Bicyclette 1900 (Quand Vélocio utilise une béquille en voyage)

jeudi 18 avril 2024, par velovi

MON RAID PASCAL, 1903

«  J’ai pris mon ordinaire machine de tourisme  : guidon à deux positions, selle oscillante, cinq développements dont deux interchangeables en marche par deux chaînes, roue libre partout, un frein sur jante AR et un frein à patin sur pneus AV, gros pneus, poids en ordre de marche 29 kilos. Tel est son signalement. Elle date de 1900 et semble se porter très bien encore, bien qu’elle m’ait servi dans la plupart de mes plus longs voyages tra los montes. C’est à ce vieux clou que je puis abandonner à n’importe quel coin de rue sans crainte qu’on me le vole, tant il est d’apparence hétéroclite et peu séduisant, que je me confie le plus volontiers dès qu’il s’agit d’aller loin et longtemps ou d’affronter les routes scabreuses.
Je pars sur les développements 7m,25 et 4 mètres et je regretterai souvent dans la soirée de n’avoir pas au moins 8 mètres pour profiter de l’aide momentanée du vent.  »
[…]
«  Un coude soudain de la route vers le Nord-Ouest me permet de juger de la force du vent et de l’agrément qu’on aurait à remonter la vallée au lieu de la descendre. Avec 7m,25, il faut se coucher à plat ventre sur le guidon faire jouer la selle oscillante et saisir les poignées basses du double guidon, pour franchir ce passage.
À cette occasion et en bien d’autres, je me remémore quelques-unes des assertions ultra-théoriques dont M. Carlo Bourlet a émaillé son rapport sur le concours de bicyclettes de tourisme du 18 août 1902.
À propos des doubles guidons il y est écrit page 26  : « Quelques machines étaient munies de guidons à deux étages. Les avantages qu’on peut en retirer pour le tourisme ne semblent pas compensés par la complication qui en résulte. »
Et tout d’abord qu’entendez-vous par complication  ? Un simple changement de forme, une augmentation de quelque deux cents grammes, ou bien une articulation nouvelle, l’introduction d’un boulon de serrage, d’une crémaillère, dans une pièce telle qu’un guidon, dont la qualité première est d’être solide, rigide, indéformable  ?
À mon avis, la complication c’est l’articulation des guidons mobiles auxquels M. Bourlet ne fait pas le reproche d’être compliqués et qu’il juge au contraire très pratiques. Un changement de forme peut être inesthétique, une augmentation de poids peut être inutile, mais ni l’un ni l’autre, ne constitue une complication
Un théoricien pur a tôt fait de donner son avis sur des choses qu’il ne connaît pas  : sa réputation exige qu’il ne soit jamais pris au dépourvu et, selon son caractère, il hasarde une explication on tranche net la question  ; alors que nous, modestes praticiens, nous allons à droite et à gauche, nous essayons, nous tâtonnons, nous oscillons dans tous les sens, avant de conclure contre ceci et en faveur de cela. Ah  ! certes oui, on peut nous accuser d’être ondoyants et divers et de ne jamais nous prononcer de façon nette et décisive. Et par hasard, ne serions-nous pas les véritables théoriciens  ? Que signifie en effet théorie  ?
Théorie vient de θεωρέω, considérer  ; un théoricien considère les faits, les rapproche, les groupe, les analyse, les soumet au raisonnement et à l’expérience, mais il ne conclut pas, et surtout il ne préjuge pas  ; il ne s’efforce pas de créer un courant favorable ou défavorable à des idées ou à des applications d’idées nouvelles, telles que (pour rester dans notre sujet) le pneumatique, la roue libre, la polymultiplication, la selle oscillante et le guidon à deux étages.
J’ai essayé la plupart des guidons mobiles et je n’y ai pas trouvé d’avantages réels, faute de pouvoir instantanément et sans mettre pied à terre changer de positions toutes et quantes fois j’en avais envie. C’est pourquoi j’ai imaginé, pour mon usage personnel, un guidon à deux étages qui me donne trois positions bien distinctes  :
1° La position normale de promenade que j’utilise toujours à la descente et très souvent en plaine  : dans cette position, le buste est droit et peut être rejeté en arrière pendant les descentes.
2° La position avancée, dans laquelle je saisis paumes en l’air, c’est-à-dire les mains placées en supination, le tube des guidons au point d’intersection. J’aime beaucoup cette position quand il s’agit d’aller vite en plaine ou d’enlever, en chaussant les pédales sans faire osciller la selle, les montées moyennes  ; le buste est fortement incliné en avant et fait, avec l’horizontale, un angle de 45/50°, tandis que dans la 1re position cet angle est de 70 à 80°.
3° La position basse. Je saisis alors les poignées basses et chausse entièrement les pédales  ; la selle oscillante étant abaissée à toucher le tube horizontal, je suis alors dans les meilleures dispositions pour lutter contre le vent et pour enlever les montées dures  ; le buste est très incliné et fait un angle de 40 à 45° avec l’horizontale. Les coureurs exagèrent encore cette inclinaison et arrivent, ainsi que j’en ai vu plusieurs au concours de Tarbes, à la position littéralement horizontale  ; ils n’en luttent que mieux, évidemment, contre la résistance de l’air et du vent, mais ce serait bien fatigant pour moi de pédaler ainsi des heures durant. Je ne conserve jamais très longtemps la position basse.
Je me sers de la tige de selle oscillante Cadet depuis six ans et des guidons à deux étages depuis deux ans  ; je ne saurais me passer de l’un ni de l’autre pour les excursions où il s’agit de fournir le meilleur rendement. Il est bien entendu que pour les promenades où rien, distance, vitesse de marche et difficultés du terrain, ne sort de l’honnête moyenne, je m’en passe sans peine.  »
Vélocio, «  Mon Raid Pascal  », Le Cycliste, Avril 1903, p. 65-77

SIX JOURS EN SUISSE ET EN ITALIE, 1903

«  Un examen minutieux de la monture qui m’avait conduit en juillet au col du Parpaillon et qui possède six vitesses en marche, m’ayant révélé quelques fêlures dans les engrenages du Three Speed, j’avais renvoyé ce moyeu au fabricant pour qu’il me le remît en état de supporter de nouvelles fatigues, et j’avais fait armer ma bicyclette 1900 à cinq vitesses dont deux en marche par embrayage au pied, une vieille et fidèle amie.
Je me contentai de remplacer le grand développement de 7m,25 par 4m,50, de façon à avoir les 5 combinaisons suivantes interchangeables en marche  : 5m,70 avec 3m,80, 3 mètres ou 2m,40 et 4m,50 avec 3 mètres ou 2m,40. Un grand développement était inutile pour le parcours que je m’étais tracé, j’avais roue libre à galets partout, un frein sur jante AR à contrepression et un large frein à patin bois doublé de cuir sur le pneu AV ; ce frein AV était disposé de façon à agir sur le frein AR et à bloquer la roue motrice avant la roue directrice, afin d’éviter les panaches. À mon bagage habituel, j’avais ajouté un réchaud de voyage à alcool me permettant de préparer en cours de route des boissons chaudes et dont je me suis servi journellement. Si j’avais été bien inspiré, j’aurais, par contre, supprimé ma lanterne, bien inutile dans un voyage d’où la partie transport est rayée. Quand on excursionne à travers les Alpes, on s’arrange toujours pour s’arrêter avant la nuit. Ma bicyclette en ordre de marche telle que je l’enfourchai en sortant à cinq heures de la gare de Berne pesait 30 kilos.  »

«  Sur le pont, en entrant à Interlaken, je cueille une première pelle que tout d’abord je ne sais à quoi attribuer  ; ni boue, ni poussière et pas de tramway  ; ma roue s’est peut-être engagée entre deux pavés  ? […]
Eurêka  ! ce doit être mon verrou d’arrêt qui m’a joué ce tour pendable  ; je descends et m’assure que j’ai présumé juste. Un verrou d’arrêt est un petit rien du tout qui rend, lorsqu’on met pied à terre, beaucoup de services, en bloquant momentanément la roue directrice dont les mouvements désordonnés sont souvent, pour les cyclistes à lourd bagage, très désagréables. Une bicyclette dont la direction est bloquée peut être appuyée contre un mur, contre un arbre, elle peut être maintenue, quand on déplace sa chaîne ou qu’on fouille dans son sac, beaucoup plus facilement.
Il est donc utile d’avoir un verrou d’arrêt, et j’avais trop souffert de son absence pendant quelques excursions précédentes pour ne pas en faire poser un au moment de partir. Le système que j’imaginai au dernier moment était simple et pratique  ; il consiste en un chien qui, relevé, vient s’encastrer dans le collier de serrage du guidon et, abattu, repose sur le tube horizontal. Dans la première position, il bloque la roue AV ; dans la seconde, il lui rend la liberté. On comprend sans peine qu’une roue AV qui se bloque tout à coup en pleine marche, a pour effet immédiat une chute plus ou moins grave, selon les circonstances. Il faut donc avoir soin, quand on rabat le chien, de s’assurer, avant de repartir, qu’il repose bien sur le tube et que rien ne peut le relever en cours de route, c’est-à-dire qu’il ne faut pas se contenter de faire le mouvement à moitié et laisser le chien en l’air entre les deux positions extrêmes. Or, c’est ce que j’avais fait après mon arrêt au sommet de la montée, les trépidations firent le reste, si bien que, petit à petit, le verrou d’arrêt s’encastra, proprio motu, dans le collier de serrage et ma direction fut bloquée. Cet accident, dû à mon étourderie, m’arriva trois ou quatre fois pendant mon voyage et un certain jour, en pleine descente  ; je m’en aperçus toujours à temps, à une certaine dureté du guidon pour m’arrêter avant la catastrophe. Ces verrous d’arrêt doivent, d’ailleurs, être fixés de telle façon qu’on puisse, même lorsqu’ils sont fermés, les ouvrir par un brusque coup de guidon  ; c’est ainsi qu’est disposé le mien, et si je pellai ainsi à Interlaken, ce fut faute de tenir fermement ma direction.
Je me suis étendu sur cette particularité pour montrer combien il est important de ne partir pour une longue excursion qu’avec une machine dont tous les détails vous sont devenus familiers.
J’avais aussi, pour ce voyage, fixé à un des tubes de chaîne de ma bicyclette une béquille dont la fonction — qu’elle a, du reste, très bien remplie — était de tenir la machine au repos, droite sur n’importe quel terrain  ; on ne trouve pas toujours, à point nommé, un arbre, un mur ou une borne. Une béquille pèse 200 grammes et ne présente aucun danger, aucun inconvénient même. Si l’on part en oubliant de la relever, le pire qu’il puisse arriver, c’est qu’elle se torde et on peut la redresser à la main.
Satisfait d’avoir découvert la cause de ma culbute sur le premier pont, j’arrive au deuxième pont qui me ramène sur la rive droite  ; la route est bonne, faiblement ondulée  ; je déjeune à quelques kilomètres d’Interlaken.  »
Vélocio, « Six jours en Suisse et en Italie », Le Cycliste, 1903, p.141-146, p.173-179, p. 186-195

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