée des cols français, que je fis en 1909 avec un des meilleurs adeptes de l’E. S., Thorsonnax de Paydall, qui venait de faire Lyon-Nice en vingt-quatre heures, et l’aller et retour de Saint-Etienne au col du Rousset en dix-sept heures, ceci pour montrer que mon compagnon était un bon randonneur et que, si mon outil avait été surchargé de résistances passives par le fait des engrenages du moyeu, j’aurais eu de la peine à le suivre, tandis que ce fut le contraire. Cette tournée, commencée à Genève de grand matin, après une nuit passée dans le train, nous avait d’abord amenés à Saint-Gingolf où nous avions mal déjeuné et quelque peu sommeillé, puis ramenés à Genève à midi, et le soir, par Nantua, à La Balme, où nous avions passé la nuit. Nous étions, en effet, partis pour faire les cols suisses, jusqu’au Stelvio inclusivement ; mais un orage nous avait arrêtés, et la perspective d’autres orages imminents nous faisait rebrousser chemin et rentrer chez nous. Or, le lendemain, à La Balme, le temps avait changé du tout au tout et nous filâmes sur Grenoble où l’on déjeuna à midi, pour ensuite franchir le Lautaret (1er col) et aller coucher au Monétier. Coup sur coup, le jour suivant, on passa l’izoard et le col de Vars (2e et 3° cols) et l’on dormit à La Condamine. La quatrième journée fut consacrée au Par-paillon et au col de la Croix-Haute (4e et 5e cols) , on s’arrêta, le soir, à la gare de Clelles, au pied du col de Menée, que l’on franchit le lendemain, ainsi que le col du Rousset (6e et 7e cols) avant midi ; on déjeuna aux Baraques, et notre intention était de rentrer à Saint-Etienne le soir même par le col des Grands-Bois, ce qui nous aurait fait huit cols, dont quelques-uns « d’importance, en quatre jours. Nous aurions pu, si Thorsonnax ne s’était pas trop dépensé les jours précédents, et je lui en avais fait la remarque en le voyant me devancer à tous les cols et puiser sans compter dans son réservoir de calories. Après le déjeuner aux Baraques, il laissa voir des signes de lassitude et nous dûmes remettre au lendemain matin l’ascension du col des Grands-Bois.
Cette tournée des cols est, en somme, assez rude, et ma combinaison de « quatre vitesses en marche », que j’avais abaissées quelque peu pour ce voyage et ramenées à 2 m. 70,
3 m. 60. 4 m. 75 et 6 m. 30, me fut d’un grand secours, d’autant plus que les développements qui me servirent le plus souvent (2 m. 70 et
4 m. 70) étaient en prise directe. Cependant les moyeux à deux et à trois vitesses devenaient légion en Angleterre, sans qu’aucun d’eux nous offrit une échelle de vitesses assez étendue pour le grand tourisme. Les uns avaient la prise directe sur la petite : vitesse, les plus nombreux l’avaient sur la moyenne, et quelque-uns, très rares, sur la grande vitesse, ce qui n’était acceptable que dans un « deux vitesses » ; mais un « trois vitesses » doit nécessairement avoir sa moyenne vitesse en prise directe parce que c’est la vitesse dont on se sert le plus fréquemment ; elle doit être celle que l’on choisirait si l’on devait rester monoïste. Les moyeux Sturmey et B. S. A., qui seuls ont survécu, sont ainsi établis ; mais leurs développements ne sont pas assez espacés ; 5 mètres en prise directe est la bonne moyenne vitesse qui convient à la généralité des cyclistes ; elle donne en petite vitesse 3 m. 85 et en grande vitesse 6 m. 50 ; celle-ci peut suffire, mais 3 m. 85 c’est nettement trop, et, d’autre part, si l’on pouvait des-cendre a 3 mètres, l’écart entre 3 mètres et
5 mètres serait trop considérable par rapport à celui de 5 à 6 m. 50. L’expérience nous a enseigné que pour venir aisément à bout d’itinéraires très accidentés, tels que celui que je viens d’esquisser, un cycliste moyen et, à plus forte raison, un cycliste faible, femme, enfant ou vieillard, a besoin, à la base, d’un très petit développement ; que je fixe entre 2 m. et 2 m, puis d’un petit de 3 mètres, et de trois moyens qui pourront être 4 m., 5 m. et
6 m. et enfin d’un très grand que je situe entre 7 m. 50 et 8 mètres, auquel on aura recours plus souvent qu’on ne serait tenté de le croire, même quand on est classé dans la catégorie des cyclistes faibles.
Un cycliste robuste et entraîné n’a pas besoin d’un tel luxe de développements, parce qu’il peut, selon les circonstances, appuyer fort ou tourner vite, et une trixée de 3 m., 5 m. et 7 m. interchangeable en marche lui suffit, mais je m’intéresse surtout à ce cycliste moyen qui n’a ni le temps, ni l’envie de .s’entraîner et que la nature a parcimonieusementt doté. Le moyeu « trois vitesses » ne lui suffisant pas, il nous a fallu, à une époque où le dérailleur n’était pas encore inventé, trouver un truc pour doubler un trois vitesses et rendre pratique un dispositif très incomplet. Cela se passait entre 1900 et 1910. Au concours de Tarbes en 1902, il n’avait été présenté aucun moyeu à trois vitesses ; cependant, en juillet 1903, j’avais déjà adapté à une de mes bicyclettes de grand tourisme, un moyeu Sturmey dont les trois vitesses avaient été doublées par deux chaînes, et je me revois grimpant sur cet outil, de Saint-Etienne au Lautaret, où j’allais prendre en passant un jeune compagnon avec lequel je terminai ma première étape à Largentière-La-Bessée, au delà de Briançon. Ma « six vitesses » s’était bien comportée.
Le lendemain, on fit le Parpaillon, par Crevoux, et l’on finit l’étape à La Condamine, sans que j’aie remarqué rien d’anormal, mais le troisième jour, alors que nous descendions la vallée de l’Ubaye et que j’enlevais quelques contrepentes avec mon grand développement, quelque chose craqua dans mon moyeu et je . dus rentrer en ne me servant que des deux vitesses en prise directe : la pièce dentée intérieurement qui enveloppe les satellites, s’était fendue. Ces moyeux n’étaient pas encore au point et, sur mes tandems, ils ne tenaient pas longtemps, même avec manivelles décalées à 90 degrés. Au concours de Grenoble, en 1905, figurèrent deux moyeux Sturmey ; je m’attendais à les voir rendre l’âme dans la rude rampe de la Diaz au Cucheron ; ils résistèrent pourtant aux formidables efforts des deux athlètes à qui les constructeurs les avaient confiés et qui, eux, se claquèrent à fond, parce qu’ils étaient venus avec une échelle de développements convenant tout au plus aux montagnettes, del’Écossee. La démonstration n’en fut que plus éclatante, et l’on pouvait désormais faire confiance à ces moulins à café ; mais leur gamme de vitesses n’avait pas été modifiée et leur doublement s’imposait de plus en plus par l’accession au cyclotourisme, à la suite des concours du T. C. F., d’un grand nombre de cyclistes incapables de grands efforts et désireux cependant de venir à bout, sans fatigue, des itinéraires accidentés dont nous leur vantions les charmes.
Je me souviens d’un professeur qui m’écrivit : « Je n’ai pas le temps de m’entraîner et ne puis faire du vélo que pendant les vacances. Quels développements me conseillez-vous pour voyager pendant deux mois dans les Alpes, en emportant 10 à 12 kg. de bagages, sans être obligé de pousser mon outil, comme je l’ai fait les années précédentes pendant des dix et quinze kilomètres consécutifs ? » Je lui conseillai 1 m. 50 à la base, c’est un développement dont j’ai pu me servir utilement sur un cabcycle, en transportant au col des Grands-Bois jusqu’à 60 kg., de poids mort ou vivant. On lira avec profit, dans ce numéro même, un article de M. Mailluchet sur les développements qu’il convient d’adopter en différentes circonstances, quand on ne dispose que d’un moteur à puissance limitée.
Après les concours de 1902 et. de 1905, les moyens de doubler les développements d’un « Three Speeds » Sturmey ou B. S. A. étaient déjà nombreux. Nous pouvions utiliser les pédaliers à deux vitesses Variand, Magnat ou Tilhet, voire celui à trois vitesses de Brossard, qui eut son heure de vogue et qui aurait pu être perfectionné, ou plutôt mieux construit. En Angleterre, on trouvait aussi les pédaliers à deux vitesses chez James et chez Sumbeam ; ce dernier est toujours sur le marché, mais l’écart entre les deux vitesses n’étant que de 25 % comme celui du Three Speeds, ne se prêtait pas à une bonne échelle de six vitesses, et c’est le pédalier Tilhet, où les vitesses étaient dans le rapport de 1 à 2, qui put le mieux concurrencer la bichaîne, la retrodirecte, le dérailleur et la flottante, où les rapports entre les vitesses étaient ad libitum ; ne citons que pour mémoire, le système primitif de déplacement de la chaîne à la main sur plusieurs couples de pignons juxtaposés, qui pourtant eut toujours et a encore des partisans. Avec l’un ou l’autre de ces dispositifs, dont j’ai détaillé les avantages et les inconvénients, et surtout les résistances passives, dans les précédents chapitres de cette étude, nous complétions heureusement les trois vitesses insuffisantes d’un moyeu B. S. A. en les doublant ; quelques-uns ¡allèrent même jusqu’à les tripler et les quadrupler, mais l’échelle qui eut le plus de succès fut celle-ci :2m., 2 m. 60, 3 m. 40, 4 m, 5 m. 20 et 6 m. 80. On commençait parfois à 1 m. 50 pour finir à 5 m. 10, ou à 2 m. 50 pour finir au-dessus de 8 mètres : quelquefois enfin on détachait davantage l’un de l’autre les deux jeux de trois vitesses du moyeu et, tout en conservant au petit jeu les développements nécessaires aux rampes excessives : Galibier, Parpaillon, col de Vars, etc.., c’est-à-dire 2 m., 2 m. 60 et 3 m. 40, on s’offrait un grand jeu de 5 m., 6 m. 50 et 8 m. 50, qui, pour descendre la vallée du Rhône avec mistral dans le dos, vous permettait de décrocher de temps en temps le 50 à l’heure et de dépasser les autos dont les allures moyennes, il y a vingt-cinq ans, étaient loin de ce qu’elles sont aujourd’hui. On s’amusait ; les routes, sans être goudronnées, étaient bonnes et roulantes, et les cyclistes pouvaient encore se croire les rois de la route. Aujourd’hui le mistral est aussi fort et la route est tout aussi bonne et roulante, seulement nous y trouvons trop de voisins dangereux, pour s’y amuser.
L’expérience nous apprit vite qu’à nous servir inconsidérément de la troisième vitesse au petit jeu, qui, tout en devenant dans nos « six vitesses » un petit développement de côte, n’en restait pas moins la grande vitesse du moyeu, nous risquions de claquer nos engrenages qui, dans cette position sont combinés non pour résister à des pressions athlétiques, mais pour répondre à de rapides cadences. Cette vitesse, la troisième en comptant comme le font les autoïstes, se trouvait généralement comprise entre 3 et 4 mètres ; elle était, dans l’échelle la plus employée, de 3 m. 40 et nous n’hésitions pas à nous en servir quand nous trouvions la pédale trop douce avec 2 m. 60 en prise directe. Résultat : un moyeu en marmelade, tandis que nous pouvions impunément nous servir de la quatrième vitesse de 4 mètres qui, étant la petite vitesse du moyeu, était disposée pour résister aux fortes pressions. En fait, nos six vitesses se réduisaient à cinq vitesses utilisables, pour des cyclistes de force au-dessus de la moyenne. Les randonneurs n’eurent d’ailleurs jamais recours à ces combinaisons de deux systèmes de polyxion, où, comme l’écrivait Bourlet, les résistances passives risquaient de devenir trop grandes ; les bichaînes et plus tard les dérailleurs où toutes les vitesses sont en prise directe étaient juste ce qui leur convenait, mais les cyclotouristes qui ne poussent jamais à fond n’ont pas à trop s’inquiéter des résistances passives, et la commodité d’avoir à sa disposition six développements bien échelonnés était pour la plupart un avantage qui passait avant toute autre considération.
On voit encore quelquefois dans les meetings du Cycliste, des « six vitesses » de ce genre où le- moyeu Sturmey ou B. S. A. est doublé par bichaîne ou par flottante ; les autres ont disparu et le prix prohibitif des moyeux anglais actuellement, n’est pas pour les faire reparaître de sitôt. Quelques années avant la guerre, l’Allemagne nous livra un moyeu à quatre vitesses, le Torpédo, imité du B. S. A., que je montai sur une Magnat-Debon à. trois vitesses au pédalier ; cela me fournit déjà une « douze vitesses » que je pouvais transformer en une « cent soixante-huit vitesses » par l’adjonction d’un dispositif que j’avais imaginé en 1907 avec quatre pignons au moyeu et quatre plateaux au pédalier et qui par deux dérailleurs. me donnaient en marche seize vitesses théoriques, lesquelles pratiquement, se réduisaient à quatorze. Ces quatorze vitesses multipliant les douze vitesses primitives, mettaient donc à ma disposition, interchangeables en marche, par la manœuvre de quatre manettes. cent soixante-huit vitesses comprises entre 1 mètre et 20 mètres. Cette polyxée aurait fait merveille dans un des derniers concours du T. C. F., où des points de faveur étaient attribués au prorata du nombre des développements interchangeables en marche.
Les systèmes de polyxion à transmissions superposées ne doivent donc pas être rejetés sans examen ; ils conviennent mieux que tous autres dans bien des cas. Ils conservent à une bicyclette une silhouette, une ligne élégante, ils se défendent bien contre la pluie et contre la boue, ils se prêtent parfaitement au carter à bain d’huile. Les promeneurs, les cyclistes qui ne pédalent que par hygiène et par tous les temps, sans le souci de la vitesse, peuvent s’en contenter. A la condition de se contenter de 5 mètres comme grande vitesse, ils auront au bas de l’échelle un 3 mètres qui leur permettra de gravir les rampes moyennes de 5 à 7 % qu’on rencontre le plus souvent, quitte à faire à pied les plus dures. On trouvait d’ailleurs avant guerre un autre moyeu que le Sturmey : le Pedersen, dont les vitesses étaient dans le rapport 2, 3, 4,50 et qui équipait beaucoup de bicyclettes de voyage avec l’échelle unique 2 m. 80, 4 m. 20 et 6 m. 30, ou l’échelle double, par un second plateau de pédalier et une chaîne à rallonge : 2 m, 40, 3 m. 00 et 7 m. 40 au petit jeu, 3 m., 4 m. 50 et 6 m. 75 au grand jeu. Ce moyeu Pedersen a disparu, il était merveilleusement construit et il n’est pas dit qu’il ne reparaîtra pas un jour ou l’autre.
Mais les résistances passives dont sont grevés tous ces systèmes de transmissions superposées, insignifiantes pour qui se sert avec modération de sa poly,deviennent prohibitives pour ceux qui veulent en tirer le maximum. On ne les verra donc jamais figurer avantageusement dans les courses et les concours.
[1] (1) A vrai dire, aux deux dispositifs que j’ai décrits, on peut objecter le frottement de la chaîne de la petite vitesse en mouvement constant quand on se sert de la grande vitesse et, quand on se sert de la petite vitesse, le frottement de la roue dentée de la grande vitesse qui tantôt reste immobile, tantôt tourne à vitesse réduite sur la coquille de la manivelle. Mais ce sont là des frottements qui sont de l’ordre des impondérables et qui d’ailleurs se retrouvent dans les autres bichaînes et s’y ajoutent aux frottements plus importants que je vise. Sur mes premières bichaînes qui virent le jour à un moment où la roue libre n’avait pas encore bataille gagnée, le grand développement était à la roue serve et la roue dentée folle du pédalier tournait sur un roulement à billes, car elle était constamment entraînée par le pignon fixe ; la roue libre se généralisant, je supprimai ce roulement à billes et la roue dentée tourna sur roulement lisse ; à diverses reprises ensuite, j’ai oscillé entre d’autres roulements à billes plus simples et le roulement lisse auquel je me tiens pour l’instant, tant pour son bas prix de revient que pour sa rusticité, n’ayant jamais entre les deux constaté de différence appréciable.