Ballon n°1
vendredi 23 août 2024, par
La bicyclette de demain (Janvier Février 1927)
Enfin, un constructeur s’est décidé à industrialiser la bicyclette à gros pneus dont nous avons, dès 1904, démontré la supériorité sur le terrain. Et ce constructeur, M. Aumon, à Nantes, a mis à ma disposition une de ces bicyclettes, pour toutes expériences comparatives que je voudrais faire. A vrai dire, je n’ai pas besoin, pour être convaincu de la supériorité des gros pneus, de faire de nouvelles expériences, et tant que j’ai pu obtenir des pneus souples de 50mm pour mes n° 4 et 5 et mon tandem, qui virent le jour en 1904 et 1905, j’ai randonné avec profit sous tous les rapports, confortable et rendement, sur ces gros boudins auxquels autos et motos sont revenues pour ne plus les quitter.
Mais les nouvelles générations de cyclotouristes n’ont rien su de mes anciennes expériences et de la documentation dont je les entourais, car elles ne lisaient pas le Cycliste en 1904 et 1905. Il est donc utile de revenir sur ce su et qui prête, malheureusement encore plus que la polyxion, place à la controverse : Les pneus confort, qui sont indispensables à la moto et à l’auto, le sont-ils également à la bicyclette de tourisme ? Au cours des expériences que nous allons faire avec la bicyclette Aumon, nous aurons souvent à rappeler celles que nous avons faites autrefois sur route, et nous invoquerons aussi celles qu’un constructeur allemand vient de faire en laboratoire et dont nous avons lu le compte rendu dans Cycle et Automobile du 26 décembre dernier.
VÉLOCIO
Excursions du “Cycliste” mars avril 1927
« Je ne retiendrai que deux de mes excursions dominicales de février et de mars, celles qui eurent pour objet l’étude, sur le terrain, de la bicyclette ballon, tant au point de vue Confortable qu’au point de vue Rendement.
Le 21 février, je venais de recevoir cette machine dont j’ai déjà parlé dans le précédent Cycliste ; elle était encore monoxée à 4 m. 70 et quoique l’itinéraire que j’avais choisi ne fut pas très accidenté, il l’était assez pour me mettre en échec avec une machine poussive. Mais, dès le départ, à 7 h. 1/2, sur le pavé, je sens que j’ai sous moi une monture à grand rendement et je tourisrne allègrement à mon maximum de 80 à 90 t.-m. Au pavé succède la route bitumée, toujours en pente douce, puis quelques montées, le raidillon de la Fouillouse et me voici à la Gouvonnière avec 25 km. de plaine devant moi jusqu’à Feurs où j’arrive à 9 h. 25. Ma cadence moyenne pendant ces 39 km. a donc été de 70 t.-mn. ; je ne m’en serais pas cru capable, et les pneus Ballon y sont bien pour quelque chose ; peu gonflés, ils ont bu les menus obstacles et je n’ai eu qu’à entretenir le mouvement, tandis que de petits pneus gonflés à bloc ont leur élan brisé par les moindres aspérités, vous secouent terriblement et nous obligent à de continuels démarrages. »
« La bicyclette Ballon m’a tout le jour laissé l’impression que je me fatiguais moins et, bien que ce ne soit là qu’une raison de sentiment, comme disent les théoriciens, je la tiens pour valable, car le corps est assez bon juge du travail qu’on lui impose, surtout quand il s’agit d’un travail de longue durée où le confortable devient un facteur de plus en plus important à mesure que l’étape s’allonge. Quinze jours plus tard, le 3 avril, j’essayais de me rendre compte du rendement de mes ballons et je fis les 38 km. de Saint-Étienne à Feurs en 1 h. 33’, à peu près du 25 à l’heure. C’est un parcours que j’ai fait maintes fois avec des bicyclettes très différentes, et je n’ai fait mieux qu’avec un vent favorable. Un motocycliste qui me suivit à mon insu pendant quelques kilomètres avant Montrond pour me chronométrer, me dit que je marchais à ce moment à 32-33 km. à l’heure. Je m’en doutais, car ma cadence s’élevait souvent à celle du pas de charge (90 tours-minute) qui, avec développement de 6 m., donne 540 mètres à la minute et 32 km. 400 à l’heure. J’ai l’habitude, à défaut d’un métronome que je pourrais régler à tant de tours-minute qu’il me plairait et que j’ai vainement réclamé à plusieurs reprises, de fredonner un air de pas redoublé (60 t.-m.), auquel j’adapte mes pédalées. Je puis battre la mesure sur les deux pieds = 60 t.-m., sur le même pied = 120 t.-m, sur quatre pieds = 30 t.-m., et si je fredonne un air de pas de charge, ma cadence devient respectivement de 90 t.-m. de 180 t.-m. et de 45 t.-m. Inutile de dire que je ne suis jamais arrivé aux 180 t.-m., mais à la descente en roue serve avec 4 m., je n’en ai pas été loin parfois ; quant aux 120 t.-m., ils sont encore dans mes moyens pendant quelques minutes, même en palier avec développement convenable, c’est-à-dire correspondant à la résistance à la jante.
Toutes les expériences que j’ai faites avec ma bicyclette Ballon et qui s’étendent sur plus de mille kilomètres en y comprenant mes courses quotidiennes en ville, ont donc tourné à l’avantage des gros pneus souples et confirment ce que j’en ai dit dans le Cycliste en 1904 et 1905.
Je rends donc grâce à M. Aumon, qui a osé industrialiser un perfectionnement aussi important pour la bicyclette de tourisme et qui m’a permis de faire, cette année, mon excursion pascale dans des conditions de bien-être et de moindre fatigue que je n’osais plus espérer et qui m’ont rappelé mes randonnées d’avant guerre. »
RANDONNÉE PASCALE, 1928
« Ma Ballon n° 1 est mon Aumon qui, depuis février 1927, a mis a son actif, d’abord en mono, puis en flottante, ensuite en dérailleur, plus de 9.000 km. »
Pneus Ballon
« Le moulé semble, de tous, le plus robuste et quoique son rendement soit un peu moindre, il conviendra sans doute au plus grand nombre, aux cyclistes utilitaires qui se servent de leur vélo pour aller tous les jours à l’atelier ou au bureau et, s’il en est parmi eux qui, le dimanche, utilisent leur machine pour excursionner, ils remplaceront comme déjà dit, ce jour-là, les moulés par des façon-main qui seront, eux, les pneus des cyclotouristes au long cours et des randonneurs à la mode stéphanoise. Tels sont ceux que j’ai trouvés sur la bicyclette que M. Aumon me confia, il y a juste un an, pour l’essayer à fond sur tous les terrains où j’ai l’habitude de rouler et qui ne sont pas toujours des pistes, ah ! fichtre non ! et je ne crois pas qu’on puisse trouver actuellement sur d’autres routes nationales 54 km. d’affilée aussi coriaces que ceux qui séparent Saint-Etienne d’Andance, sur les bords du Rhône et que je me vois forcé de franchir à l’aller comme au retour de mes fréquentes descentes dans la belle vallée rhodanienne. Cette bicyclette finit son premier cycle de douze mois, avec 7.000 km., un peu plus même, parce que je l’ai souvent prêtée, sans tenir compte des kilomètres parcourus par les emprunteurs. Que la bicyclette elle-même ait tenu bon, cela n’a rien de surprenant, et la plus modeste Gauloise, sans parler des grandes marques stéphanoises, en ferait autant, mais je n’ai jamais changé les pneus que pour quelques essais comparatifs d’autres ballons moulés ou à toile apparente. Voilà donc des façon-main qui ont résisté à 7.000 km. et qui me semblent bons encore pour 3.000.
A la vérité, je les ai soignés et les petites améliorations que je leur ai apportées m’ont bien coûté une vingtaine de francs. Quand je me suis aperçu que la gomme se gerçurait au niveau des rebords de la jante, à la suite du fléchissement continu du boudin peu gonflé, j’ai fait coller des rubans de caoutchouc mince qui ont couvert ces gerçures par où l’on voyait déjà la toile, et elles ne se sont plus reproduites ; plus tard, j’ai constaté que les fils biais eux-mêmes souffraient de cette constante friction entre la jante et la tringle, que quelques-uns étaient même coupés et que si je n’y portais remède, la chambre, bien que peu gonflée, ne tarderait pas à profiter de la porte ouverte et à éclater. J’ai fait alors placer à cheval sur les tringles un ruban de toile sur celle des enveloppes où le fil biais avait déjà été cisaillé ; de caoutchouc mince sur celle qui avait résisté au cisaillement, et je crois avoir trouvé le bon remède. Je conseille donc aux fabricants et aux usagers des façon-main de fixer, sans attendre que les fils biais soient usés ou la gomme craquelée, à cheval sur les tringles, un ruban de caoutchouc mince assez large pour déborder la tringle d’un centimètre à l’intérieur et de deux centimètres à l’extérieur. L’incessant va et vient d’une enveloppe à basse pression (et je roule toujours aussi peu gonflé que possible, sauf aux montées et aux descentes pour des motifs différents : à la montée pour diminuer l’aplatissement du pneu sous la pression énergique, à la descente pour échapper aux pinçons) fatigue énormément le tissu et la gomme qui sont pressés entre la tringle et le bord de la jante ; il faut donc renforcer cette partie des enveloppes ballon, et les moulés eux-mêmes, qui sont mieux immunisés par la pression à chaud du caoutchouc et de la toile, gagneraient à ce renforcement.
J’ai donc surveillé mes Ballons et leur ai donné des soins qui me vaudront de les voir vivre pendant dix mille kilomètres ; que tous les ballonnistes en fassent autant et ils ne découvriront à ces bandages, qui sont actuellement l’objet de tant de discussions et, chez quelques-uns, d’une opposition systématique aussi incompréhensible que celle que l’on fit. il y a trente ans, dans les mêmes milieux, à la polyxion, que des qualités et des avantages à tous les points de vue, sauf un ! Même en gonflant à bloc, comme le fit Perrache dans ses expériences sur le tirage des pneus, le démarrage avec Ballons sera toujours moins prompt qu’avec boyaux de petit calibre. Et, de ce défaut, je n’ai cure, car je ne démarre pas souvent et jamais brutalement, je m’applique à conserver un train soutenu et je suis en cela puissamment aidé par le jeu naturel des Ballons qui, à chaque tour de pédale, me rendent par leur détente au passage des angles de moindre puissance tout l’excédent de force qu’aux passages des points de plus grande puissance je leur ai intériorisé. Ces boudins d’air comprimé se comportent comme des ressorts d’une sensibilité et d’une intégrité parfaite ; ils nous rendent honnêtement, promptement et entièrement dans nos moments de faiblesse toute l’énergie que nous leur avons confiée dans nos moments de force. Avec eux, nous ne gaspillons jamais nos forces, notre allure reste constante, qu’elle soit de 20 ou de 30 à l’heure ; le soir venu, noué constatons que notre vitesse commerciale a été plus grande et que nous avons parcouru plus de chemin, que nous sommes moins fatigués et que nous nous sentons plus dispos pour les étapes suivantes, parce que (mettez-vous bien cela dans la tête) nous n’avons pas été disloqués par les trépidations, cette plaie des pneus brise-os et tape-cul.
Je conseille donc à tous les cyclistes qui ont l’intention d’acheter une nouvelle monture de la choisir avec fourches assez larges pour recevoir des Ballons de 50mm, avec des jantes de 650 ou de 700 (s’ils sont de très haute taille), du calibre G et étroites. L’aspect extérieur de la bicyclette n’en sera que très peu modifié et n’aura rien d’inélégant. Sur ces jantes ils pourront placer des pneus tape-cul de 35mm ou des brise-os de 32, ou des semi-ballons de 42, ou enfin des Ballons de 50mm. Ils seront ainsi bien armés pour étudier la question et feront fondant une année moult expériences comparatives sur le démarrage, le rendement, le confortable, la fatigue, l’effort, etc. Et je consens à perdre les rares cheveux qui me restent s’ils ne deviennent pas tous des convaincus. »