Cabcyclisme

vendredi 6 mai 2022, par velovi

Depuis avoir transporté son fils âgé de dix ans et un bagage sur 100 km en tritandem en 1889, Paul de Vivie s’intéressait au transport de marchandises et de personnes à vélo. Parmi ses multiples activités à Saint-Étienne, il lança un temps une agence de coursiers, l’express-cycliste, puis, en discussion avec les calculs du capitaine Perrache, mena des tentatives de transport de personnes, aidé par sa conversion aux changements de vitesse et aux petites multiplications. Devant les pentes et la qualité des revêtements des routes, ses essais ne furent toutefois pas concluants.

UNE SORTIE EN CABCYCLETTE, 1898

«  La cabcyclette dont je vais vous entretenir a été reproduite exactement dans Le Cycliste du 30 juin dernier, bien qu’elle ne fût alors qu’à l’état de rêve  ; depuis cette époque, elle est devenue une belle et bonne et pratique réalité et j’ai tout lieu de croire qu’elle fera son petit bonhomme de chemin, envers et contre tous. Le dessin auquel je me réfère étant suffisamment explicite par lui-même, je ne crois pas nécessaire de refaire ici une nouvelle et complète description de ce véhicule-transporteur.
Le poids de l’appareil en ordre de marche étant de 22 kilos, avec gros pneus Michelin de 50 millimètres, j’installai sur le siège ad hoc un jeune voyageur du poids modeste de 65 kilos  ; je me hissai moi-même sur la selle oscillante Cadet qui est, en attendant mieux, un des organes les plus indispensables de la cabcyclette, voire du cabcycle, et en route pour La Fouillouse d’abord et Andrézieux ensuite.
C’était, nous précisons, le 21 novembre 1898  !
Eh, mon Dieu, qui sait  ! cela peut devenir une date historique  : l’inauguration d’un mode de transport à bon marché. Aucune réclame n’ayant été faite, il n’y avait, au départ, ni ministre, ni préfet, ni garde-champêtre, mais simplement, ce qui valait bien mieux pour moi, un temps fait à souhait avec une légère brise favorable qui devait, il est vrai, me devenir contraire au retour et me rendre plus dures les montées successives de La Gouyonnière à Saint-Étienne. On ne peut pas tout avoir, et quand on fait une expérience, il ne faut pas s’affliger de quelques circonstances adverses.  »
Vélocio, «  Une sortie en cabcyclette  », Le Cycliste, Novembre 1898, p.218-222, Source Archives départementales de la Loire, cote PER1328_6

En 1914, il expliquait comment il en vint à cette cabcyclette  :
«  Au cours de ces vingt-cinq dernières années, l’idée du transport par cycle m’ayant toujours plus ou moins hanté, j’ai imaginé les solutions les plus diverses dans la façon de placer le transporté pour qu’il offrît le moins de surface possible à la résistance de l’air. Je viens de retrouver à côté des roues de ma Victoria Singer un tandem qui date de 1895, et sur lequel j’utilisais, bien malgré moi, le rétropédalage longtemps avant le capitaine Perrache. Ce tandem fait à l’imitation des tricycles tandems d’autrefois, avait été conçu pour équilibrer les deux cyclistes sur l’axe moteur, l’un en avant l’autre en arrière  ; le pédalier de celui-ci était au ras du pneu, tandis que le premier pédalier était reporté un peu plus en avant que sur une bicyclette même à longue base, comme on les faisait à l’époque. Mais l’événement prouva, dès le premier essai, que les calculs avaient été mal établis et que l’appareil se cabrait dès que l’on enfourchait la selle arrière. Que fîmes-nous  ? Un dos à dos, tout simplement. Le second équipier vint s’asseoir au-dessus de l’axe même, et il rétropédalait avec énergie mais sans conviction. Cette solution, à laquelle le hasard et la nécessité nous avaient conduits, avait encore l’avantage de dérober entièrement à la résistance de l’air la surface du second équipier. Ainsi modifié, ce tandem tint la route convenablement, et en 1898 je fis construire mon premier cabcycle sur des lignes identiques, en remplaçant naturellement le deuxième pédalier par de simples repose-pieds. C’est là-dessus que je hissai jusqu’au col des Grands Bois un de mes compagnons qui, entre parenthèses, fut injurié de la belle façon par un voiturier indigné. Un autre jour, je le remmenai à Lyon (60 kilomètres), en quatre heures, avec moins de peine, me sembla-t-il, que je ne l’avais emmené, quelque temps auparavant, dans une voiturette.  »
Vélocio, «  Le cyclisme sociable  », Le Cycliste, 1914, p.25-28, Source Archives départementales de la Loire, cote IJ871/3

Dans ses excursions, le cabcyclisme suscitait toujours son attention, ainsi aux abords du Rhône :

Lyon -Saint-Étienne 1898

« Au pont de la Mulatière j’arrive en même temps qu’un tramway, dont les quelques places disponibles ont été prises d’assaut, et qui part laissant plus de cent voyageurs mécontents. Quelle nombreuse clientèle pour les futurs cabcycles à qui il serait bien facile de ramener en ville, 2 ou 3 voyageurs    ; à 50 centimes par personne, 30 sous seraient ainsi vite gagnés. »

La Louvesc Sarras Lyon 1899

« J’ai eu le plaisir de suivre un instant, après Vernaison, un vigoureux cycliste traînant sur une voiturette une dame âgée, pas bien lourde certainement, mais la route offre çà et là quelques montées et la multiplication m’a paru être de 6 mètres environ, ce qui était vraiment trop fort pour une telle besogne. Cela m’intéressait d’autant plus que j’ai moi-même, il y a quelque temps, emmené sur une voiturette, de Saint-Étienne à Lyon, un voyageur pesant 65 kilos   ; la distance parcourue fut exactement de 60 kilomètres et le temps 4 heures 15, déduction faite d’un arrêt de demi-heure à moitié chemin   ; la voiturette pesait 8 kilos et le bagage 5 kilos   ; poids total transporté  : 78 kilos. Ce n’est pas la mer à boire, à la condition d’avoir plusieurs développements à son service   ; or, j’avais pris pour cette circonstance 6 mètres de Saint-Étienne à Givors, et 4m,40 de Givors à Lyon, sauf entre les bornes 12 et 9 avant et après Vernaison où, pour enlever quand même quelques raidillons, je me mis à 3 mètres. Mon plus grand travail fut la grimpette de Grigny à la Tour de Millery avec 4m,40, du 5 % environ avec léger vent contraire   ; la pression sur la pédale fut, dans cette circonstance (poids total, 160 kilos, vitesse, 3 mètres à la seconde), de 31 kilos, la montée heureusement n’est pas très longue, 800 mètres environ, mais le sol est mauvais. Mon voyageur fut même, à cette occasion, vivement apostrophé par un conducteur d’hippomobile par un «   Eh feignant, tu peux donc pas descendre   !   » qui le vexa profondément. Voilà pourquoi je m’intéressais tout particulièrement au jeune homme qui promenait sa mère en voiturette   ; si je n’avais craint d’être indiscret, je lui aurais conseillé de faire adapter à sa machine une deuxième multiplication, mais il donnait un bon exemple et je suis persuadé que l’on verra de plus en plus des voiturettes traînées par des cyclistes lorsqu’on aura appris à tirer parti des machines à développements multiples. »

Malgré le manque de succès de ses premières tentatives auprès des autres cyclistes, ce sujet le passionnait toujours.

LE CYCLISME SOCIABLE, 1914

«  Décidément, l’on y vient, ce me semble  ; ou plutôt, on y revient, car il y a trente ans, nous y étions, plus qu’on n’y sera peut-être jamais, à ce genre de cyclisme, et il n’était pas rare de voir toute une famille de quatre personnes, pédaler de concert sur des tandems dénommés justement sociables. Quelquefois même, dans un panier placé tantôt à l’avant, tantôt à l’arrière, et parfois au milieu, entre parents et grands-parents, on emmenait les bébés.
Ces mécaniques à roues de 125 centimètres pesaient souvent plus de 100 kilos  ; à caoutchoucs pleins, à roulements lisses et monoserves, elles étaient bien conçues pour tuer dans l’œuf l’idée du cabcyclisme en faveur de laquelle j’ai déjà inutilement noirci tant de papier.
Pour transporter sur de pareilles charrettes père, mère, femme et enfants, il fallait une dose d’altruisme qui confinait à l’héroïsme  ; il y avait bien autant de paires de pédales que d’adultes supposés aptes à s’en servir  ; mais comment quatre ou six moteurs, dans de telles conditions, pouvaient-ils éviter le désaccord aujourd’hui encore fatal à tant de tandémistes  ?
Il ne nous reste de ces tentatives, pour l’édification des cyclistes éminemment égoïstes de nos jours, que les gravures des journaux et des catalogues de l’époque qui nous donnent bien quelque idée de ces appareils, mais qui ne parlent pas des résultats qu’on en obtenait sur la route. Un des plus curieux fut la Victoria Singer  ; on y logeait, à la queue leu-leu, les trente ou quarante exécutants d’une fanfare, sur quinze ou vingt paires de roues munies chacune de deux pédaliers en tandem et articulées entre elles, de telle sorte qu’après s’être déroulé sur les routes en se tortillant pittoresquement, ce serpent musical pouvait encore se mordre la queue sur la place publique et former un cercle parfait pour donner des concerts.
J’avais déjà en moi en ces temps lointains l’idée du cabcyclisme et je me fis construire une de ces victorias à quatre places seulement, donc à deux paires de roues, dont je retrouve les débris dans mon grenier, et la reproduction en pleine charge dans Le Cycliste de 1888. L’allure était loin d’égaler celle de ma triplette actuelle, et nous n’allâmes jamais plus loin qu’Andrézieux. Le plus haut fait sportif de ma quadruplette fut sa participation à la cavalcade du Mardi Gras.  »

«  À un Duplex sociable j’ajoutai un troisième siège entre les deux autres, mais un peu en arrière et sensiblement plus haut, de sorte que ce troisième compagnon avait tout l’air d’une vigie et sa tête dépassait le vélum que, pour nous garantir du soleil et de la pluie, j’avais installé à l’instar des capotes d’automobile.  »
Vélocio, «  Le cyclisme sociable  », Le Cycliste, 1914, p.25-28, Source Archives départementales de la Loire, cote IJ871/3

Certains de ses compagnons de randonnées s’adonnèrent aussi à des essais, notamment en 1906. Thorsonnax joignit une voiturette-remorque à sa bicyclette La Gauloise, et transporta sa sœur puis sa mère, pour des excursions de 50 à 150 km  ! Dupuy modifia une bicyclette issue de l’écurie de Vélocio, son n°4 qui fit la descente pascale de 1905. Il la transforma en tricar en y adaptant un avant-train et en abaissant les développements. Selon lui, ce cadre, construit pour l’adjonction éventuelle d’un moteur, faisait merveilleusement l’affaire. Avec, il transporta un ami de 57 kg au col des Grands-Bois, une autre fois de Saint-Étienne à Lyon et retour.
En 1913, Vélocio se constitua de même un ancêtre de nos vélos-cargos, en adaptant à l’avant d’un cadre de bicyclette ordinaire un plateau s’avançant de 120 cm, au-dessus d’une petite roue haute de 30 cm dirigée par tringles. L’écart entre roue arrière motrice et roue avant directrice était de 160 cm. Il disposait de 6 vitesses. Il pouvait placer au choix une sorte de panier en osier ou un baquet chaise-longue, et en 5 mn pouvait démonter l’avant-train pour revenir à une bicyclette normale.

CABCYCLISME, 1916

«  Pour un dada, c’en est un  ; et je m’excuse, auprès des lecteurs du Cycliste, de revenir une fois encore sur ce sujet qui m’a bien l’air de n’intéresser que le très petit nombre. Mais si le principal leur est fastidieux, les accessoires, les à-côtés de la question, bref, la sauce à laquelle le mets indigeste sera forcément accommodé, aura peut-être quelque valeur pour le plus grand nombre, car dans cabcycle il y a cycle et surtout cycle utilitaire.
Or, je crois qu’après la guerre le cyclisme en France sera dirigé vers d’autres fins, orienté vers d’autres buts que la course pure et simple, que les matchs sans cesse renouvelés entre les bleus et les verts  ; je crois que le cyclisme évoluera vers l’utilitarisme et non pas seulement vers cet utilitarisme étriqué qui finit à la bicyclette du facteur et au triporteur, mais vers l’utilisation du cycle sous des formes variées et adaptées à ce nouvel objet comme engin de tourisme familial.  »
Vélocio, «  Cabcyclisme  », Le Cycliste, juillet-août 1916, p.25-28, Source Archives départementales de la Loire cote IJ871/3

TROIS EXPÉRIENCES, 1919

«  De novembre 1898 datent mes premiers essais de transport par cycle d’un voyageur de poids normal. À cette époque lointaine je transportai plusieurs fois mon patient dont le poids, 65 kilos, n’avait, à la vérité, rien d’excessif, tantôt à Andrézieux, tantôt à Lyon  ; une fois même je le hissai sur mon porte-bagage au col des Grands Bois. Mais je ne disposais que d’outils mal étudiés en vue d’un tel service, et, pour changer de développement, il me fallait mettre chaque fois pied à terre et redémarrer ensuite. J’ai gardé un mauvais souvenir de ces démarrages à la montée en enlevant 150 kilos et d’énormes pneus de 60 m/m de moto.
Plus tard, sur un avant-train à barre de direction d’auto ou sur une voiturette Planès, de jeunes adeptes de l’E.S. reprirent ces expériences et obtinrent des résultats satisfaisants, bien qu’ils n’eussent pas, eux non plus, des bicyclettes spécialement disposées pour ce travail de force. Le Cycliste rendit compte de ces expériences, demeurées rares en somme, et qui auraient besoin d’être coordonnées et souvent renouvelées pour qu’on en puisse tirer des indications précises.
Peu de personnes sont même disposées à s’y prêter et il faut des circonstances exceptionnelles pour qu’on consente à se laisser véhiculer. Ce mois de juin une de ces occasions s’est présentée et je me suis hâté de la saisir. Il s’agissait d’emmener au Bessat une jeune mère et son bébé plus une petite valise, le tout pesant environ 60 kilos. J’armai mon avant-train qui pèse 34 kilos et dont la roue motrice met à ma disposition par flottante BSA, six développements de 1 m. 80 à 4 m. 80.
Sur le parcours Saint-Étienne-Le Bessat, on s’élève sans la moindre contrepente de 518 mètres à 1.125 mètres en 17 kilomètres, mais il y a beaucoup de palier ou de presque palier, puis du 2 à 4 % et enfin trois rudes kilomètres à 8 ou 9 % qui sont le plat de résistance devant lequel boudent bien des cyclistes même polyxés.
Tant que la pente ne dépassait pas 2 je transportais mon charmant fardeau avec la moyenne du grand jeu, 3 m. 60  ; jusqu’à 4 et 5 % je prenais la moyenne du petit jeu, 2 m. 40  ; mais au-dessus de 5 % il me fallut toujours avoir recours à mon développement minimum, 1 m. 80. Mais avec ce tout petit développement j’allais quand même un tantinet plus vite que des cyclistes marchant d’un bon pas en poussant leur monture. Dans les quelques hectomètres de palier que l’on trouve sur le plateau, mon plus grand développement, 4 m. 80, était utilisable et je sentais bien que si l’itinéraire avait été de Saint-Étienne à Feurs, j’aurais gagné d’avoir ce 4 m. 80 en prise directe ce qui aurait mis à ma disposition pour les descentes douces et le vent, dans le dos, une grande multiplication de 6 m. 20 environ, non pas tant pour activer l’allure que pour pédaler plus confortablement.
Après deux heures de travail soutenu, j’avais couvert 14 kilomètres en m’élevant, à la hauteur de Tarentaise, de 560 mètres  ; rien de plus facile que de faire ce même parcours de l’autre côté en moins d’une heure, puisque, seuls, les freins sont dans ce cas à l’ouvrage. On peut donc dire qu’il est permis de faire du cabcyclisme dans les conditions de terrain les plus défavorables à raison de 10 kilomètres à l’heure, sans s’exténuer  : car si je n’ai rien dit de ma fatigue, c’est qu’elle ne dépassa pas les limites normales puisque je pus, le soir même, à bicyclette, regrimper au Bessat, descendre à Bourg et rentrer par les Grands Bois à Saint-Étienne, soit 60 kilomètres et 1.200 mètres d’élévation. Une seule chose fut un peu excessive  : la suée que me valut cette grimpette en plein soleil, suée hygiénique s’il en fût. Mais pas le moindre essoufflement, pas la moindre courbature, pas le moindre malaise. Le cabcyclisme pratique même en haute montagne, dans les conditions les moins favorables est donc, tout comme le cyclotourisme à longues étapes, à la portée des hommes d’âge plus que mûr puisque je ne suis plus bien loin du septuagenariat. À fortiori les hommes dans la force de l’âge peuvent s’y livrer sans aucune appréhension, surtout dans les trois quarts de la France où les routes sont très peu accidentées.
L’essentiel est d’avoir des outils bien appropriés à ce genre de travail. On commence d’ailleurs à s’y livrer beaucoup en Angleterre au moyen du sidecar dans lequel on installe, il est vrai, des jeunes enfants plutôt que des adultes. La question du poids transporté joue ici un très grand rôle, c’est pourquoi il convient de réduire au minimum le poids de l’appareil lui-même en se souvenant qu’il ne s’agit pas d’aller à grande allure et que l’on n’a pas à tenir compte des chocs résultant d’un passage à 30 à l’heure sur mauvaise route. Donc la bicyclette ou le tandem attelés au sidecar peuvent très bien, sans cesser d’être suffisamment solides, ne peser que 8 et 12 kilos respectivement et le sidecar 5 a 6 kilos. On arrivera à cette légèreté par l’emploi de roues de 50 centimètres et le retour à des méthodes et à des formes de construction imaginées il y a trente ans et dont la mode nous a éloignés.
Il est assez compréhensible que si je gagne 20 kilos sur le poids de l’appareil transporteur je puis augmenter d’autant le poids transporté qui, dans l’expérience que je viens de relater, peut être porté à 80 kilos, pour un effort et un travail égaux.
L’écueil sur lequel ont toujours sombré et sombreront souvent encore les plus beaux arguments en faveur du cabcyclisme, c’est l’opinion enracinée dans l’esprit de l’immense majorité des cyclistes, que la bicyclette n’est utile qu’à faire de la vitesse, qu’à aller toujours et partout aussi vite qu’on le peut. On ne veut pas admettre que cet outil merveilleux qui jusqu’ici n’a été utilisé que pour se transporter rapidement d’un point à un autre, peut très bien être dirigé vers d’autres buts pour lesquels la vitesse pure n’est que très secondaire, vers des buts même simplement utilitaires, comme le fait d’actionner une pompe, une magnéto, une machine quelconque.
C’est une vérité de La Palice que l’homme est beaucoup plus fort par ses jambes que par ses bras. Pourquoi ne s’efforce-t-on pas de tirer parti de cette force supérieure autrement que dans des courses de vitesse et pourquoi n’attelle-t-on pas les coureurs du Tour de France à une remorque de 100 kilos et d’un mètre carré de superficie  ? Au lieu d’en faire des chevaux de course, on en ferait des chevaux de trait. Leur amour-propre ne serait pas plus atteint dans un cas que dans l’autre. Et les résultats qu’on obtiendrait dans des concours de ce genre, auraient tôt fait de faire comprendre tout le parti que des milliers d’individus qui ont à transporter à bas prix des objets quelconques, pourraient tirer du cycle à deux ou à trois roues.
Ma troisième expérience qui date du mois d’avril dernier, se résume en une petite excursion dominicale qui nous conduisit Ch. et moi, en tricycle-tandem (par abréviation tridem), sur les bords du Rhône, 150 kilomètres et quelque 2.000 mètres d’élévation. Je ne sais trop pourquoi nous résolûmes de partir en tridem, par pure fantaisie et parce que sans doute nous n’étions pas d’humeur à randonner ce jour-là. Mais je sais très bien qu’au retour, en traversant nos Grands Bois où il avait plu dans la journée, nous nous applaudîmes d’être sur trois solides points d’appui et de pouvoir ainsi braver les ornières de boue visqueuse qui, à bicyclette, nous auraient maintes fois débarqués.
Ce tridem m’a souvent servi, pendant la guerre, à transporter de Saint-Étienne aux Grands Bois, et vice versa, des colis encombrants et lourds, tables, matelas, chaises, tout un mobilier, puis des sacs de bois et même des troncs d’arbre longs de deux mètres. Comme l’appareil pèse 40 kilos, à la montée je limite à 50 kilos le poids à transporter afin de ne pas dépasser le poids global de 150 kilos qui me parait être mon maximum pour ce trajet tout en élévation, mais à la descente j’emporte aisément 100 kilos et quand le chargement comprend quelques «  buttes  » de deux mètres, le tridem étant déjà très long par lui-même, je ne puis pas me flatter de passer inaperçu  !
C’est donc là un outil dont la première qualité est une solidité à toute épreuve. En fait de polyxcation j’ai dû me contenter de trois vitesses par Whippet A (déplacement de la chaîne à la main avec trois roues dentées juxtaposées et tendeur à ressort sur le brin inférieur)  : le dispositif de l’axe ne permet pas l’emploi du doigt d’acier, mais rien ne m’empêche de remplacer le déplacement à la main par un dérailleur mécanique, genre du Matocq. En somme nous avons peu de moyens de polyxer les tricycles où le pignon de roue libre est couvert et caché par le carter du différentiel. Seuls peuvent s’y adapter les pédaliers à plusieurs vitesses.
Nos trois développements par Whippet A sont  : 2 m. 25, 3 m. 10 et 5 mètres  ; ils nous servirent tous et le plus petit nous fut bien nécessaire dès que la rampe dépassait le 6 %  ; nous pédalions avec manivelles décalées. L’allure, comme bien l’on pense, resta constamment modérée et, partis à six heures, nous ne fûmes pas sur les bords du Rhône à Andance, avant dix heures. On s’était arrêté quelquefois pour contempler la chaîne des Alpes, tableau dont mon compagnon, démobilisé depuis peu de temps, avait été privé pendant cinq ans. Et puis on n’ose pas se laisser aller très vite à la descente avec cet engin-là.
Nous franchîmes, entre Sarras et Saint-Vallier, le fleuve impétueux dont le niveau s’élevait à vue d’œil et qui commençait à charrier un tas d’objets hétéroclites, spectacle toujours impressionnant. Et par Saint-Vallier, Saint-Rambert et les Sablons nous revînmes déjeuner à Serrières pour, l’après-midi, regagner nos pénates par Andance et le col du Grand Bois.
Ce fut tout, mais ce fut assez pour une petite journée de douze heures car les montées qui, en bitandem, ne se négocient pas bien vite, sont en tridem encore plus rétives quand on ne veut pas se fatiguer plus que de raison.
Et je n’ai pas besoin de répéter qu’à tel outil, qu’à telles routes, qu’à telles résistances en un mot, répondent telles allures, telles longueurs d’étapes. Il ne faut pas demander à un tri de 40 kilos ou à une routière de 18 kilos, la vitesse de marche qu’on obtiendra avec une randonneuse et à plus forte raison avec une machine de course, du moment où tous ces outils différents sont convenablement polyxés et pneumatiqués. Un cheval de course ne fera pas le travail d’un cheval de trait et réciproquement.
Si jamais nous partons en tridem pour une randonnée, nous devrons établir notre horaire en tablant sur une allure de 40 % moindre que celle que nous permettraient nos randonneuses à grand rendement. Cela fait, nous randonnerons avec autant de plaisir et avec autant de profit hygiénique. Tandis que si nous voulons aller aussi vite avec tridem qu’avec randonneuse, nous serons vite à bout de forces.
Mais le tridem servira bien rarement aux cyclistes qui aiment la randonnée. Il est tout désigné au contraire pour le cabcyclisme, tant à cause de sa stabilité incomparable qu’en raison de ce qu’il permet les très faibles allures et les tout petits développements. La question d’équilibre n’étant plus en jeu, on peut en tridem faire du 4 à l’heure si cela vous plaît, avec le développement de 1 mètre qu’il est bon d’avoir toujours à sa disposition pour démarrer en pleine rampe avec un lourd chargement.  »
Vélocio, «  Trois expériences  », Le Cycliste, Juin Juillet 1919, p. 69-74, Source Archives départementales de la Loire, cote PER1328_13

Le cabcyclisme et les enfants furent à l’honneur au meeting de Pavezin au printemps 1920, un col du Pilat proche de la vallée du Rhône, permettant de réunir les cyclos de la région. On y découvre des procédés encore commercialisés aujourd’hui, parfois présentés comme une nouveauté.

Meeting de Printemps, 30 mai 1920

« Nous ne nous sommes pas trouvés très nombreux à Pavezin, le 30 mai dernier  ; le temps trop mauvais jusqu’à neuf heures s’étant opposé au départ de bien des cyclistes qui nous en ont exprimé leurs regrets, mais nous y avons vu des nouveautés très intéressantes et l’enseignement mutuel a marché bon train. On s’est communiqué des idées, on a pris des notes et l’on s’est promis de présenter la prochaine fois des appareils plus perfectionnés encore pour le transport des enfants, voire des grandes personnes.

C’est que ce meeting fut essentiellement un meeting d’enfants et le cabcyclisme y tint beaucoup de place. M. Th... avait amené de Saint-Vallier sa jeune femme à bicyclette et, dans une remorque une peu lourde, mais très confortable, sa fillette de trois ans qui n’avait certes pas l’air de se trouver mal de ce long voyage. M. M..., de Bourg-Argental, arriva un peu plus tard sur une bicyclette de dame équipée pour transporter dans un petit siège, sur la roue avant, un bébé de deux ans et dans un autre fauteuil, sur la roue arrière, un garçonnet de trois ans. Au-dessus de chaque siège est installé à demeure un parasol que j’aurais préféré détachable, car le soleil n’est pas toujours à craindre et le vent a beaucoup de prise sur ces toiles tendues. Malgré le poids supplémentaire des deux enfants, la bicyclette, convenablement polyxée, n’est pas dure à propulser même à la montée.

De Saint-Étienne, M. B... avait amené sa grande fillette de 8 ans, pédalant sur une roue attelée latéralement à sa bicyclette et qui constitue une véritable nouveauté digne de retenir l’attention, car cette solution convient tout aussi bien pour le transport d’un adulte et paraît infiniment plus pratique que la monodame. Cette roue occupe par rapport à la bicyclette la position de la roue d’un sidecar, mais le passager au lieu d’être assis entre les deux roues est assis au-dessus de la roue même dont le moyeu spécial comporte un axe de pédalier avec ses deux manivelles. Le passager peut donc pédaler et par un système facile à imaginer avoir un changement de vitesse en marche à sa disposition. Cette roue est attachée à la bicyclette par trois points : 1° à la douille de direction  ; 2° derrière la selle  ; 3° à l’extrémité inférieure arrière du garde-boue naturellement renforcée par une fourche supplémentaire. La roue latérale, elle, a trois fourches, l’une verticale soutient la selle, l’autre horizontale soutient l’extrémité inférieure arrière du garde-boue, la troisième horizontale aussi soutient à la fois l’extrémité inférieure avant du garde-boue et l’axe secondaire de renvoi sur lequel est installé le dispositif de changement de vitesse. Au-dessus du garde-boue court un tube qui entoure la moitié supérieure de la roue et va ensuite se fixer à la douille de direction, non pas rigidement comme cela a lieu avec les sidecars, mais par une sorte de charnière  ; les attaches des deux autres tubes de jonction sont également à charnières à chacune de leurs extrémités de sorte que la roue latérale et la roue motrice de la bicyclette restent toujours parallèles entre elles, quelle que soit la différence de hauteur des plans sur lesquels elles reposent. Et l’équilibre de la bicyclette n’est en rien contrarié.

Cette solution a paru très heureuse nous croyons qu’on en verra d’autres exemplaires à notre futur meeting  ; nombreux sont en effet les pères ayant des enfants assez grands déjà pour pouvoir pédaler et n’osant pourtant pas les laisser aller seuls sur la route si dangereuse aujourd’hui.

On nous apprit aussi que, s’il ne s’agit que de porter un fardeau, on peut atteler très simplement une roue porteuse à la roue motrice d’une bicyclette sans détruire l’équilibre d’icelle. Cette roue-porteuse ne pèse, barre d’attelage comprise, que 4 kilos et peut porter 50 kilos. Celle que nous vîmes a 50 centimètres de diamètre avec pneus très souples de 50 m/ m environ  ; elle est fixée sur un moyeu tubulaire par 16 rayons tangents à tête coudée ces rayons pourraient être directs sans inconvénients : le moyeu peut être à billes, mais il est actuellement à roulement lisse ce qui n’a pas grande importance au point de vue du rendement à la condition que les parties frottantes soient bien lubrifiées : l’axe du moyeu est un tube de 25 m/m long d’environ 50 centimètres et qui se termine par un T de 10 centimètres. Ce T s’accroche par une charnière à une pièce correspondante fortement fixée au tube de chaîne et à l’axe de la roue motrice de la bicyclette. Ici les deux roues ne sont parallèles que lorsqu’elles se trouvent sur le même plan  ; dans les virages elles tendent à former entre elles un ongle plus ou moins prononcé, et si l’on soulevait à la main la roue porteuse autant que le permet la charnière de jonction  ; on la coucherait transversalement au-dessus de la roue de la bicyclette  ; cette position est même utilisée quand la roue porteuse n’est pas chargée et qu’elle bondirait trop à tort et à travers sur le sol si on l’y laissait reposer. »
[.......]

Au dernier moment, nous recevons de notre collaborateur Vavitto d’Essantes (alias. M-Th...), le cliché ci-dessous qui représente la confortable remorque que M. Th... attelle à sa bicyclette et dans laquelle il transporte sa fillette. Mais le cliché ne va pas sans une pointe d’humour qu’il faut pardonner à V. d’Essantes, coutumier du fait :

Au col de Pavezin, le 30 mai 1920.
Le Maître prêche la bonne parole sur le cabcyclisme aux foules attentives et leur présente sa plus jeune disciple. Son regard brille du feu sacré et l’éclat de son crâne poli fait baisser tous les yeux.
Vavitto d’Essentes. Le Cycliste 1920, Source Archives départementales de la Loire, cote IJ871/3

Vélocio, Le Cycliste, Archives départementales de la Loire, cote IJ871

Dans les années 20, Paul de Vivie utilisait une remorque, ou un triporteur construit en changeant la fourche d’un de ses vélos classiques pour une caisse en osier avec deux roue à l’avant. Il pouvait ainsi déménager et transporter des affaires ou du bois vers une cabane d’été sur les pentes du col de la république.

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