Bicyclette n°4

jeudi 18 avril 2024, par velovi

DE SAINTTIENNE À MARSEILLE EN 15H, 1905

«  Bien des motifs m’appellent donc là-bas dès le printemps  : j’en avais un de plus cette année. Je tenais à clore, par une randonnée sérieuse et rondement menée, la série des essais que j’ai fait subir cet hiver à ma nouvelle monture, type 4 des machines d’amateurs, dont les caractéristiques sont  : trois développements interchangeables en marche par trois chaînes et deux débrayages au pied, des roues de 60 centimètres, des pneus de 50 millimètres très souples et très légers, et un cadre excessivement robuste, relativement court de l’arrière et allongé de l’avant. J’ai muni cette machine dont la silhouette, de l’avis général, n’est point du tout déplaisante, bien qu’elle diffère de ce qu’on est accoutumé de voir, de la tige de selle oscillante et du guidon à deux étages qui font, depuis plusieurs années, partie de mon bagage de tourisme et que je transporte successivement, comme ma plaque d’impôt, sur mes différentes montures.
Je voulais étudier avec ce type 4, dont le dessin a été soumis, le mois dernier, aux lecteurs du Cycliste comment trois chaînes se comporteraient sur route  ; quelle augmentation de résistance devait en résulter  ; comment des pneus, dont la surface de roulement n’est constituée que par un protecteur de deux millimètres d’épaisseur, collé immédiatement sur la toile très mince elle-même, résisteraient aux morsures de la route  ; comment, enfin, des roues d’aussi faible diamètre que 60 centimètres, affecteraient le roulement et le rendement.
Je suis maintenant fixé, puisque j’ai parcouru depuis quatre mois, sur cette bicyclette, 2.700 kilomètres, et j’en puis parler avec quelque certitude.
La hauteur des roues me semble sans la moindre influence sur le roulement à la descente, pas plus que sur le rendement en plaine et à la montée.
Ceci résulte non seulement de mes impressions personnelles maintes fois passées au crible de la discussion, mais encore de nombreuses expériences comparatives. Je n’ai jamais été inférieur et j’ai souvent été supérieur aux descentes faibles ou fortes, aux mieux montés de mes compagnons.
À la montée, d’autres raisons entrent en ligne de compte  : la rigidité des tubes de chaînes qui, dans le cadre équiangle du type 4, est extrême, la base arrière courte (43 centimètres entre les axes du pédalier et de la roue motrice de centre à centre, tandis que la plupart des machines à roues de 70 centimètres mesurent 50 centimètres), la force des tubes (32 m/m X 8/10) du cadre de 55, petit et trapu, qui n’absorbe pas une parcelle de la force de traction des bras sur les poignées basses du guidon, tout cela concourt au rendement de la machine qui est très bon.
Cependant, il reste inférieur à celui d’une autre de mes machines à grand rendement, le type 1 des modèles d’amateurs de la Gauloise, qui a des roues de 70 et des pneus de 35 millimètres qu’il faut naturellement gonfler très dur, alors que je gonfle fort peu mes pneus de 50 millimètres. De là vient sans doute toute la différence, d’ailleurs faible. Il est incontestable que lorsqu’une vigoureuse pression sur la pédale écrase le pneu de la roue motrice sur le sol, plus le bandage est dur et indéformable, plus vite et plus complètement il répond  ; plus, au contraire, il est mou, plus il fléchit, s’affaisse, se déforme, se dérobe avant de se décider à marcher et moins il rend. Mais quand, par aventure, on grimpe sur un sol rocailleux, empierraillé, à têtes de chat, le gros pneu souple redevient vite supérieur au petit pneu dur auquel il faut pour vaincre une surface de roulement aussi idéalement unie que possible.
Donc, à tout prendre, les routes étant rarement unies comme marbre, au moins huit fois sur dix, le gros pneu souple qui boit l’obstacle est encore préférable, même à la montée, pour les bicyclettes de tourisme, au pneu crayon, qui bondit et ricoche d’obstacle en obstacle et, par ses continuelles trépidations, annihile, et au delà, les avantages de son indéformabilité.
En plaine, le gros pneu est toujours égal au pneu crayon sur les meilleures routes, et il lui est d’autant supérieur que le sol devient moins bon.
Conclusion  : les gros pneus s’imposent, mais il faut que ces pneus restent souples et légers, minces par conséquent  : les pneus de motocyclettes à triple ou quadruple entoilage, à chapes épaisses, constituent ce que nous condamnons sous la dénomination de pneus en bois, même gonflés modérément, ces pneus restent durs, sans souplesse, sans vie  ; ils ne boivent même pas l’obstacle.
Les compétences du T. C. F. rendirent un très mauvais service aux cyclotouristes quand elles recommandèrent des pneus increvables, des chambres à double épaisseur, des entoilages capables de résister à des pressions de cinq atmosphères  ! Je sais des cyclistes qui, pour avoir trop suivi ces conseils, absolument désintéressés, certes, mais marqués au coin d’une inexpérience absolue des choses de la route, se sont exténués à traîner un boulet pendant plusieurs années.
Une réaction à laquelle j’espère que Le Cycliste n’aura pas été étranger, commence à se dessiner nettement, et les increvables auront bientôt disparu de la circulation. On admet qu’il vaut mieux avoir quelques crevaisons de pneumatiques de plus que de se crever soi-même chaque fois que l’on sort.
Mais crève-t-on beaucoup plus souvent avec des pneus extra-minces qu’avec des pneus extra-forts  ? Il faudrait, pour pouvoir répondre à cette question, disposer d’un grand nombre d’observations qui n’ont être encore faites  ; mais j’ai noté avec soin les accidents dont mes légers pneumatiques de 600/50 ont été victimes en 2.700 kilom. (3.200 kilom. au moment où je corrige ces épreuves.)  : une épingle après 656 kilom., une épine après 1.152 kilom.. un clou après 1.806 kilom.., une épine après 2.198 kilom, et enfin, pendant mon dernier voyage à Marseille, un clou et une épine, total 6 crevaisons. Il semble bien que l’on crève deux fois plus avec ces pneus-là qu’avec des pneus ordinaires, et que les épines, en particulier, sont plus redoutables, mais leurs blessures n’entraînent pas une absolue nécessité de réparer sur place  : un clou même n’est pas très gênant, suivant la façon dont il s’est logé, et je n’ai vraiment été forcé de réparer de suite qu’une fois sur six. Les perforations des épingles et des épines m’ont toujours permis de continuer en regonflant de temps en temps. Par contre, je n’ai jamais crevé par pincement de la chambre entre la jante et les cailloux, et les arrêts les plus brusques immobilisant la roue n’ont jamais raboté la surface de roulement, qui ne pourrait d’ailleurs pas résister à ce traitement, puisqu’elle n’a que deux millimètres d’épaisseur.
J’attribue cette immunité à l’extrême souplesse des pneus que les silex et les morceaux de verre n’entament pas. À noter que 2.000 kilom. ont été faits pendant les mois où l’on recharge les routes et que j’ai dû, maintes fois, traverser à toute vitesse des rapiéçages de fraîche date, comme on en rencontre fréquemment sur nos chemins de grande communication où passe rarement le rouleau à vapeur.
Mon opinion sur le calibre et la légèreté des pneumatiques commence, d’ailleurs, à être partagée par les très nombreux cyclotouristes qui s’efforcent avant tout d’augmenter leur rendement, mais il n’en est pas de même en ce qui est de la hauteur des roues, et seulement un petit nombre entre dans la voie que j’ai ouverte.
Contre la réduction du diamètre des roues à 60 centimètres, nous avons le préjugé pseudoscientifique du coefficient de roulement, croissant en raison inverse de la hauteur des roues  ; acceptable peut-être pour des roues à jantes indéformables, bois ou fer, cette loi ne l’est pas pour les roues à bandages pneumatiques qui, absorbant les menus obstacles, rendent la surface la plus rugueuse semblable à une surface polie. Or, des expériences bien conduites ont démontré que des rouleaux polis de diamètres très inégaux poussés sur des surfaces polies avec la même force initiale continuaient à rouler aussi vite les uns que les autres. Il n’y a donc aucune raison pour que des bandages pneumatiques de 60 et même de 50 centimètres de diamètre roulent moins bien que ceux de 70, 80 et même de 200 centimètres, à la condition qu’ils soient assez gros et assez souples pour boire l’obstacle.
Le seul côté faible des petites roues se révèle sur les routes à ornières profondes d’où il est plus difficile de les dégager parce qu’elles s’y engagent plus profondément  ; la direction est aussi plus sensible avec une roue directrice de 60 centimètres qu’avec une roue plus haute, et ce n’est pas sans motif que l’on fit, il y a 15 ans, des bicyclettes à roues directrices de 80 à 90 centimètres, tout en laissant la roue motrice à 70 et même à 65 centimètres. Mais on se familiarisa vite avec cette sensibilité de la direction et je n’ai jamais eu à craindre de ce côté.
La solidité de la roue croît à mesure que son diamètre diminue  ; cela se comprend de soi et, avec les freins sur jante, cet avantage n’est certes pas à dédaigner.
J’ai adopté les petites roues parce que, sans enlever quoi que ce soit aux qualités foncières d’une bicyclette, solidité, rigidité, stabilité, elles me permettent d’en réduire le poids d’environ 2 kilos, d’en diminuer l’encombrement et d’en faciliter le maniement et le logement.
Le poids, vraiment utile et justifié, ne m’a jamais effrayé  ; cependant, j’ai toujours recherché les moyens d’alléger mes machines de tourisme sans toutefois consentir à me priver des avantages que je juge essentiels  : freins, polymultiplication, double guidon, etc.
Les trois chaînes que j’ai traînées d’un bout à l’autre de mes 2.700 kilom, bien que j’aie eu rarement l’occasion de me servir de l’une d’elles, la montagne n’ayant pas été accessible cet hiver, ne m’ont pas causé le moindre embarras. Elles me donnent, interchangeables en marche, 6 m. 30, 4 m. 50 et 2 m. 90. Il faut, naturellement, les tenir au point, surveiller leur allongement suivant que l’on fait travailler les unes plus que les autres, les égaliser et les tendre ni trop ni trop peu. Ce dispositif n’est pas nouveau  : une des trois machines qui figuraient, sous la marque de La Gauloise, au concours du Tourmalet, le no 19, en était déjà munie en 1902 et fut une des cinq machines qui parvinrent au col sans avoir été poussées un seul instant...
Mais trois chaînes et deux débrayages au pied rendaient l’ensemble un peu lourd, et c’est pour cela, pour ne pas abandonner les trois vitesses en marche, que je me suis efforcé de m’alléger d’autre part.  »
Vélocio, «  Excursion du “Cycliste”, De Saint-Étienne à Marseille en 15h, Le Cycliste, 1905, p. 41 à 49, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_8

EXCURSION PASCALE, 1905

«  D... montait une bicyclette à deux chaînes, à six développements interchangeables en marche deux à deux  ; j’avais choisi le n° 4 dont je vous ai entretenu le mois dernier et qui a trois développements 6m,30, 4m,50 et 2m,90 en marche par trois chaînes.  »
[…]
«  Nous partîmes en plusieurs groupes  ; les uns par la route, les autres par le P.-L.-M., et nous eûmes le plaisir de nous rencontrer à différentes reprises, tantôt entre Stéphanois, tantôt avec des Lyonnais, des Tarasconnais, des Beaucairois, des Marseillais, voire des Parisiens, tous polymultipliés. Ah  ! certes, les temps sont changés  ! La propagande par le fait et par la plume, à laquelle Le Cycliste s’est consacré depuis 1896, a fini par porter ses fruits, et en cette année 1905, la dixième de l’ère de la polymultiplication, on ne rencontrera plus, je crois, de cyclotouristes monomultipliés dans nos régions favorites, sauf des étrangers, des anglais surtout, qui tombent plus que jamais de la lune quand ils nous voient gravir, en causant et le sourire aux lèvres, les rampes les plus invraisemblables auxquelles ils font régulièrement les honneurs du pied. Drôles de gens qui ne sont à la tête du progrès que lorsque celui-ci marche à reculons  »
Vélocio, «  Excursion pascale  », Le Cycliste, avril 1905, p.66-74, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_8

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